- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Comment #Euromaïdan et le conflit avec la Russie ont changé l'Internet ukrainien

Catégories: Russie, Ukraine, Gouvernance, Guerre/Conflit, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Киев, Украина. 6 декабря 2014 года — батальон прибыл, чтобы почтить память убитых во время столкновений с полицией. На тротуаре из масляных ламп выложен герб Украины. Жители Киева приветствуют 12-й батальон территориальной обороны «Киев», вернувшийся из зоны боёв с пророссийскими сепаратистами в Донбассе. Солдаты и жители отдают дань памяти погибшим. Фото Стаса Козлюка, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. Le 6 décembre 2014, un bataillon honore le souvenir des manifestants tués lors des affrontements avec la police à Kiev. Sur le trottoir, des dizaines de bougies dessinent le drapeau ukrainien. Les habitants de la capitale ukrainienne saluent le 12e bataillon de défense territoriale “Kiev”, de retour des zones de combat contre les séparatistes pro-russes du Donbass. Soldats et habitants rendent hommage à la mémoire des défunts. Photo Stas Kozliouk, © Demotix 2014.

[Billet d'origine publié en anglais le 9 janvier 2015] Si pour de nombreux pays européens, l'année 2014 n'a pas été simple, aucun d'entre eux ne peut comparer les difficultés vécues durant l'année écoulée avec celles qu'a connues l'Ukraine.
Ce qui avait commencé comme une série de manifestations pacifiques [1] contre une décision du gouvernement qui déplaisait à de nombreux Ukrainiens s'est transformé en conflit armé international contre l'ex-allié russe, un conflit qui n'a pas fini d'affecter l'Europe et le reste du monde.
Sur Internet, images et récits sur l'Ukraine et le conflit en Crimée ont ému des millions de personnes à travers le monde. Global Voices a voulu savoir comment, sur une année, ce conflit avait modifié l'usage d'Internet en Ukraine.

1. #Еuromaïdan
#Еuromaïdan [#Евромайдан en caractères cyrilliques] désigne le soulèvement populaire et citoyen contre le régime de Ianoukovitch. En ligne ou non, il est l'événement principal de 2013 – et s'est poursuivi en 2014. Еuromaïdan commence par une série de manifestations pacifiques contre la décision surprise du gouvernement fédéral de pas ratifier l'accord d'association avec l'Union européenne, pour au contraire se rapprocher de la Russie ; il dégénère peu à peu en soulèvement de tout un peuple – qui devait se conclure par la fusillade tragique de manifestants à Kiev, la fuite de Ianoukovitch, des élections présidentielles et législatives anticipées, et une complète réorientation géopolitique de l'Ukraine [2] vers l'Occident.

Même s’il ne faut pas surestimer [3] [en anglais] le rôle des réseaux sociaux durant la révolution ukrainienne d'Euromaïdan, il reste que les technologies du Web et des réseaux sociaux ont eu une grande influence [4] [en anglais] sur les événements. En effet, on peut considérer que l'étincelle qui a allumé le feu est un post sur Facebook signé d'un célèbre journaliste. Aux débuts de l'Euromaïdan, Facebook sert aux manifestants à s'organiser, et Twitter et Youtube à communiquer entre eux et avec le monde extérieur. Par la suite, le mouvement Euromaïdan perdure et prend une dimension internet très puissante : c'est sur Internet que les activistes partagent l'information, débattent des réformes et s'organisent pour continuer à faire pression sur le nouveau gouvernement ukrainien.

Киев, Украина. 23 декабря 2014. Парламент в Киеве стал сценой, на которой активисты оглашали требования по бюджету на 2015 год, который должны были принять депутаты. Протестующие вышли против сокращение социальных расходов, приватизации государственной собственности и банковской тирании. Фото Назара Фурика, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. 23 décembre 2014. Le parlement de Kiev devient la chambre d'écho des revendications des manifestants au sujet du budget 2015 que doivent adopter les députés. Les manifestants se prononcent contre la suppression des dépenses sociales, la privatisation des biens de l'Etat et la tyrannie des banques. Photo Nazar Fourik, © Demotix 2014.

2. Une révolution en direct
En 2013-2014, la consultation d'Internet en direct est un outil clé pour qui veut suivre à distance les manifestations d'Euromaïdan. Des contributions d'abord individuelles qui fin 2013 constituent des flux, puis des dizaines de canaux en ligne assurant une retransmission directe des événements [5] [en anglais] depuis les principaux lieux de protestation en Ukraine.

