Les indemnités de transport, cause de l'enfer des navetteurs au Japon ?

Rush hour in Shinjuku. Image by Chris73. CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Heure de pointe à Shinjuku. Photo de Chris73. CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

[Article d'origine publié le 5 novembre]

L'image de passagers entassés poussés dans les trains surchargés est emblématique du Japon, en particulier de Tokyo. 

Un article récent paru dans le blog Yen for Living du Japan Times indique que le système d'indemnités de transport des employés japonais pourrait bien être responsable du tristement célèbre “enfer des navetteurs.”

Pour plusieurs raisons, beaucoup d'employeurs au Japon, situés dans l'axe prospère et densément peuplé de la façade pacifique qui s'étend de Tokyo à Osaka, financent le coût substantiel des billets de train et de bus pour les employés permanents à temps plein.

Le gigantesque réseau de transport de Tokyo a créé de denses ceintures de villes de banlieue qui abritent des millions d'employés de bureau devant se rendre dans le centre ville à la même heure tous les matins. Les 32,5 millions d'habitants de la région métropolitaine du Grand Tokyo dépendent des transports publics : presque 57 % de tous les trajets à Tokyo sont effectués en train et en bus, et pendant les heures de pointe, les lignes de métro peuvent atteindre jusqu'à 200 % de leur capacité.

Pour les travailleurs à temps plein, le coût du déplacement pendulaire au travail est tolérable. Selon un rapport de 2009 du Ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 86 % des entreprises japonaises fournissent à leurs employés une indemnité de transport.

Le rapport du ministère explique que la coutume de subventionner les frais de transport des employés a été adoptée par les employeurs pendant le boom économique de l'après-guerre. Dans la mesure où les banlieues s'étendaient toujours plus loin du centre de Tokyo, le nombre de navetteurs s'est agrandi et les tarifs de train sont devenus plus chers — trop chers pour que les employés puissent eux-mêmes en supporter le coût (contrairement à l'Amérique du Nord où les employés doivent financer le coût de leurs trajets via l'acquisition d'un véhicule).

Dans les années 1960, lorsque le Japon est entré dans son ère de croissance économique et de prospérité, payer les frais de transport était une manière pour les entreprises d'améliorer la rémunération des employés. Les indemnités de transport constituaient un moyen de distribuer les bénéfices économiques de manière équitable sans nécessairement augmenter les salaires de manière considérable.

En conséquence, aujourd'hui, beaucoup d'employeurs japonais couvrent les frais de transport pour les employés à temps plein, parmi lesquels beaucoup font des trajets journaliers de 2 heures ou plus. Les indemnités de transport sont devenues un dû. De nos jours, la plupart des demandeurs d'emploi veulent savoir si un employeur potentiel est en mesure de leur proposer une indemnité de transport.

Les employeurs ne sont pas légalement obligés de fournir une indemnité de transport pour les employés, cependant le faire a un effet considérable sur l'idée toute faite qu'un employeur est capable ou non d'attirer les talents.

Evening rush hour, Tsuruhashi Station, Osaka. Image by T. Hara. CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Heure de pointe en soirée, station de Tsuruhashi, Osaka. Photo de T. Hara. CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Selon l'article de Yen for Living, l'adoption après-guerre du système d'indemnité de transport (tsukin teate) a entraîné une intense urbanisation qui, en contrepartie, a généré “l'enfer des navetteurs” :

Par ailleurs, par inadvertance ou non, le système d'indemnité de transport a contribué directement à la concentration des entreprises dans les grandes villes, exacerbant ainsi le problème des longs trajets et des transports publics bondés […] Toutefois, bien que les frais de transport ne soient pas légalement obligatoires, ils sont néanmoins règlementés. Les entreprises peuvent les enregistrer comme dépenses d'affaires jusqu'à hauteur de 100.000 [yens] par mois par employé (équivalent à 1.000 USD). Si les frais de transport d'un employé excèdent 100.000 [yens] par mois, le surplus est sujet à taxation en tant que revenu.

Selon un sondage du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, pour 211 entreprises, près de la moitié des 77 entreprises sondées comprenant moins de 300 employés ont plafonné l'indemnité à 100.000 yens par mois.

30 % des entreprises dans cette cohorte plafonnent le montant à 50.000 yens par mois. Le rapport n'indique pas ce que le reste des 211 entreprises sondées paie en indemnités de transport pour leurs employés.

