La création au sein du gouvernement ukrainien d'un nouveau ministère, celui de la Politique de l'Information, a répandu la consternation chez les Ukrainiens, et certains n'ont pas tardé à le surnommer le “Ministère de la Vérité”. Les critiques disent que ce département orwellien, qui se donne pour but de protéger l'Ukraine dans le guerre de l'information avec la Russie, ne fera qu'entraver la liberté d'expression et instaurer un dangereux précédent en permettant au nouveau gouvernement un contrôle plus étendu sur les médias ukrainiens.
Le nouveau ministère a été confié à Yuriy Stets, ex-directeur du département de sécurité de l'information de la Garde nationale d'Ukraine. Auparavant, M. Stets était producteur principal de Canal 5, la télévision toujours propriété du Président Petro Porochenko.
Les défenseurs des médias et les journalistes s'inquiètent particulièrement de ce que le nouveau Ministère puisse gêner le travail des journalistes, surtout dans l'est ukrainien déchiré par la guerre, où l'accès des médias est déjà difficile, et beaucoup ont dénoncé l'initiative sur les médias sociaux et au parlement.
Hello the ministry of truth? We'll fight for sure!
— Oksana Romaniuk (@Sanatja) December 2, 2014
Salut le ministère de la vérité ? On ne se laissera pas faire !
.@HromadskeTV anti-‘Ministry of Truth’ posters seized by Ukraine parliament security pic via @UkrpravdaNews pic.twitter.com/zNkxpdR2UR
— Hromadske (@Hromadske) December 2, 2014
Des affiches anti-“Ministère de la Vérité” de @HromadskeTV confisquées par la sécurité du parlement ukrainien
Yuriy Stets, à la tête du nouveau département, a défendu lui-même la nécessité de son ministère dans un billet Facebook, au motif que la sécurité de l'information est “un des paramètres-clés de la sécurité nationale”, et que de nombreux pays ont notoirement créé des services similaires en temps de crise. Un raisonnement qui n'a guère calmé les craintes de ses détracteurs.
Shame,shame,shame – all I can call an idea of creating the Ministry of Truth.As a Channel 5 journo I am alarmed, ashamed, humiliated
— Myroslava Petsa (@myroslavapetsa) December 2, 2014
Honte, honte, honte. Je n'ai pas d'autres mots pour l'idée de créer le Ministère de la Vérité. Comme journaliste de Canal 5 je suis alarmée, honteuse, humiliée
La dérision en ligne est depuis longtemps l'arme la plus puissante des Ukrainiens contre l'oppression et l'injustice des gouvernants, et le “Ministère de la Vérité” ne fait apparamment pas exception.
Interprétant la création du nouveau ministère comme une tentative malavisée de réponse aux critiques sans détours contre le nouveau gouvernement et ses actes, les internautes ont créé sur les médias sociaux de pseudo-comptes “ministériels”. Le Ministère de la Politique de l'information s'est vu rebaptiser “Ministère de la Paresse et des crachats au plafond” ou “Ministère de la Politique sexuelle“, allusions à son inutilité et à la promiscuité entre divers responsables publics.
Le compte Twitter du “Ministère de la Magie” a révélé que la toute neuve opération de sécurité de l'information était une “solution magique” aux malheurs du pays.
Ми працюємо! pic.twitter.com/rmfZwNOtUK
— Міністерство магії (@MagicUkraine) December 2, 2014
Nous travaillons [texte en image : Ministère ukrainien de la Magie. Résultats fantastiques juste comme ça !]
。∧_∧ (。・ω・。)つ━☆・*。 ⊂ ノ ・゜+. しーJ °。+ *´¨) .· ´¸.·*´¨) ¸.·*¨) (¸.·´ (¸.·'* ☆ УСПІШНА ДЕРЖАВА ☆ ・*。・゜+.
— Міністерство магії (@MagicUkraine) December 2, 2014
UN ETAT REUSSI.
Un autre compte Twitter, “Ministère de la Vérité“, s'inspire du ministère du même nom dans le roman 1984 de George Orwell, et arbore le slogan “La guerre c'est l'OAT [Opération anti-terroriste]. Svoboda [la liberté] est un parti. Le népotisme est une politique de RH”, transcription des orwelliens “La guerre c'est la paix. La liberté c'est l'esclavage. L'ignorance c'est la force”.
Ну шо, хлопці та дівчата. Починаємо. pic.twitter.com/w7PKHMkNYk
— Міністерство Правди (@minpravd) December 2, 2014
Alors, les garçons et les filles. On s'y met ?
La réaction immédiate et cinglante de la cybersphère publique d'Ukraine à la protection “bien intentionnée” de l'information paraît signaler la vigilance accrue des Ukrainiens face aux initiatives du pouvoir, et va probablement obliger les autorités à la prudence. Au moins, les Ukrainiens ont eu amplement l'occasion de perfectionner les arts de la protestation comme ceux de la guerre de l'information.