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Zambie : l'approche de l'élection présidentielle attise les discours haineux sur les réseaux sociaux

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Zambie, Élections, Ethnicité et racisme, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique
Le leader de l'opposition UPND, M. Hakainde Hichilema (en chemise blanche et manches retroussées), en campagne dans le district de Luwingu de la province du nord à domination de l'ethnie bemba. Photo utilisée avec la permission de la Zambie Watchdog. [1]

Le leader de l'opposition UPND, Hakainde Hichilema (en chemise blanche et manches retroussées), en campagne dans le district de Luwingu dans la province du nord à dominante ethnique Bemba. Photo utilisée avec la permission de Zambian Watchdog.

Les Zambiens vont voter à l'élections présidentielles le 20 janvier 2015 suite à la mort en fonction du cinquième président républicain du pays, Michael Sata [2] [fr] en octobre 2014. M. Guy Scott, un député zambien de descendance écossaise, en sa qualité de vice-président assure l'intérim depuis la mort de M. Sata.

La Zambie compte plus de 70 langues et dialectes, cependant, les citoyens ont largement vécu en paix entre eux en particulier dans les zones urbaines y compris la région minière du Copperbelt, la capitale Lusaka, Livingstone et d'autres zones où les habitants de presque tous les groupes ethniques ont convergé à la recherche de travail et d'autres activités économiques. Néanmoins, la perspective de l'élection a été marquée par des accusations de discours de haine et de tribalisme à la fois en et hors ligne de la part des partis politiques en lice.

Les partisans du Front patriotique au pouvoir (PF), parti fondé par M. Michael Sata en 2001 et les membres de son groupe ethnique, les Bemba, usent désormais régulièrement d'insultes sur les médias sociaux contre les partisans de l'opposition, le Parti uni pour le développement national (UPND).

Lors d'un rassemblement récent en faveur du candidat du parti au pouvoir, le Front patriotique, M. Edgar Lungu, un de ses partisans, l'évêque Edward Chomba, a accusé [3] le candidat de l'opposition M. Hakainde Hichilema d'être un franc-maçon et un sataniste qui mange les bébés et boit du sang humain. Le chef de l'opposition a porté l'affaire en justice [4].

Sur les médias sociaux, les partisans du Front patriotique ont ridiculisé le groupe tribal tonga, à laquelle appartient M. Hichilema. Un utilisateur de Facebook s'est moqué [5] des origines pastorales du peuple tonga, suggérant que s'il était élu, M. Hilichema allait changer le drapeau de la Zambie en remplaçant le symbole national de l'aigle par une vache.

M. Dipak Patel, directeur de campagne pour le parti de  l'opposition UPND, a publié une déclaration [6] le 22 décembre exprimant sa déception envers le président par intérim M. Scott qui aurait permis le discours de haine contre M. Hichilema.

Un internaute connu sous le nom de Pan Africanist a réagi à la déclaration de M. Patel, un Zambien d'origine indienne, en disant [6] :

Je suis déçu que Dipak [Patel] soit un @ # $%. Quoi qu'il en soit, que pouvez-vous attendre avec un nom comme Patel.

Des commentaires de cette nature ont été publiés des deux côtés. Répondant à un article [7] à propos de l'ordonnance de la Haute Cour zambienne de Lusaka que la Zambian National Broadcasting Corporation [Radiotélévision nationale de la Zambie] devait couvrir “adéquatement et équitablement” les campagnes des candidats de l'UPND, un Anyoko a dit :

Le PF a amené un muzungu [un blanc] SCOT [le président par intérim] ainsi que des confusions puis l'UPND [le principal parti d'opposition] qui flirte avec un Mwenye (Patron) DIPAK PATEL [le directeur de campagne de l'UPND, qui est d'origine indienne]. Allez ZEDIANS nous pouvons le faire nous-mêmes sans ces demi-zambiens, un zambien peut-il parler de politique en INDE encore moins en Ecosse [les parents du Président par intérim Guy Scott sont écossais] ? ALA REVEILLEZ-VOUS UP KUZIIMA

Comme le montrent ce message et beaucoup d'autres conversations en ligne, l'Internet est devenu un voie privilégiée pour les préjugés ethniques et les discours de haine pendant la période électorale en Zambie.

En 2012, M. Amos Malupenga, alors Secrétaire permanent au ministère de l'information et des services de radiodiffusion, avait demandé [8] à l'Autorité zambienne pour la communication et la technologie d'élaborer une loi qui punissant les utilisateurs de l'Internet qui envoyaient des publications et des messages considérés comme haineux. Mais à ce jour, en décembre 2014, il n'y a aucune loi qui freine spécifiquement les discours haineux en ligne en Zambie.

La doctrine internationale en matière des droits de l'homme traite, cependant, de la question. L'article 20.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipule que [9] [fr] “Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi.”

Le défenseur des droits humains Rueben Lifuka a remarqué cette tendance sur ​​un billet de sa page Facebook [9] :

Cette période de campagne électorale a mis en évidence certaines vérités tristes sur nous-mêmes en tant que personnes. Aujourd'hui, nous trouvons qu'il est facile de nous joindre à la fête quand des politiciens que nous ne soutenons pas sont ridiculisés, faussement accusés, insultés et humiliés. Nous faisons joyeusement des commentaires appuyant ces déclarations odieuses. Nous sommes heureux que ces commentaires abaissent la position des adversaires de notre candidat préféré aux yeux de l'opinion publique. 

En plus de s'insulter entre ethnies, on utilise les médias sociaux également pour menacer les journalistes et d'autres Zambiens ayant des opinions politiques différentes. Parmi ceux qui ont été menacés de mort il y a le spécialiste des médias basé aux États-Unis Champ Ruwe et cet auteur [10].

Notant une augmentation des discours de haine parmi les utilisateurs  zambiens de médias sociaux, une organisation non gouvernementale internationale de médias opérant en Zambie et la sous-région de l'Afrique australe, l'Institut Panos en Afrique australe (PSAF) [11], a invité les internautes à éviter cette pratique. Mme Lilian Kiefer, directrice exécutive de PSAF, a déclaré [12] dans un communiqué :

PSAF croit que la communication a le pouvoir d'influencer la direction de toute une société ou d'un pays, que ce soit positivement ou négativement. Un mot positif sur les médias sociaux peut aider les gens à voir le potentiel de la Zambie pour les encourager à jouer leur rôle dans l'édification de la nation. De la même façon, un seul mot négatif peut causer l'anarchie, la confusion et perturber la paix du pays. Un commentaire imprudent sur les médias sociaux peut monter les gens les uns contre les autres, alimentant des conflits inutiles dans le pays. Chacun de nous peut faire le choix d'utiliser un langage responsable sur les médias sociaux pour promouvoir un  débat constructif basé sur les problèmes …. L'intimidation, les insultes et les menaces sur les médias sociaux constituent un affront à la démocratie, d'autant plus que le pays célèbre ses 50 ans de l'Indépendance. 

Malgré les bonnes intentions, la déclaration de Mme Kiefer n'a pas réussi à instaurer le genre de critique constructive qui est vitale pour une démocratie forte. Et elle soulève des questions difficiles pour les législateurs, qui doivent respecter le droit à la liberté d'expression tout en travaillant aussi pour s'assurer que le discours en ligne n'incite pas à la violence ethnique ou à l'expression de haine. À l'ère numérique, et en particulier dans une période de campagne électorale, ce n'est pas une mince tâche.