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Pourquoi Madagascar est à nouveau plongé dans l'obscurité

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Madagascar, Cyber-activisme, Dernière Heure, Développement, Droit, Economie et entreprises, Environnement, Gouvernance, Médias citoyens, Politique, Technologie

 

Jirama - domaine public [1]

La compagnie d'électricité et d'eau à Madagascar, la Jirama – domaine public

Madagascar est à nouveau dans le noir mais cette fois, la politique n'est pas seule responsable de l'obscurité.

Depuis quelques années, le pays souffre régulièrement de longues coupures d'électricité. Ce phénomène, connu sous le nom de délestage, n'est certes pas nouveau mais il a pris une ampleur incontrôlable ces dernières années qui sapent l'économie du pays à la base et enragent les citoyens du pays. La Jirama, la compagnie nationale chargée de la distribution d’électricité dans tout le pays, est à cours d'explication pour ces manquements.  Le ministère de l'énergie avait récemment confessé que 80 villes du pays [2], oui 80, sont dépourvues de courant. Le ministre n'a d'ailleurs pas survécu longtemps à ces échecs répétés. Mada Tribune explique [3] le contexte de la destitution du ministre de l'énergie Richard Fienena :

Le délestage continue ses ravages. Dernière victime en date : le ministre de l’énergie Richard Fienena qui vient d’être limogé en conseil des ministres du 22 octobre 2014. L’actuel ministre de l’économie, le général Herilanto Raveloarison, assure l’intérim à la tête du ministère de l’énergie jusqu’à nouvel ordre.

Richard Fienena - ex-ministre de l'énergie malgache - domaine public [4]

Richard Fienena – ex-ministre de l'énergie malgache – domaine public

Le gouvernement n'avait sans doute pas le choix. Les citoyens malgaches exigent une explication à ces défaillances répétées et le ministre était un bouc émissaire tout trouvé. Mais à ce niveau de décrépitude du réseau, les défaillances sont multiples, au niveau décisionnaire de la Jirama, du gouvernement et des autres fournisseurs d’électricité.  Une chose est sûre, les riverains en ont plus qu'assez [5]:

«Les coupures d’électricité gênent nos activités, alors que la facture flambe pour des raisons qu’on ignore », s’est exclamée Julienne une mère de famille qui habite à Soamanandrariny sur une radio privée. Quelques minutes plus tard, d’autres usagers dans d’autres quartiers dont Ambohipo et Anala­mahitsy sont intervenus pour interpeller la Jirama.

Les internautes ne sont pas en reste pour exprimer leurs colères. Plusieurs pages Facebook décriant les manquements de la Jirama se créent. Sur la page Jirama Délestage, on peut lire que dans la ville de Port Berger, la révolte gronde aussi [6] :

Port berger koa karaha zegny facture mindangagna jiro tsy mandeha

A Port Berger, Les factures d'électricité sont gigantesques alors que nous n'avons pas de courant !

Poster de la page Jirama Delestage sur Facebook - avec permission [7]

Poster de la page Jirama Délestage sur Facebook – avec permission

Sur la page Jirama Trop Nul [8](avec plus de 4500 likes sur Facebook), un autre internaute décrit une situation surréaliste [9] :

Savez-vous chers abonnés (pas d'autre choix) que certaines petites villes et villages à quelques kilometres seulement de Tana subissent des coupures de 20 heures d'affilée depuis qu'il a commencé de pleuvoir!!! Et la, pas de responsables ni de services à contacter. Mais puisque ce ne sont que des petits gens, personne ne s'en préoccupe.

 Des raisons structurelles et économiques

Alors quelles sont les raisons de tous ces couacs ? Comme souvent, les raisons principales sont économiques. La Jirama rappelle souvent [10] que pour pouvoir satisfaire les besoins de toute l’ile, la compagnie a besoin d'une quantité importante de gasoil. Cependant, le prix du baril en vigueur à Madagascar serait trop élevé et ne permet pas à la Jirama d'alimenter l'ensemble de ses générateurs.  Madatsara explique en détails [11] cette problématique et les options pour la compagnie :

 En effet, le gasoil vaut de plus en plus cher même si la Jirama, en tant que gros  consommateur, peut négocier les prix. Le prix à la vente de l’électricité issue d’une centrale  à gasoil vaut 17 cents d’euros par kWh, contre 13 à 15 cents pour le fuel lourd et  5 cents pour l’hydroélectricité.

Le prix du gasoil n'est cependant pas l'unique source de challenges pour la Jirama. La dette quasiment insolvable qu'elle a contracté depuis une dizaine d'années auprès de nombreux bailleurs de fonds reste le point d’achoppement principal. Cette dette rend la Jirama totalement vulnérable à de nombreux financiers dont le plus important est l'hommes d'affaires Hassanein Hiridjee, actionnaire principal de deux compagnies clés à Madagascar, Telma (télécommunications) et Jovenna (hydrocarbures). Le fait que Hiridjee puisse influer le futur de la Jirama inquiète de nombreux internautes car Hiridjee est aussi propriétaire de la société Electricité de Madagascar. La Nation explique [12] :

Hassanein Hiridjee, propriétaire de la société Electricité de Madagascar, se frotte déjà les mains. Les difficultés de la Jirama à satisfaire les usagers seront la meilleure occasion pour lui de mettre la main sur la société nationale d'eau et d'électricité. Tout est juste question de jeu de mots. Le ministre Fienena Richard, un proche collaborateur de Hassanein Hiridjee, a laissé entendre que la Jirama ne sera pas privatisée, mais des syndicalistes ne veulent pas le croire.

En effet, contrairement à ce que pense l'opinion publique à Madagascar, la Jirama n’est plus la seule compagnie productrice d'électricité [10] à Madagascar comme le rappelle la compagnie sur son site :

La Jirama est une société anonyme de droit commun détenue entièrement par l'Etat Malagasy. Elle est dirigée par un Conseil d'administration auquel répond le Directeur Général. Il est nommé par le Ministère chargé de l'énergie. Depuis 1999 et la libéralisation du secteur de l'électricité, la Jirama n'est plus seule dans la production électrique. Elle conserve toutefois le monopole du transport et de la distribution

Une des compagnies productrices d'électricité est la compagnie de travaux publics française Henri Fraise [13], implanté à Madagascar depuis 60 ans. La compagnie Fraise utilise de nombreux groupe électrogènes pour ses installations sur l'ile. Quand la Jirama a réalisé qu'elle ne pourrait satisfaire les besoins sur tout le territoire, un accord avait été conclu avec la compagnie Fraise pour une location de leurs groupes électrogènes. Il semble cependant que cet accord ne tienne plus vraiment la route financièrement [14] :

Il reste cependant que ces problèmes dits de pièces sont tous similaires, de district en district, si bien qu'ils accroissent le doute. Le fait est que la société Fraise renâcle à la besogne. Ainsi en va-t-il de certains groupes électrogènes retirés, semble-t-il, pour des défaillances techniques.

 Il est clair que trouver une solution aux problèmes de la Jirama et du délestage à Madagascar en général ne sera pas simple pour le nouveau ministre de l'énergie. Pendant ce temps, le citoyen malgache devra prendre son mal en patience et espérer que la lumière au bout du tunnel ne sera plus un qu'un vœu pieux.