Grands espoirs et sentiments mitigés pour Léviathan, le favori russe aux Oscars

A scene from "Leviathan." Image from Indiewire.

Une scène du film”Léviathan”. Source image Indiewire.

Encensé depuis des mois par les médias mondiaux, le film russe “Léviathan” vient enfin de sortir dans les cinémas russes. Si le portrait cinglant et poignant par ce film de la corruption dans une petite ville de province en a fait la sensation du Festival de Cannes et le chouchou de la critique, avant de sa sortie officielle le 5 février seules des copies piratées en ligne étaient accessibles aux Russes. Le film a terminé sa première semaine à la quatrième place du box office russe, mais est devenu une des oeuvres cinématographiques les plus discutées depuis belle lurette, avec des commentateurs de tous poils échangeant leurs opinions sur Internet.

Comme les critiques hors du pays, les Russes ont été nombreux et prompts à apprécier le film pour sa qualité artistique tout comme son portrait de la vie du pays. Après l'obtention par “Léviathan” d'un Golden Globe, Nadia Tolokonnikova de Pussy Riot et Mediazona a louangé les créateurs et le film, qu'elle a appelé “une prière punk” :

А также благодарю за чуткость и редкую для художника страсть – вслушиваться в свое время, принюхиваться к нему, впитывать его в себя. Но это именно то состояние души, которое отличает художника от спящего котика. Ценю за патриотизм – ведь Бог свидетель тому, как легко хорошему режиссеру (а Звягинцев таков) уехать из России и снимать коммерческое кино про любовь и солнце. 

Je [les] remercie aussi pour leur finesse et leur passion rare pour un artiste—prêter l'oreille attentivement à son temps, le flairer, s'en imbiber. Mais c'est exactement l'état d'esprit qui différencie l'artiste d'un chat endormi. J'estime ce patriotisme, car Dieu est témoin de combien il est facile pour un bon réalisateur (et Zviaguintsev en est un) de quitter la Russie et de tourner des films commerciaux sur l'amour et le soleil.

Le reporter Anton Krassovsky, qui a fait un très remarqué coming-out à la télévision pour protester contre la politique anti-LGBT en Russie, a souligné le message religieux du film, empli d'un espoir prudent, malgré la noirceur et le désespoir qu'y ont vu la plupart.

Не было со времен «Андрея Рублева» более христианского русского кино. Кино о хождении по мукам, о крестном пути, о лжи и фарисействе, о страдании и горе. Но и о настоящем тихом Боге, о вечной жизни, о любви и вере. Даже там, где эти любовь и вера должны были бы сгнить, как сгнили тут и Иона, и кит. А остались только голые ребра, оргАном торчащие у скал. Но не этими ребрами, другими – нашими – строится Церковь. И построится. Вот увидите. Или не увидите. Богу, впрочем, все равно. 

Il n'y a pas eu depuis “Andréï Roublev” de film russe plus chrétien. C'est un film sur le chemin des tourments, le chemin de croix, sur le mensonge et l'hypocrisie, la souffrance et le chagrin. Mais aussi sur la douceur du véritable Dieu, la vie éternelle, l'amour et la foi. Même là où cet amour et foi se seraient putréfiés, comme [avec] Jonas et la baleine. Et il ne reste que les côtes nues, faisant saillie comme un orgue au-dessus des rochers (une des scènes du film, voir photo en tête de l'article). Pourtant ce n'est pas avec ces côtes, mais avec les nôtres qu'est bâtie l'Eglise. La bâtir, c'est ce que nous devons. Vous le verrez. Ou pas. A Dieu, au demeurant, il importe peu.

Un fervent, Slava Smirnov, a même créé un site web demandant aux quelque 6 millions de personnes qui ont téléchargé des copies piratées du film de donner l'équivalent d'un billet de cinéma à l'intention des producteurs du film. Le réalisateur Andréï Ziyaguintsev a cependant choisi de faire don du million de roubles collecté par le site à Gift of Life (Подари жизнь, Don de la vie), une organisation caritative russe d'aide aux enfants atteints de cancers et d'autres maladies fatales.

La description sans ambages par le film de la corruption à tous les niveaux de la vie russe a provoqué la réprobation des autorités. Vladimir Medinsky, le ministre de la Culture, a approuvé dans le film la parabole universelle, mais lui a reproché son absence de personnages positifs et de ressemblance avec la Russie véritable.

D'autres officiels ont répété la critique de Medinsky que le film jouait sur le sentiment anti-russe à l'étranger pour se faire récompenser. L'éminent homme politique et commentateur russe Sergueï Markov s'est plaint sur Facebook de la mentalité grégaire des critiques étrangers.

Фильм Звягинцева Левиафан это типичная российская чернуха? Нет, не типичная. Это фактически внешний заказ. Гос департамента? Нет. […] Профессионально сделанный получился антипутинский кино манифест, проклинающий российскую государственную бюрократическую машину, заодно и антиправославный акцент не забыли. Это фильм времен новой холодной войны Запада против России, […] Призы на фестивалях получает не российский фильм, а антироссийский.

Le film de Zviaguintsev Léviathan est-il une typique noirceur russe ? Non, [elle n'est] pas typique. C'est en fait une commande extérieure. Du Département d'Etat ? Non. […] Un manifeste anti-Poutine réalisé avec professionnalisme, qui maudit la machine bureaucratique russe sans oublier un accent anti-Orthodoxe. C'est un film des temps de la nouvelle guerre froide de l'Occident contre la Russie, […] Les prix aux festivals ne sont pas pour un film russe, mais pour un film anti-russe.

Le film a aussi retenu l'attention pour son portrait acide d'un prêtre orthodoxe local. Tandis que des hommes d'église, parmi lesquels ceux du diocèse dans lequel a été tourné le film, se sont félicités de l'intéressante discussion générée, la direction de l'Eglise Orthodoxe russe a été moins qu'enthousiaste. Dans un article très lu sur le site web de l'Eglise, Dmitri Sokolov-Mitritch a fustigé le film pour sa piètre qualité artistique n'ayant d'égale que son éloignement de la réalité russe.

По-моему, «Левиафан» — это просто слабый фильм, вот и все. Он не тянет на притчу, потому что в нем нет любви. Он не тянет на «универсальную историю для всего человечества», потому что в нем слишком много сиюминутной политической конъюнктуры. Он не тянет на «зеркало русской жизни», потому что авторы этой жизни не знают и смешат на каждом шагу…Поэтому «Левиафан» — это одна сплошная имитация. 

A mon avis, “Léviathan” est simplement un film médiocre, un point c'est tout. Il ne tend pas à la parabole, parce qu'il n'y a pas d'amour dedans. Il ne tend pas à “l'histoire universelle de l'humanité” parce qu'il est trop dans l'immédiateté politique. Il ne tend pas au “miroir de la vie russe” parce que les auteurs ne connaissent pas cette vie et font rire à chaque pas… C'est pourquoi “Leviathan” est une totale imitation. 

Bien que le film ait déjà créé un tollé en Russie et ailleurs, l'excitation aura enflé jusqu'à la cérémonie des Academy Awards, le film ayant été proposé pour un Oscar très attendu du meilleur film étranger. Bien que le ministre russe de la culture ait admis qu'il soutiendrait le film aux Oscars [NdT : c'est le film polonais Ida” qui l'a finalement remporté], la victoire de “Léviathan” aurait signifié plus d'attention négative indésirable pour la Russie, au milieu des critiques montantes contre les actions du Kremlin à l'extérieur contre l'Ukraine et à l'intérieur contre les libertés civiles.

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