En l'espace des dix dernières années, la Turquie s'est couverte de chantiers : autoroutes, ponts stratégiques, hôtels prétentieux et autres édifices sont érigés sans arrêt à travers tout le pays au nom du développement et de la prospérité économique. Istanbul, la plus grande ville de Turquie, est au coeur de cette frénésie.
Les critiques font valoir que cette culture de la construction est devenue une forme de violence. Le bétonnage acharné d'Istanbul, disent-ils, menace forêts, sites d'intérêt historique et culturel et jusqu'à l'esprit même de la cité.
Ci-après, quelques-uns seulement des innombrables projets soulevant l'ire des habitants qui veulent recouvrer leurs espaces publics.
Espaces verts en danger
Parmi les plaintes les plus fréquentes des Stanbouliotes, il y a le manque de zones vertes dans la ville. En ce sens, des espaces plantés comme Validebağ et Emirgan revêtent une importance particulière pour les habitants. L'un comme l'autre sont actuellement menacés par les projets immobiliers en cours.
Validebag est l'une des plus grandes zones vertes protégées d'Istanbul, et abrite de nombreux animaux, dont des oiseaux migrateurs, et c'est aussi un des rares parcs restants dans la ville. Depuis l'année dernière les gens se battent contre le projet de construction d'une mosquée à l'intérieur des limites de Validebag.
En dépit d'une injonction judiciaire contre le chantier, la mosquée devient chaque jour plus visible.
De plus, Validebag n'est pas le seul espace vert menacé. Récemment, TOKİ (l'Administration de la construction de logements) a annoncé la vente de 158.479 mètres carrés de terrains situés à côté de la forêt d'Emirgan pour l’édification d'un enième hôtel et centre commercial.
Le propriétaire de l'entreprise de bâtiment a tenté d'apaiser en expliquant que le chantier n'empiéterait ni sur la forêt ni sur la ligne d'horizon du Bosphore, sans être cru.
Validebağ Korusu'ndan sonra şimdi sıra Emirgan Korusu'nda. Yeşili seven ve koruyan #1Türkiyeİstiyorum çok mu şey istiyorum acaba?
— Özbilge Otuk (@ozbilgeotuk633) February 2, 2015
L'heure est maintenant venue pour la forêt d'Emirgan après Validebag. Je veux seulement une Turquie qui protège et aime ses espaces verts. Est-ce trop demander ?
Le projet Tarlabasi
En parallèle, de nombreuses parties d'Istanbul subissent un embourgeoisement agressif. De vieux quartiers ont été détruits pour faire place à des opérations commerciales lucratives.
Tarlabasi, à côté du célèbre quartier de Taksim, est dans ce cas. Ses bâtiments historiques et sa localisation centrale en font une des zones les plus recherchées d'Istanbul. En 2012, de nombreux habitants du quartier ont été contraints à déménager et vendre leurs maisons à bas prix lorsqu'une gigantesque restructuration du secteur a été lancée.
Ceux qui ont refusé l'indemnisation et s'obstinent à rester dans leur quartier subissent les coupures d'eau, d'électricité et de gaz, l'odeur des ordures non ramassées, et les menaces des fonctionnaires municipaux.
Laetitia Vancon, une photographe française qui a documenté les histoires des familles — pour beaucoup, de minorités ethniques à faibles revenus — explique :
Tarlabaşı, situé presque au centre de la ville, est une une énigme insolite dans les affres d'unbe volonté administrative d'embourgeoisement. Officiellement, c'est appelé un programme de réhabilitation – en réalité, c'est une rénovation et restructuration complètes, comportant la démolition des vieilles constructions, qui font partie du patrimoine architectural d'Istanbul, afin de laisser place à une nouvelle zone commerciale, avec centres commerciaux, galeries marchandes et hôtels.
En juillet 2014, les habitants de Tarlabasi ont gagné leur procès pour empêcher l'expropriation de leurs terrains et donner un coup d'arrêt à l'opération immobilière. Ahmet Misbah, le maire du quartier de Beyoglu et membre du parti au pouvoir AKP estime que de telles actions judiciaires empêchent la modernisation de la ville.
Les opposants au processus disent, eux, que cette modernisation profite surtout à l'élite fortunée qui a un intérêt financier dans ces projets, puisque la gentrification fait s'envoler les prix du foncier dans la zone.
Kentsel dönüşüm bir tek sulukule-tarlabaşı halkını fakir ve evsiz bıraktı anlaşılan.
— özgür yeşilbaş (@449981) November 1, 2011
On dirait que les seuls que la gentrification a laissés dans la pauvreté sont les habitants de Tarlabasi and Sulukule.
Kentsel dönüşüm ile birlikte Tarlabaşı'nda 10 yıl önce 50 bin liraya satılan dairenin fiyatı şimdilerde 2 milyon dolara çıkmış. — Politik Analiz (@analiz_politik) March 8, 2014
Avec la gentrification, les appartements à #Tarlabasi, qui coûtaient 50.000 livres il y a 10 ans, valent maintenant 2 millions de dollars.
Kentsel dönüşüm, kentsel bölüşüm Tarlabaşı : RANTİSTANBUL pic.twitter.com/0xcLHnRR
— marcos muratyan (@eyjafjellajokul) April 27, 2012
Gentrification, Gentri-distribution : RENTE A ISTANBUL
Le cas de Tarlabasi est traité par le blog Istanbul Stories, composé d'articles sur les différents quartiers de la métropole.
Lieux historiques détruits
Si une partie de l'histoire d'Istanbul est sous protection de l'UNESCO, il en est aussi de vulnérables aux opérations immobilières. Des monuments historiques comme la gare ferroviaire de Haydarpasa perdent leur fonction d'origine pour être reconvertis en hôtels et centres commerciaux.
Le cinéma Emek est le plus ancien et le plus prestigieux de Turquie. Il fait partie du complexe du Cercle d'Orient, en train d'être transformé en galerie marchande.
Le cinéma a été fermé en 2010, quand les autorités ont invoqué l'état de délabrement du bâtiment. Depuis lors, la lutte contre la démolition de l'Emek se poursuit. Tandis que l'entreprise de bâtiment qui opère sur le site affirme ne pas détruire le cinéma mais le surélever, beaucoup de gens n'y voient qu'un espace culturel de plus sacrifié sur l'autel du profit.
En 2014, un tribunal d'Istanbul a ordonné la suspension du chantier. Mais l’apparent accident du travail d'un ouvrier sur le site laisse supposer que le jugement n'est pas appliqué.
Emek Sinemasi'nda hukuka aykiri insaat devam ediyor. pic.twitter.com/brI17WC3yZ
— Gökhan Baykal (@gkhnbykl) January 14, 2015
Le chantier illégal du cinéma Emek continue.
Le 5 février, le Conseil d'Etat turc, le tribunal administratif suprême du pays, a statué pour bloquer la mise en oeuvre de réglementations particulières de gentrification qui accordent des pouvoirs exorbitants à la TOKİ, l'institution de promotion et du logement.
Une décision qui a donné à beaucoup un espoir que la plus grande et plus sur-développée ville de Turquie puisse retrouver de l'air.