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Crise hydrique au Brésil : l'assèchement des sources du “Vieux Frank”, une des plus longues rivières du pays

Catégories: Amérique latine, Brésil, Environnement, Gouvernance, Médias citoyens
A nascente do Rio São Francisco no Parque Nacional Serra da Canastra, hoje seca. Foto tirada por Thiago Melo em 8 de janeiro de 2010. Publicada no Flickr com licença do Creative Commons (CC BY 2.0) [1]

Les sources de la rivière São Francisco sont situées dans le parc national des montagnes Cantareira, dans la ville de São Roque de Minas. Voici l'état dans lequel elle se trouve en janvier 2010. Image Flickr de Thiago Melo (Flickr CC BY 2.0)

La pluie qui est tombée des montagnes Cantareira à la fin du mois d'octobre n'était pas suffisante [2] pour nourrir l'espoir que les sources de la rivière São Francisco [3], qui s'est asséchée au mois de septembre pour la première fois dans l'histoire, se régénèrent. Le changement climatique, les longues périodes de sécheresse et la destruction croissante des écosystèmes constituent quelques unes des causes de la disparition de l'une des principales sources des rivières sud-américaines. Les sources ont toujours été considérées jusqu'à ce jour comme permanentes [4].

La rivière est tellement asséchée que les pêcheurs abandonnent leur travail [5] à Iguatama, dans l'ouest de l'état de Minas Gerais, la première ville à être baignée par les eaux du São Francisco. Le Três Marias, le premier barrage sur la rivière qui fonctionne avec un volume de 3.5 pour cent de sa capacité normale a récemment vu son débit réduit [6]. Selon le Comité de la rivière São Francisco (Comité du Bassin Hydrographique de São Francisco, CBHSF [7]), s'il ne commence pas à pleuvoir, c'est un tronçon de 40 km situé après le barrage qui s'assèchera complètement. A Sobradinho, dans l'état de Bahia, le volume du second barrage est à 18 pour cent.

Longue de 2 863 kilomètres, une distance plus longue de celle séparant Madrid de Berlin, la rivière São Francisco traverse cinq états du Brésil – Minas Gerais, Bahia, Pernambuco, Alagoas et Sergipe – qui comprennent 504 villes. Elle constitue l'un des plus importants bassins du Brésil. Surnommée affectueusement “Old Frank” (“Vieux Frank”), elle est aussi connue pour être la “rivière de l'intégration nationale” dans la mesure où elle unit différents climats et régions, tout en reliant le sud-est et le centre-ouest au nord-est du pays. Elle est également appelée “la plus rivière la plus Brésilienne de toutes” car elle compte parmi les seules rivières au Brésil qui traversent le pays de la source au delta.

Même si la rivière coule toujours grâce à ses nombreux affluents, l'assèchement de sa source est considéré comme un symptome de la sévère crise de l'eau qui affecte actuellement le sud-est du Brésil [8]. Pour le sociologue Roberto Malvezzi, il s'agit d'un deuil d'ampleur historique, pour la rivière São Francisco et les gens qui vivent en amont [9]:

Nem o pior dos vaticínios nos anteciparia essa notícia. Agora não é mais previsão dos catastrofistas, dos apocalípticos, de ambientalistas sectários. Estamos diante do fato.

Même les prévisions les plus sombres ne s'attendaient pas à cette nouvelle. A présent, il ne s'agit plus de simples paroles d'alarmistes, de millénaristes ou d'environnementalistes sectaires. A présent, nous sommes confrontés à une réalité.

Le “Vieux Frank” est mort de soif selon le journaliste Carlos Costa [10], qui a indiqué combien il était attristant de voir se tarir les sources des rivières :

Ele não perecerá por completo porque também recebe água de outros afluentes, mas sua nascente já morreu e está cercada de pedras como se fosse em volta de uma sepultura. Um quadro triste! O “Velho Chico” morreu de sede em sua nascente, como outros rios poderão morrer também se eles não forem tratados com carinho, respeito e responsabilidade como se fosse mais um ser vivo, como na verdade é.

