Dr Mukwege, Prix Sakharov 2014: “Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme, chaque mère violée à ma mère”

Dr Mukwege contre les violences envers les femmes - Domaine public

Dr Mukwege contre les violences envers les femmes – Domaine public

 Le Dr Denis Mukwege est enfin connu du grand public et c'est mérité.

Son action de 15 ans en faveur des bébés et des femmes victimes de violences sexuelles perpétrées par les membres des différents groupes armés qui sèment la terreur dans la province du Sud Kivu, en République démocratique du Congo est justement récompensé depuis ces 12 derniers mois. En novembre 2013, il remportait le Prix 2013 de la Fondation Chirac pour la prévention des conflits et exactement un an après, à l'occasion de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes, il a quitté son hôpital de Bukavu pour recevoir le Prix Sakharov 2014 pour la liberté de l'esprit.

Lorsque le docteur congolais prononçait son discours d'acceptation le 26 novembre à Strasbourg, de nombreux députés européens n'ont  pu retenir leurs larmes. De ce discours, le site congolais kamotocentre.com a repris le passage suivant :

Comme tout être humain, je voudrais tant ne plus évoquer ces crimes odieux dont mes
semblables sont victimes. Mais comment me taire quand, depuis plus de quinze ans, nous voyons ce que même un
œil de chirurgien ne peut pas s’habituer à voir ? Comment me taire quand nous savons que ces crimes contre l’humanité sont planifiés
avec un mobile bassement économique ? Comment me taire quand ces mêmes raisons économiques ont conduit à l’usage du viol
comme une stratégie de guerre ? Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants.Comment pouvons-nous nous taire ?
Quel est cet être humain doué de conscience qui se tairait quand on lui emmène un bébé de six mois dont le vagin a été détruit soit par la pénétration brutale, soit par des objets contondants, soit par des produits chimiques ?

Prince Murhula décrit sur le site de l'Hôpital Panzi les manifestations de joie des femmes qui ont survécu aux violences et qui ont repris le gout de vivre grâce à la restitution de leur dignité:

Les survivantes des violences sexuelles prises en charge à Panzi se réjouissent de l’attention portée sur elles par le Parlement européen à travers le Dr Denis Mukwege. Après la remise du Prix Sakharov au médecin-directeur de Panzi, celles-ci ont jubilé dans la cour de l’hôpital pour exprimer leur soutien au médecin grâce à qui elles reprennent le goût de vivre.

Pour ces femmes, il s’agit d’un grand réconfort : “ça prouve qu’on est pas oubliées, que le reste du monde ne ferme pas les yeux sur notre sort” a déclaré une survivante en poussant des cris de joie.

Au son des tamtams et de chants de joie improvisés, ces femmes ont loué l’œuvre du Dr Mukwege qui ne se limite pas à soigner les blessures mais s’emploie aussi à faire valoir la cause de la femme pour que celle-ci recouvre sa dignité.

Voici la bande annonce sur le documentaire qui retrace son action dans cette région ravagée par les conflits : 

En décembre 2013, il avait reçu le prix Nobel alternatif ou Right Livelihood créé par le suédois Jakob von Uexkull en 1980 pour honorer les personnes ou organisations qui offrent des solutions concrètes aux défis de notre monde.

Logo de la campagne 16 jours pour mettre fin à la violence à la maison et dans le monde

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Mais, l'action du Dr Denis Mukwege dérange les plans diaboliques de ces hommes en armes qui détruisent des femmes et des sociétés. Le 25 octobre 2012, il a été victime d’une agression à son domicile de Bukavu, dans laquelle son gardien a trouvé la mort. En juin 2013, c'est un une de ses infirmières qui a été agressée à son domicile. En voici les détails publiés sur la page Facebook:

Madame Furaha Lugumire, infirmière à l'Hôpital Général de Référence de Panzi à Bukavu a été retrouvée la nuit du 21 au 22 Juin 2013 à minuit 3 minutes, immobilisée sur un mur d'une maison à côté de la Cité de la joie (City of Joy), toujours à Panzi. Selon l'un des policiers chargés de l'enquête, la victime a été retrouvée mains menottées derrière, elle respirait mais ne parlait pas. Il affirme qu'à côté de la victime on a retrouvé un sachet contenant de l'alcool. Madame Furaha Lugumire est présentement admise à l'hôpital de Panzi, elle est en train d'être examinée par divers médecins spécialistes de cette institution hospitalière.

Les résultats des examens nous permettront de connaitre l'état dans lequel se trouve notre collègue.
Pour rappel, Furaha a ét enlevé par des hommes inconnus le mercredi 19 juin à 20H00 à Panzi alors qu'elle revenait d'une fête de mariage au centre-ville.

Clara Fajardo Trigueros explique dans un billet paru sur cafebabel.fr, traduit de l'espagnol en français par Amélie Marin, les enjeux économiques et géopolitiques qui font de la province du Sud Kivu une région si dangereuse pour les femmes : 

La colombite-tantalite ou coltan est une des clefs qui expliquent ce qu'est aujourd'hui l'enfer du Congo, car le pays compte 80% de la réserve mondiale de cette ressource minière. Mais cela pourrait aussi être son salut. Un minerai qui n'était en d'autres temps qu'une curiosité géologique est devenue une pièce fondamentale de nos dispositifs technologiques.

En répondant à la demande démesurée de l'Occident pour ce minerai, nous comprendrons les intérêts géostratégiques et économiques que génèrent son obtention et sa vente. Des intérêts qui justifient de manière alarmante l'impunité de grandes entreprises et de gouvernements qui regardent ailleurs quand ils apprennent les chiffres de pertes de vies liées directement à ce marché sanguinaire, quelques 6 millions in crescendo.

Parmi les nombreuses pages créées sur Facebook pour soutenir son action, il y a celle qui est intitulée “We want 2013 Nobel Peace Prize for Dr Denis Mukwege” qui avait réuni près de 5300 fans et la pétition qui a été revue dans le meme but en 2014 a été signée par plus de 8 000 personnes. Elle a été créée par GFAIA asbl – Groupement des Femmes Africaines Intégrées et Actives. Parmi les nombreuses distinctions honorifiques qu'il a remportées, il y a l'érection d'un buste à son effigie par le réseau des organisations de développement de Panzi le 29 novembre 2014, au lendemain de son retour à Bukavu.

La première personnalité à recevoir le prix Sakharov pour la liberté d'expression fut le futur président de l'Afrique du Sud Nelson Mandela, en 1988. Depuis sa création, 5 Africains du sud du Sahara l'ont remporté.

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