Après la chute du gouverbement Ianoukovitch, fin février 2014, les Ukrainiens continuent à retransmettre en direct aussi bien les rencontres clés avec les manifestants que des débats publics sur l'avenir de l'Ukraine.

Aujourd'hui le projet indépendant et financé en grande partie par du crowdfunding [6] [en anglais] de «télévision en ligne» « Hromadske.TV [7]», après avoir bénéficié d'un intérêt resté très vif pour l'Euromaïdan, s'est installé en première ligne sur les réseaux sociaux. La principale chaîne de télé nationale du pays a ainsi plusieurs fois utilisé les contenus de HromadskeTV.

3. Un nouveau gouvernement sur Facebook
Au printemps 2014, les violences qui ont lieu avant la chute de Ianoukovitch écornent sérieusement la confiance des Ukrainiens envers leurs institutions, spécialement la police. C'est dans cet contexte que Facebook devient une plateforme cruciale pour débattre des événements politiques en cours en Ukraine. En effet, certaines figures clés du gouvernement provisoire se mettent à l'utiliser comme un canal de liaison direct avec la société.

Un exemple : le nouveau ministre des Affaires étrangères Arsène Avakov est connu pour publier chaque jour le rapport de son activité sur  [8]Facebook. Durant la période troublée qui suit l'annexion de la Crimée et la poursuite des combats dans le Donbass, où les combattants pro-Russes se battent contre les régiments ukrainiens, les billets réguliers d'Avakov sur son blog connaissent un grand succès, car ils répondent bien aux exigences d'une plus grande transparence (non sans, évidemment, que quelques commentateurs se demandent s'il est bien nécessaire qu'un ministre passe autant de temps sur Internet).

Киев, Украина. 2 декабря 2014 года. Депутаты 8-го созыва собрались для объявления состава нового правительства. После открытия заседания спикер Владимир Гройсман приостановил заседание для проведения консультаций. Вскоре Рада утвердила новое правительство. Фото Олега Переверзева, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. 2 décembre 2014. Les députés de la 8e législature sont réunis pour proclamer la composition du nouveau gouvernement. Après l'ouverture de la séance, le rapporteur Vladimir Groisman la suspend pour consultation. Puis la Rada approuve le nouveau gouvernement. Photo Oleg Pereverzev, © Demotix 2014.

Mais Avakov n'est pas seul sur Internet. Quelques autres acteurs importants du gouvernement se sont joints à un débat public sur la Toile — être présents sur les réseaux sociaux est devenu une nouvelle nécessité pour les figures politiques ukrainiennes de haut rang. Quelques organes moins en vue se font aussi une place sur Internet. Par exemple, la ville occupée de Lvov incite [9] [en anglais] sa police à venir sur Facebook, de façon à rendre les forces de l'ordre plus accessibles aux simples citoyens.

4. Une guerre de l'information en ligne entre Russie et Ukraine
Sur fond d'annexion de la Crimée par la Russie et de soutien russe aux rebelles qui combattent maintenant à Donetsk et Lougansk, il est de plus en plus difficile d'accéder à des informations fiables au sujet de l'Ukraine de l'Est. Le plus souvent, les seuls témoignages de première main sur l'actualité brûlante dans les régions prises dans le conflit sont fournis par les réseaux sociaux.

Surtout, les internautes auront été les premiers à remarquer les déclarations de soldats [russes] qui ont publié des selfies géolocalisés en Ukraine [10] [en anglais], bien que le Kremlin continue à nier activement y avoir envoyé des troupes. Ces événements conduisent à la création de projets spéciaux de reportages citoyens collectifs [11] sur les mouvements de miliciens et de militaires russes en Ukraine [en anglais, russe et ukrainien].

Les réseaux sociaux ont aussi mené l'enquête sur le crash du vol MH17, abattu sur une partie du territoire ukrainien contrôlée par les séparatistes, produisant d'importants témoignages sur ce qui semble être la main du Kremlin [12] [en anglais] derrière cette attaque, et que les médias officiels nient tout à fait maladroitement [13].

Les observateurs notent aussi l'augmentation des campagnes de désinformation menées par des trolls rémunérés par le Kremlin [14] [en anglais], qui ont pour mission de discréditer des données factuelles et de répandre la désinformation pour justifier l'action de la Russie en Crimée et dans l'est ukrainien [15] [en anglais]. En réponse sont lancées des initiatives de fact-checking [16]  indépendantes pour démonter les mensonges des médias et lutter contre la propagande russe dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.