Il ne mourra pas complètement grâce aux courants d'eau qu'il reçoit d'autres affluents mais ses sources sont bien taries, au milieu de pierres, comme si c'était une crypte. Quelle triste image ! Le “Vieux Frank” est mort de soif à la source, tout comme d'autres rivières qui pourraient bien également se tarir si elles ne sont pas traitées avec bienveillance, respect et responsabilité, comme des êtres vivants, ce qu'elles sont en fait.

Le blogueur Edivaldo Braga de Bahia a fait la liste des problèmes qui portent atteinte au “Vieux Frank”, dont il dit qu'il appelle à l'aide [11]:

O Velho Chico está agonizando e prestes a morrer. A ponte que liga algumas cidades encontra-se completamente descoberta e denuncia o sério problema. A morte do rio significa o fim de muitos ribeirinhos.

Le Vieux Frank est en train d'agoniser et il est sur le point de mourir. C'est un pont qui relie des villes, et à présent ce pont est complètement sec, c'est signe d'un sérieux problème. L'assèchement complet d'une rivière peut signifier la fin de beaucoup de populations riveraines.

La rivière São Francisco est l'unique source d'eau douce pour beaucoup de populations riveraines — appelés “ribeirinhos” au Brésil — lesquelles en dépendent pour l'agriculture, l'élevage et le transport via la navigation fluviale. Le blog et les photos de Markileide Oliveira montre [12] comment le flux de la rivière affecte la mobilité de la population de Xique-Xique, une ville de l'état de Bahia qui dépend d'un des bras du “Vieux Frank” :

O Rio São Francisco vem enfrentando uma das maiores secas da sua existência, as várias cidades das suas margens sofrem com a falta de água. São inúmeros os relatos dos ribeirinhos, que contam as dificuldades enfrentadas no seu cotidiano. Muitos caminham a pé pelo leito do rio até chegarem à cidade e fazem o mesmo trajeto de volta para casa. Alunos das redes públicas chegam a usar três transportes para ir à escola, acordam às 5h para poder assistir a segunda aula por que a primeira não é possível. Os ribeirinhos estão aportando os seus barcos nas margens de um rio seco. Sem profundidade, as barcas de médio porte não conseguem navegar e os barqueiros buscam outras formas de sobrevivência, pois o transporte coletivo ficou impossibilitado. Os ribeirinhos estão substituindo os barcos por bicicleta, carroças, carrinhos de mão, entre outras possibilidades de locomoção.

La rivière São Francisco fait face à l'une des pires sécheresses de son histoire, beaucoup de villes riveraines souffrent actuellement de pénurie d'eau. De nombreux rapports expliquent les difficultés rencontrées au quotidien par les populations. Beaucoup marchent à pied le long du lit de la rivière jusqu'à la ville la plus proche et font également le chemin inverse pour rentrer chez eux. Les enfants utilisent jusqu'à trois modes de transport pour aller à l'école. Ils se réveillent à 5 heures du matin pour être prêts pour le 2ème cours de la journée car assister au 1er cours demeure impossible. Les “ribeirinhos” amarrent leurs embarcations le long des rives d'une rivière asséchée. Les eaux n'étant pas assez profondes, les bateaux de taille moyenne ne peuvent naviguer et les bateliers recherchent d'autres moyens de survivre puisque les transports communs fluviaux sont devenus impossibles. Les gens remplacent les bateaux par des vélos, des charrettes, des brouettes et d'autres moyens de mobilité.

Carroça substitui a canoa em Xique-Xique, Bahia. Foto de Markileide Oliveira, publicada com autorização. [12]

Les charrettes remplacent les bateaux à Xique-Xique dans l'état de Bahia. Photo de Markileide Oliveria, publiée avec autorisation.

