
Un dessin révélateur sur le Yémen par Amjad Rasmi : le traditionnel poignard (Janbiyah) porté par les Yéménites est devenu un point d'interrogation inversé.
Le Yémen, souvent qualifié d’ “Etat failli” ou “au bord du gouffre“, est désormais un pays sans président ni gouvernement. A l'instar des observateurs, les Yéménites de l'intérieur eux-mêmes sont dépassés par les derniers développements dramatiques dans le pays, qui ont abouti à la prise fulgurante de la capitale Sanaa par la milice houthiste. Les Houthistes se sont également emparés des médias publics, du palais et de la résidence présidentielles, de la résidence du premier ministre, ont établi des barrages autour des bâtiments publics et pris le contrôle d'une base de l'armée, avec pour conséquence finale la démission jeudi 20 janvier du premier ministre, du gouvernement et du président.
Le journaliste yéménite et directeur du Centre de Sondage du Yémen Hafez Albukari a tweeté :
Yemenis are witnessing one of the most mysterious times in the contemporary history. We r n Sanaa but don’t know what is happening! #Yemen
— Hafez Albukari (@hafezbukari) January 21, 2015
Les Yéménites assistent à un des moments les plus mystérieux de l'histoire contemporaine. Nous sommes à Sanaa mais ignorons ce qui se passe !
Après avoir pris Amran au milieu de l'été, les Houthistes, une rébellion que l'on dit soutenue par l'Iran et qui prétend agir contre la corruption et les malversations, se sont emparés de Sana'a et du reste du pays en septembre dernier, pour finir par devenir le pouvoir de fait au Yémen. Avec la signature de l’Accord national de partenariat et de paix (PNPA en anglais), un pacte de partage du pouvoir qui visait à inclure les houthistes et les séparatistes du Sud dans un gouvernement d'union, le président devait désigner un premier ministre “neutre, sans aucune affiliation partisane” dans les 3 jours ; la formation d'une nouvelle équipe de ministres était attendue dans les 30 jours. Mais dénicher un premier ministre remplissant ces critères et agréé par toutes les factions tenait de la gageure.
Hisham Al-Omeisy a tweeté sarcastiquement :
Disturbingly, this is no longer reason for delay in selecting #Yemen PM..new PM now just needs be agreeable to all! pic.twitter.com/4xkz4YPVAc
— Hisham Al-Omeisy (@omeisy) October 6, 2014
[sur le dessin : “Bien, Messieurs, nous devons établir les critères de choix d'un nouveau Premier Ministre. Il doit être un homme politique de premier plan… réellement qualifié] Inquiétant, ce n'est plus une raison pour retarder le choix du premier ministre yéménite… le nouveau devra juste convenir à tous
Le Président avait initialement nommé Ahmed Awad Ben Mubarak, qui a été le Secrétaire général de la Conférence de dialogue national (acronyme anglais NDCYE). Une désignation qui s'est heurtée au refus du président déchu Ali Abdullah Saleh et de son parti, le Congrès général du Peuple (GPC), ainsi que des houthistes. Ben Mubarak, qui était le chef de cabinet du président Abdu Rabu Mansour Hadi a été enlevé par les houthistes samedi dernier, 17 janvier, et demeurait captif lors de l'écriture du présent article. C'est Khaled Mahfoudh Bahah, à l'époque ambassadeur du Yémen aux Nations Unies, et ancien ministre du pétrole, qui a été désigné premier ministre à sa place, le 13 octobre 2014 à la satisfaction des houthistes. Après les nominations et rejets, le gouvernement nouvellement constitué, qui comportait de nouvelles têtes et trois portefeuilles attribués à des femmes, était un cocktail prometteur qui avait tout de même apporté espoir et optimisme.
Mais le PNPA, et le meilleur gouvernement formé depuis 2011, sont restés éphémères. L'insurrection houthiste et des revendications sans fin ont éloigné les sympathisants du début alors que se dissipait la vision d'un Yémen civil et moins corrompu. Au lieu d'honorer leur part de l'accord en se retirant, les houthistes ont multiplié les miliciens et les barrages routiers dans Sana et enlevé le chef de cabinet du président pour réclamer la modification du projet de constitution et une plus grande part de pouvoir, ce qui a abouti à leur prise de contrôle totale de Sanaa dans les événements de la semaine dernière.
