Libertés civiles ou terrorisme : Que sommes-nous prêts à céder ?

 

Frontera entre Alemania y Holanda

A la frontière entre l'Allemagne et les Pays-Bas dans la zone Schengen, actuellement non surveillée. Source photo : Wikipedia Commons, reproduite sous licence CC BY SA 3.0.

Dimanche 11 janvier, les manifestants ont défilé par millions dans toute l'Europe pour témoigner de leur aversion contre l'attentat visant le magazine français Charlie Hebdo et la tentative de faire disparaître la liberté d'expression. Le même jour, les ministres de l'intérieur des pays membres de l'Union Européenne (UE) ont discuté ensemble d'une politique commune de lutte contre le terrorisme en Europe. 

Beaucoup pensent que la défense de la liberté a été de courte durée pour ces dirigeants, puisque les mesures envisagées vont de la restriction de la liberté de circulation dans l’espace Schengen à la collecte de données sur les communications et les déplacements de certaines catégories d'individus, sans oublier une surveillance rapprochée de l'Internet et des réseaux sociaux. 

Le Ministre espagnol de l'intérieur Jorge Fernández Díaz, père de la controversée loi du bâillon, plaide pour le rétablissement des contrôles aux frontières à l'intérieur de l'espace Schengen, en modifiant au besoin ce traité, ainsi que pour un renforcement de la surveillance d'Internet pour “contrer la propagande et le recrutement des terroristes.” Pour lui, ces mesures sont justifiées parce que : 

Nuestro sistema de valores y libertades está amenazado. No podemos permitir que los que amenazan la libertad se aprovechen de ella para atentar contra nosotros.

Notre système de valeurs et de libertés est menacé. Nous ne pouvons permettre que ceux qui menacent la liberté en tirent profit pour nous attaquer. 

Le Guardian va plus loin, et croit savoir que les ministres européens veulent s'assurer la coopération des réseaux sociaux : 

Les ministres de l'UE s'apprêtent à presser l'industrie des médias sociaux – les opérateurs comme Google, Facebook, et Twitter – de coopérer pour empêcher les djihadistes et les terroristes d'utiliser l'internet comme sergents recruteurs et instruments de propagande incitant à la haine et à la violence.

Le Premier Ministre du Royaume-Uni David Cameron, a demandé que “les services de renseignement soient habilités juridiquement à s'introduire dans les communications cryptées des terroristes suspectés”, ce qui a justifié ces mots du président du conseil du Barreau : 

Que la surveillance puisse sauver des vies paraît indéniable. Un des objectifs des extrémistes prêts à commettre des crimes barbares à l'appui de supposées fins religieuses ou politiques, est cependant que les libertés durement gagnées de la population civiles soient rognées et qu'un coin soit enfoncé entre les membres de la société qui divergent sur le degré auquel les libertés personnelles doivent être sacrifiées sur l'autel de la sécurité publique.

La proposition de David Cameron n'est pas seulement discutable sur le plan des droits humains, elle est également techniquement complexe à réaliser. Cory Doctorow explique sur BoingBoing : 

Pour que la proposition de David Cameron fonctionne, il devra cesser d'empêcher les Britanniques d'installer des logiciels provenant de développeurs situés hors de sa juridiction. […] Le système qu'il propose existe déjà dans des pays comme la Syrie, la Russie et l'Iran (pour information, il n'a vraiment profité à aucun de ces pays). Il y a deux voies par lesquelles les gouvernements autoritaires ont essayé de restreindre l'usage de la technologie sécurisée : le filtrage des réseaux et les mandats de technologies.

En Allemagne, le gouvernement prépare une loi qui autorisera la privation de papiers d'identité pendant trois ans pour les djihadistes potentiels afin de les empêcher de rejoindre des groupes terroristes à l'étranger. Le gouvernement belge a demandé la création d'un registre européen des combattants étrangers, une idée difficile à mettre en oeuvre tant sont différentes dans les différents pays de l'UE la définition desdits combattants tout comme les procédures d'enquêtes et les moyens de preuve. 

Le président du Conseil européen Donald Tusk a appelé le Parlement Européen à débloquer la création de la directive sur le registre de noms de passagers (PNR). Ce registre contient des données personnelles, telles que nom, mode de paiement du voyage, itinéraire et coordonnées. Ce qui engendre la méfiance non seulement de nombreux députés européens, mais aussi de la Cour européenne de justice, qui émet des doutes sur sa compatibilité avec la législation européenne sur la protection des données personnelles.   

D'autres politiciens ont même fait un pas de plus, telle la chef de file de l'extrême-droite française Marine Le Pen, qui a a choisi Twitter pour relancer la question du rétablissement de la peine de mort en France.

Toutes ces propositions alarment divers pans de la société européenne, qui mettent en garde contre le danger de prendre des décisions “à chaud” et rappellent qu'à d'autres occasions, des mesures similaires n'ont pas apporté de bons résultats et ont souvent permis aux autorités de négliger les libertés civiles. Dans son article “Donnez-moi un peu de votre liberté et je vous donnerai plus de sécurité”, Isaac Rosa écrit : 

…esa moto ya te la han vendido otras veces, y acabó siendo un timo. (…) ¿No llevamos tres lustros aceptando recortes en libertades y, por el mismo precio, guerras, invasiones, torturas, cárceles secretas? ¿Acaso el mundo es hoy un lugar más seguro?”.

Líderes europeos en la manifestación del 11-1-2015 en París, entre ellos Holande, Merkel, Juncker y Cameron.

Les chefs d'Etat européens à la manifestation du 11 janvier 2015 à Paris : Hollande, Merkel, Juncker, et Cameron. Photo cuartopoder sous licence CC BY NC 3.0.

… cette salade on vous l'a déjà vendue d'autres fois et ça a fini par devenir une arnaque. (…) Est-ce qu'on n'accepte pas depuis quinze ans des réductions de nos liberés, et pour le prix, on a des guerres, des invasions, la torture et les prisons secrètes ? Le monde serait-il devenu plus sûr aujourd'hui ?  

Dans son billet “Vous n'êtes pas Charlie“, le journaliste Javier Gallego fustige durement l'hypocrisie de ces dirigeants qui ont défilé dimanche dernier à et pour Paris, drapés “dans le drapeau de la liberté* avec lequel ils s'essuient le derrière le restant de l'année”, et conclut : 

Me temo que de la matanza de Charlie no saldremos con más libertad sino con menos. Ya estamos viendo cómo los ministros de Interior europeos quieren defender la libertad limitando las libertades. Es justo lo que no hay que hacer. No se puede dar un paso atrás ni ante las pistolas ni ante los chantajes. Eso sería darle la razón a los asesinos. Por eso es tan necesaria la sátira salvaje de Charlie Hebdo. La sátira no hace prisioneros ni tiene aliados. Eso y no otra cosa es la verdadera libertad de expresión.

J'ai bien peur que nous ne sortirons pas de la tuerie de Charlie avec plus de liberté, mais moins. Nous voyons déjà les ministres de l'intérieur chercher à défendre la liberté en limitant les libertés. C'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Nous ne pouvons pas reculer ni devant les fusils ni devant le chantage. Ce serait donner raison aux assassins. C'est pourquoi la satire sauvage de Charlie Hebdo est si nécessaire. La satire ne fait pas de prisonniers ni n'a d'alliés. C'est cela et rien d'autre la véritable liberté d'expression.

* en français dans le texte

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