Il y a approximativement 4,2 millions de petites, moyennes et grandes entreprises immatriculées au Japon. Seuls 0,3 % d'entre elles — environ 120.0000 — sont considérées comme de très grandes sociétés.

Le rapport du ministère sur les indemnités de transport (en se basant sur les pratiques de 77 entreprises de 300 employés ou moins) omet un très grand nombre de données. Il est possible que les conditions aient changé depuis le temps du boom de la croissance économique.

L'article de Yen for Living s'interroge sur le nombre d'employés à travers le pays qui reçoivent actuellement 100.000 yens pour couvrir leurs frais de déplacement pendulaire. Ce sont plutôt les entreprises aux flux de trésorerie importants, massées le long de la principale artère industrielle et l'axe de transport qui s'étend entre Tokyo et Osaka, qui peuvent se permettre de financer les frais de transport.

Les entreprises rurales ne peuvent pas retenir les employés, ce qui entraîne une migration croissante vers Tokyo et les villes exiguës de la façade pacifique industrialisée. La densité flagrante de cette migration, occasionnée au cours des 50 dernières années, a entraîné le Japon vers le tristement célèbre “enfer des navetteurs.”

Des commentateurs non japonais se sont également interrogés sur le bien-fondé de fournir des indemnités de transport aux employés :

Si les employés devaient assumer eux-même leurs frais de transport, ce qui est le cas dans la plupart des pays développés, ils chercheraient un travail le plus proche possible de leur maison ou déménageraient à une distance offrant un trajet raisonnable vers leur lieu de travail.

Toutefois, sur la page Facebook du Times, un commentateur japonais a répondu à ces commentaires en disant :

Cette personne n'a vraisemblablement pas vécu au Japon. Pour la plupart des gens, l'indemnité est d'approximativement 100$-200$, ce qui n'est pas beaucoup quand on considère les dépenses coûteuses qu'occasionne le logement.

Un autre commentateur de Facebook s'est demandé :

Pourquoi les gens ne vivent-ils pas plus près de leur travail ? Parce que les villes japonaises sont déjà assez peuplées et que le loyer est insensé. Pourquoi vivre plus près du travail quand l'alternative consiste à payer un loyer plus élevé pour un espace plus petit ?

D'autres commentateurs ont exprimé leurs doutes sur le fait que l'indemnité de transport soit seule responsable des trajets surpeuplés, et que l'”enfer des navetteurs” n'est pas si unique que ça. Sur Facebook, Saku Takakusaki a écrit :

Je ne sais pas si cette indemnité de transport est la cause des problèmes dont parle l'article. Les grandes villes américaines et canadiennes sont peuplées en semaine et presque vides les week ends à cause des employés qui vivent en dehors des zones centrales.

Sur le site web du Times japonais, un des lecteurs “rolento” a commenté :

Je crois que le rédacteur de l'article n'a jamais été en Chine ou dans d'autres pays asiatiques. Des millions d'Asiatiques ne se font pas payer leur indemnité de transport et vivent POURTANT à moins d'une heure de leur bureau.

Carol Ruth Kimmel a comparé la situation aux transports à New York :

Les Américains n'ont pas d'indemnité de transport pourtant ils connaissent également “l'enfer des navetteurs” à New York. 

D'autres commentateurs ont souligné qu'une indemnité de transport est le seul moyen pour quelques employés de pouvoir travailler à Tokyo, à moins qu'il n'y ait un changement de mentalité sur la manière dont les gens travaillent. Shikibu Watanabe a indiqué :

L'indemnité de transport est nécessaire pour ceux qui vivent avec un salaire annuel moyen de 4M de yens et qui sont contraints de vivre en banlieue parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer les loyers à Minato-Ku ou Marunouchi. Quelle est l'alternative? La voiture ? Super idée. Plus de routes embouteillées, plus de pollution. Je ne vois pas l'utilité de cet article. 

Kelvin Hui a écrit :

ça va à l'encontre de la culture du travail dans ce pays mais on devrait introduire ici le concept de “travail à la maison”. 

Danny de Meyer fait écho au commentaire de Hui :

Pourquoi les entreprises n'autorisent-elles pas le travail à distance ? Le télétravail ? Pourquoi toujours demander aux employés de s'adapter ?

Selon ces réponses, il semblerait que les indemnités de transport soient indispensables dans le monde du travail au Japon. Avec l'horizon des jeux olympiques de 2020 à Tokyo, de plus en plus de gens continueront de s'entasser à Tokyo. Une réflexion doit être menée pour soulager les usagers de “l'enfer des navetteurs.”

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