Waddah Othman a tweeté ce qu'est la vision déformée du partenariat par les houthistes :
فرض الشراكة هو انك تنفذ لي كل الحاجات اللي اشتيها وبالنسبة للحاجات اللي تشتيها انت ممكن نجلس لاحقاً ونناقشها
— وضاح اليمن (@WaddahOthman) January 19, 2015
Le partnerariat : vous satisfaites tous mes besoins et exigences, quant aux vôtres on peut s'asseoir et en discuter plus tard
Ignorant le battage médiatique à l'international et dans le Golfe sur les peurs d'une prise de contrôle du Yémen par AQPA (Al-Qaida dans la Pénisule arabique) ou l'Iran, les Yéménites s'inquiètent surtout de qui va remplir le vide du pouvoir dans leur pays.
Haykal Bafana a dissipé cette craine dans son tweet :
Manic Western press : Lay off all these Tehran Terror stories on Yemen. I don't hear no one speaking Farsi on the streets of Sanaa yet.
— Haykal Bafana (@BaFana3) January 23, 2015
A la presse occidentale maniaque : laissez tomber tous ces articles de Terreur de Téhéran sur le Yémen. Je n'entends encore personne parler persan dans les rues de Sanaa.
Gregory Johnson, auteur de “Le dernier refuge : Le Yémen, al-Qaida et la guerre de l'Amérique en Arabie” partage cet avis :
Either AQAP is about to take over Yemen, or Iran is about to take over Yemen. (Neither is true.)
— GregorydJohnsen (@gregorydjohnsen) January 23, 2015
Soit c'est AQPA qui s'apprête à s'emparer du Yémen, soit c'est l'Iran (Aucun des deux n'est vrai)
Et d'ajouter :
Badr al-Din al-Huthi- the father of ‘Abd al-Malik – spent time in Iran, but that didn't make him either a 12'er Shia or Iranian client.
— GregorydJohnsen (@gregorydjohnsen) January 23, 2015
Badr al-Din al-Huthi, le père d”Abd al-Malik, a vécu en Iran, mais ça n'en fait ni un chiite duodécimain ni un client de l'Iran.
Beaucoup s'interrogent au Yémen sur les intentions des houthistes et la soudaineté de leur accès au pouvoir : comment cette minorité a-t-elle pu contrôler en un tournemain les villes de tout le Yémen, limoger des responsables publics, et finalement mettre à genoux la direction de l'Etat ? ce qui se révèle indiscutable, c'est que les houthistes n'opèrent pas seuls.
Osamah Al-Rawhani s'étonne :
#Yemen Before sleep Q: what is the Houthi legitimacy to do all this bulls**t? He speaks on behalf of a minority group but still controlling
— Osama Abdullah (@AlrawhaniOsama) January 19, 2015
#Yémen Question avant de dormir : quelle est la légitimité des houthistes à faire toutes ces conneries ? Il parle pour un groupe minoritaire mais contrôle quand même
Abubakr Al-Shami évoque l'implication de [l'ex-président] Saleh :
Sometimes you just have to stand back and applaud. Well done Ali Abdullah Saleh.
— Abubakr Al-Shamahi (@abubakrabdullah) January 22, 2015
Parfois on ne peut que tomber en arrêt et applaudir. Bien joué Ali Abdullah Saleh.
Afrah Nasser, un journaliste et blogueur yéménite vivant en Suède, le pointe sans ambiguïté :
W/ Houthis taking over forcefully,it's not tht Yemen is a failed state,it's that Saleh remains a highly influential man backing the Houthis.
— Afrah Nasser (@Afrahnasser) January 19, 2015
Les houthistes qui prennent le contrôle de force, ce n'est pas parce que le Yémen est un Etat failli, mais que Saleh reste un homme hautement influent derrière les houthistes.