5. Les soldats sur les réseaux sociaux
Au printemps 2014, les groupes de combattants soutenus par la Russie à Donetsk et Lougansk prennent le contrôle de parties significatives de ces villes, déclenchant un conflit armé avec le nouveau gouvernement ukrainien.

L'extrême faiblesse de l'armée ukrainienne par rapport aux forces russes, la possibilité que les troubles séparatistes s'étendent à d'autres régions, et aussi la menace d'une invasion militaire à grande échelle venant de la Russie, tous ces facteurs conduisent à la création de bataillons de volontaires composés de civils et de sursitaires. Les troupes d'autodéfense de Maïdan et les soldats de l'armée régulière se battent dans ce qui est la première guerre de l'histoire post-soviétique en Ukraine. Comme les séparatistes, les combattants ukrainiens partagent largement cette expérience sur les réseaux sociaux… 

Certains décrivent les difficiles conditions de la guerre, souvent avec une pointe d'humour [17], alors que d'autres donnent à leurs lecteurs des informations sur les derniers  événements sur le front [18], souvent en questionnant les besoins de l'armée.

Волноваха, Украина. 28 декабря 2014 года. Соладт сидит в SUV в на контролируемой армии территории. Всего несколько километров — и начинается территория, удерживаемая пророссийскими сепаратистами. Украинские военные патрулируют и проводят обзор ситуации рядом с пограничными зонами, которые контролировались сепаратистами, рядом с городом Волновахой в 50 километрах от Донецка. Фото Александра Ратушняка, © Demotix 2014.

Volnovakha, Ukraine. 28 décembre 2014. Un soldat dans un véhicule militaire sur un territoire contrôlé par l'armée. Quelques kilomètres le séparent du territoire contrôlé par les séparatistes russes. Les soldats ukrainiens patrouillent et dressent l'état des lieux des zones frontalières investies par les séparatistes, près de la ville de Volnovakha, à 50 kilomètes de Donetsk. Photo Alexandre Ratouchniak, © Demotix 2014.

Ces récits sur les réseaux sociaux ont joué un grand rôle pour attirer l'attention sur la situation désespérée de l'armée, et fait pression sur le gouvernement quant à la nécessité d'un contingent de renforts.

Par exemple, pendant  les combats à Ilovaïsk [19] [en anglais] — alors les plus terribles de tout le conflit — les membres des bataillons volontaires et ceux qui les commandaient se sont adressés aux médias sociaux [20] [en anglais] en contournant le gouvernement de Kiev, démentant carrément certaines déclarations publiques selon lesquelles la ville avait été reprise. Les combattants communiquaient sur leurs pertes réelles lors des batailles et leurs besoins de renforts. Des actes qui, en définitive, ont poussé le gouvernement à ouvrir une enquête sur le commandement des combats, et conduit au limogeage du ministre provisoire de la Défense, Valéri Gueleteï [21].

6. Une armée financée par crowdfunding
Quand la Russie a annexé l'Ukraine, les Ukrainiens ont soudain ouvert les yeux sur les faiblesses de leur armée. Depuis, les forces armées ukrainiennes — à la tête desquelles le ministre de la Défense lui-même —  ont régulièrement sollicité [22] [en anglais] des dons du public, pour financer l'effort de guerre à Donetsk et Lougansk.

La majeure partie de ces contributions sont le fait de civils constituées en groupes Facebook, d'initiatives privées en ligne et de particuliers [23], dont les posts sur les réseaux sociaux demandent à leurs lecteurs de contribuer au financement de l'armée, réussissant parfois à collecter plus de 850 000 dollars.

Quelques initiatives bénévoles remarquables sont issues de ce mouvement, et le président Porochenko a distingué [24] les fondateurs de ces organisations, en invitant même les figures clés à devenir ses conseillers et à prendre part [25] à la réforme du ministère de la Défense.

7. Les technologies Internet pour débattre des réformes
En 2014, les réseaux et médias sociaux sont aussi le lieu où se poursuit le débat sur la refondation politique et sociétale de l'Ukraine. Après les dernières élections législatives fin 2014, nombre de nouveaux députés et fonctionnaires se tournent vers Facebook et d'autres plateformes pour réunir les propositions des citoyens et leur faire connaître leurs actions. En décembre, les activistes lancent même une nouvelle plateforme Internet [26] [en ukrainien] où seront débattus publiquement les projets de loi du parlement.