Pendant que son cours est “dévié”, le “Vieux Frank” se meurt à petit feu

Les dégâts autour de la rivière São Francisco ne sont pas un problème récent et cela est décrit depuis des années par des spécialistes et des citoyens. En 2009, João Carlos Figueiredo, auteur des blogs Meu Velho Chico [13] (Mon Vieux Frank) et Meu Velho Chico: memórias de uma expedição solitária [14] (Mon Vieux Frank : mémoires d'une expédition solitaire, disponible également sur ebook [15]) a navigué sur toute la longueur de la rivière en canoë pendant 100 jours, en ramant seul depuis les sources des montagnes Cantareira jusqu'au delta de la rivière à Piaçabuçu dans l'état d'Alagoas. Evoquant la sécheresse dans les montagnes, il explique :

Estamos chegando, rapidamente, no limite de resiliência (capacidade de recuperação) de nosso Meio Ambiente. Passado esse limite, o Brasil, gradualmente, se transformará em uma gigantesca savana seca e estéril. Regiões desérticas substituirão as florestas e as nossas gigantescas bacias hidrográficas. E até mesmo os ignorantes donos do agronegócio verão seus latifúndios se transformarem em terra seca e inútil para a lavoura. Será esse o nosso destino final?

Nous atteignons actuellement nos limites de résilience (capacité à se redresser). Après ça, le Brésil va devenir graduellement une gigantesque savane, sèche et aride. Les déserts remplaceront les forêts et nos énormes bassins. Même les ignorants propriétaires d'entreprises agroalimentaires vont voir leur latifundium {terme qui désigne les vastes propriétés foncières en Amérique du Sud} s'assécher et devenir impropre à la mise en culture. Est-ce là le triste sort auquel nous sommes rendus ?

Publié en 2012, le livre “La flore de Caatinga et la rivière São Francisco : histoire naturelle et conservation” [16] constitue la description la plus complète de la végétation de la rivière, et conclut à son “inexorable” extinction. Résultat de quatre ans de recherche et d'exploration sur plus de 340 000 kilomètres carrés par plus de 100 experts venant des quatre coins du Brésil, le livre a mis en garde sur les dangers du projet de “déviation” [17], un plan gouvernemental massif qui vise à porter les eaux de la rivière jusqu'aux “sertões” [18] — les régions semi-arides du Brésil. Les experts disent que cela portera encore plus atteinte à la “Caatinga [19]“, et pas seulement au biome brésilien qui est déjà extrêmement menacé.

 Estação de Bombeamento do Eixo Leste do Projeto de Integração do Rio São Francisco. Foto: Moreira Jr. (CC BY-NC-SA 2.0) [20]

Station de pompage au niveau du puits Est du projet de déviation de la rivière São Francisco, Octobre 2014. Photo tirée de Flickr par Moreira Jr. (Flickr, CC BY-NC-SA 2.0)

La déviation, qui a déjà coûté 3.2 milliards de dollars aux fonds publics et qui n'est toujours pas achevée [21], a allouée moins de 10 pour cent du budget au rétablissement des sources et de la végétation de la rivière [2]. Selon quelques uns de ses détracteurs, le projet profite davantage à l'industrie agroalimentaire qu'aux populations pauvres avoisinantes. Roberto Malvezzi a mis en garde [22] sur le fait que le processus pourrait accélérer l'assèchement total de la rivière São Francisco, déjà considérée comme une rivière intermittente.

Hoje ainda se fala na transposição, ela continua na mídia, por muitos considerada ainda como a redenção do semiárido. Vamos respeitar a ignorância dessa afirmação, afinal o Nordeste e o semiárido continuam desconhecidos para 90% dos brasileiros, mas vale lembrar que 40% do semiárido brasileiro está em território baiano, portanto, longe dos eixos da transposição.

Quantos ainda falam da revitalização? Alguém tem alguma notícia? O São Francisco continua em processo de extinção rápida e fatal. Mesmo assim fala-se em projetos de 100 mil hectares de cana irrigada em Pernambuco, 800 mil hectares de cana irrigada na Bahia, transposição para outros estados e assim por diante.

Certamente voltará a chover, o rio vai recuperar volume, mas as secas serão cada vez maiores e mais constantes. A NASA, anos atrás, projetava que o São Francisco seria um rio intermitente em 2060. Realizamos a façanha de antecipar a projeção em mais de 40 anos. 

Jusqu'aujourd'hui, les gens parlent encore de la déviation, ça fait partie des titres de journaux, pour beaucoup elle est considérée comme une rédemption pour les terres semi-arides. Respectons l'ignorance de cette décision, dans la mesure où le nord-est et les zones semi-arides restent méconnues pour 90% des Brésiliens, mais gardons à l'esprit que 40% de ces zones semi-arides se situent dans l'état de Bahia, par conséquent bien loin des digues de déviation. 