La question de qui va gouverner le pays reste largement sans réponse, dans la crainte d'un possible scénario de retour de l'ancien régime avec une façade rajeunie, surtout depuis que le président déchu Ali Abdullah Saleh a appelé à des élections anticipées, pour peut-être paver la voie à son fils aîné. Il a été vu comme le tireur de ficelles des événements dramatiques de la semaine dernière.
Selon le Yemen Times (citant Nadia Al-Sakkaf), le ministre yéménite de l'Information dans le gouvernement Bahah a courageusement tweeté des mises au point durant la prise de contrôle par les houthistes :
Selon la constitution actuelle — celle en projet reste en discussion — si le président est empêché pour raison de santé, ou s'il renonce à ses fonctions, c'est le président du Parlement qui accède au poste. L'actuel président du Parlement, Yahya Al-Rayi, est un haut responsable du GPC et a été blessé dans un attentat de 2011 contre le Palais Présidentiel.
Cependant, le mandat du Parlement actuel, élu en 2003, devait expirer au bout de six ans, en 2009. L'accord stipulait que les élections seraient reculées de deux ans. Les élections à échéance en 2011 ont été repoussées une nouvelle fois du fait du soulèvement de 2011. Le GPC détient 238 sièges sur 301 au Parlement.
La démission de Hadi mettrait fin au dispositif, selon Al-Sakkaf, et le mandat prorogé du Parlement serait dissous, mettant fin à l'éventualité d'un accès d'Al-Rayi à la présidence.
Jeb Boone, un journaliste américain qui vivait au Yémen durant le soulèvement de 2011 qui a renversé Saleh, commente :
If international community had allowed #Yemen‘s youth to oust the old systems of government in 2011 none of this would have ever happened
— Jeb Boone (@JebBoone) January 22, 2015
Si la communauté internationale avait laissé la jeunesse du Yémen renverser l'ancien régime en 2011 rien de cela ne serait arrivé
Si vous ne comprenez toujours rien à la situation au Yémen, il vous reste l'explication simplifiée du blogueur satirique Karl Sharo :
I don my western pundit hat on once again and write The Confused Person's Guide to Understanding #Yemenhttp://t.co/qRPOhlip0h
— Karl Sharro (@KarlreMarks) January 23, 2015
Je mets une fois de plus ma casquette d'expert et écris le Guide Comprendre le Yémen pour les Nuls
Le week-end a vu des manifestations refusant la démission de Hadi et contre les houthistes à Sanaa, Taiz, Ibb, Hodeidah, et Al-Baydha, tandis que d'autres rassemblements réclamaient la sécession des provinces du sud et la rupture des liens avec Sana'a. Pourtant le Yémen n'est pas seulement aux prises avec un vide politique, mais aussi avec une catastrophe humanitaire annoncée passée actuellement sous silence comme le souligne Oxfam.
Le parlement yéménite devait se réunir en urgence dimanche pour débattre de la démission de Hadi ou former un conseil présidentiel chargé de gouverner le pays jusqu'à la tenue des élections. La session a été annulée sine die.
Malgré l'incertitude qui plane, les Yéménies sont des gens résilients toujours prêts à voir le côté positif, comme l'a tweeté Abubakr Al-Shamahi :
“We don't have a president, a government, an army, security, money, or a state. Yet we're alive. Long live the Yemeni people!”
— Abubakr Al-Shamahi (@abubakrabdullah) January 21, 2015
“Nous n'avons pas de président, ni d'armée, de forces de l'ordre, d'argent ou d'Etat. Mais nous sommes vivants. Vive le peuple yéménite !”
A quoi Mohammed Al-Assadi a ajouté :
Despite serious challenges on ground, people of #Yemen were building hope everyday that a solution may emerge at the end of the dark tunnel.
— Mohammed Al-Asaadi (@alasaadim) January 22, 2015
Malgré les graves problèmes sur le terrain, les gens du Yémen ont construit chaque jour l'espoir qu'une solution apparaisse au bout du tunnel obscur.
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