L'islamiste britannique Anjem Choudary ne représente pas tous les musulmans (Expliquez ça au journal USA Today)

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Image publiée sur Twitter par @MlleMaaandy, étudiante en communication à l'Université d'Avignon.

[Billet d'origine publié le 11 janvier 2015] L'ensemble des médias de la planète – et une grande partie de la population mondiale – est  en deuil suite à la mort de douze personnes aux mains d'assasins cagoulés. L'attaque des locaux du magazine satirique Charlie Hebdo à Paris a engendré différentes discussions à propos de la liberté d'expression, du discours incitant à la haine et du “choc des civilisations.” 

Jeudi, USA Today— deuxième diffusion de la presse américaine— a publié un article d'opinion écrit par Anjem Choudary, un islamiste britannique qui défend la loi islamique au Royaume Uni, et qui a souvent été appelé extrémiste par ses compatriotes. Dans l'article, Chouday a choisi de parler pour le compte de ses 1,6 milliard de coreligionnaires, en affirmant : “Les musulmans ne croient pas au concept de liberté d'expression, car leurs discours et actions sont déterminés par la révélation divine et ne sont pas basés sur les désirs des personnes.”

Son auto-proclamation de porte-parole de tous les musulmans est ridicule, mais le journal parait néanmoins l'avoir cru , en présentant son opinion comme le seul point de vue contraire à l'éditorial soutenant la liberté de la presse en solidarité avec Charlie Hebdo. Comme le journaliste du Daily Dot, Patrick Howell O’Neill l'écrit, “Choudary prend trop fréquemment le micro comme s'il représentait réellement tous les musulmans [et] beaucoup d'entre eux en sont furieux”.

Lorsque j'ai signalé cela sur Twitter, l'éditeur du forum de USA Today a évoqué, comme en différentes occasions, des sondages dans les pays musulmans, comme s'il insinuait que l'opinion de Choudary n'était en fait pas si éloignée de celle de la majorité. 

@jilliancyork Nous l'avons qualifié d'”extrémiste” (voir biographie). De nombreuses personnes partagent son opinion. Consultez les sondages dans les pays musulmans sur la lapidation des femmes adultères. 

Ce que l'on ne devrait pas être obligé de dire est la chose suivante : les musulmans constituent approximativement 23% de la poulation mondiale et vivent partout dans le monde, des Etats-Unis à l'Indonésie. Comme les chrétiens ou les juifs, leur piété varie amplement, comme leurs systèmes de croyance et leurs pratiques religieuses. Certains musulmans soutiennent l'idée de la liberté d'expression et certains non. Comme dans n'importe quelle population.

En France, selon Juan Cole, un tiers seulement de la population musulmane se dit interéssée par la religion. Cole soutient que le but des terroristes en attaquant Charlie Hebdo n'était pas en soi de faire taire les journalistes mais d'”augmenter les contradictions” en poussant les “Français non musulmans à être inhumains avec les Français musulmans pour le seul fait de leur religion.”

Cela a l'air de fonctionner. Depuis l'attentat de Paris, il y a eu une série de représailles contre les musulmans. En présentant les détestables opinions de Choudary comme représentatives de la population musulmane, USA Today alimente la théorie de plus en plus populaire de “nous contre eux” . Nous, les occidentaux civilisés qui n'attaquent rien qu'avec des crayons, eux, les sauvages qui ne peuvent encaisser un simple discours. 

Evidemment ce n'est pas si simple. Il n'y a rien qui puisse justifier le cruel massacre de journalistes… mais il n'y a rien qui justifie non plus l'agression de l'Occident au monde musulman. Paraphrasant une excellente phrase d'un post avec lequel je ne suis d'accord qu'en partie, il faut se rappeler que les “puissantes plumes de la civilisation occidentale” ne sont pas les seuls missiles visant les musulmans. Ce discours n'est pas dépourvu de sens.

J'ai passé la majeure partie de la dernière décennie à travailler dans le monde arabe avec quelques-uns des plus grands défenseurs de la liberté d'expression, dont de nombreux musulmans. Bien qu'ils aient des opinions différentes sur ce qui constitue “un discours incitant à la haine”, la plupart d'entre eux soutiennent l'éthique du “il se peut que je ne sois pas d'accord avec ce que tu dis, mais je me battrais jusqu'à la mort pour ton droit à le dire”. Des amis, comme Alaa Abd El Fattah, ont été emprisonnés pour leurs propos, alors qu'ils étaient  calomniés par les médias occidentaux. La majorité d'entre eux vit dans des pays où la censure s'est historiquement montré implacable et ils comprennent par expérience propre ce que veut dire de devoir choisir un discours consideré acceptable.

Choudary, pour sa part, a vécu toute sa vie au Royaume Uni, un pays qui, bien que perfectible dans le domaine du droit, offre beaucoup plus de liberté d'expression que le pays de ses parents, le Pakistan. De sa position là-bas, il est facile pour lui de prétendre parler au nom des milliards de musulmans dont il comprend à peine les combats.

Voici cinq articles et auteurs à qui USA Today aurait pu faire place au lieu de Choudary: 

Jillian est écrivain, activiste, chercheuse et blogeuse. Elle travaille comme directrice de la liberté d'exression internationale à Electronic Frontier Foundation. Jillian est représentante des volontaires au conseil d'administration de Global Voices.

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