Combien sont-ils ceux qui parlent encore de rétablissement de la rivière ? Est-ce qu'on a encore des nouvelles à ce sujet ? La rivière San Francisco s'avance vers un assèchement total, rapidement et fatalement. Pourtant, ils parlent actuellement de projets de 100 000 hectares de champs de sucre de canne irrigués à Pernambuco, 800 000 hectares de champs de sucre de canne à Bahia,  de déviation vers d'autres états etc.

Certainement qu'il repleuvra de nouveau, la rivière retrouvera un peu de son volume mais les sécheresses deviendront de plus en plus sévères et fréquentes. Il y a des années de cela, la NASA avait prédit que la rivière São Francisco deviendrait une rivière intermittente d'ici 2060. Nous avons dépassé cette projection avec 40 ans d'avance.

Concernant ce pronostic, l'historien Carlos Bittencourt s'interroge : “Mais qu'est-ce que nous dévions au juste ?” [23]

Transpõe-se a seca, transpõe-se a água que acaba aqui para lá. Transpõe-se a barbárie do Sudeste ao Nordeste, aponta-se a proa do navio para o buraco. Soluciona-se a causa aprofundando as consequências. Círculo vicioso da acumulação de capital, da coisificação da vida e dos meios da vida. A transposição do Rio São Francisco bebe da mesma água de sua extinção.

Nous dévions la sécheresse, nous dévions le manque d'eau d'un endroit à un autre. Nous dévions la barbarie du sud-est au nord-est, nous entraînons le navire par le fond. Nous trouvons des solutions aux causes en aggravant les conséquences. C'est un cercle vicieux d'accumulation du capital, c'est la chosification de la vie et de ses ressources. La déviation de la rivière São Francisco boit l'eau même de sa propre extinction.

Historiquement, le nord-est de la région a toujours du faire face à des sécheresses prolongées. La nouveauté réside actuellement dans le fait que le sud-est, où se trouvent les sources de la rivière São Francisco, fait face à une pénurie de pluies. La géographe et blogueuse basée à São Paulo, Martina Sanchez, a conclu que les Brésiliens ont besoin de comprendre que la nature poursuit sa propre course, ses propres cycles, et ses propres phases, et que l'unique alternative pour l'être humain est de s'y adapter [24] :

Algo está confundindo os climatólogos que não acertam com as causas da seca prolongada no Sudeste neste ano (2014). Até as nascentes do Rio São Francisco na serra da Canastra (MG) secaram. O nível dos reservatórios da Cantareira, na cidade de São Paulo, está baixo e começa a comprometer o abastecimento. É o aquecimento global! Dizem uns. Outros acusam sobre o mau uso dos recursos hídricos, a falta de planejamento, o  excesso de consumo e desperdício. Todos têm razão e nenhum tem o direito de apontar o dedo para o outro. Os cidadãos terão que aprender a conviver com os extremos climáticos que não obedecem a decretos nem leis humanas.

Un élément cependant a déconcerté les climatologues qui n'arrivent pas à se mettre d'accord sur les causes de cette longue sécheresse qui a touché le sud-est cette année (2014). Même les sources de la rivière São Francisco se sont asséchées. Le niveau des réservoirs de Cantareira à São Paulo sont bas et commence à compromettre l'approvisionnement de la ville en eau. C'est le réchauffement climatique disent certains. D'autres accusent la mauvaise gestion des ressources en eau, le manque de planification, la consommation excessive et le gaspillage. Tout le monde a raison mais personne n'a le droit de montrer l'autre du doigt. Les gens doivent apprendre à vivre avec les phénomènes climatiques extrêmes qui n'obéissent pas aux décrets et aux lois de l'homme.

Vista do Rio São Francisco a 8000 metros de altura. "Só pra você ter idéia da imensidão do 'Velho Chico'", por George Vale, publicada no Flickr com licença do Creative Commons (CC BY 2.0) [25]

Vue de la rivière de São Francisco depuis 8 000 mètres d'altitude “Juste pour vous rendre compte de la taille du “Vieux Frank” au mois d'octobre 2012″. Image Flickr de George Vale (Flickr, CC BY 2.0)