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Répétition générale avant la répression contre les médias biélorusses

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Total media control, or the unexpected virtue of being Alexander Lukashenko. Images edited by Kevin Rothrock.

Le contrôle total des médias, ou la vertu inattendue d'être Alexander Loukachenko. Images éditées par Kevin Rothrock.

[Tous les liens mentionnés sont en biélorusse]

L’état de la liberté d’expression en Biélorussie est d’une remarquable stabilité: en 2015, le Bélarus est 157ème sur les 180 pays recensés par Reporters Sans Frontières dans son Classement Mondial de la Liberté de la Presse [1] [français], et ce pour la troisième année consécutive. Depuis les années 1990, les attaques à l’encontre des médias indépendants sont monnaie courante [2] [anglais]. Lois permissives, descentes dans les rédactions, poursuites pénales politisées, interdiction de quitter le territoire pour les journalistes véhéments, et impossibilité d’enquêter sur l’assassinat de plusieurs journalistes – Minsk utilise toutes les armes dont elle dispose pour contrer la liberté de la presse. 

Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, parfois surnommé “le dernier dictateur d’Europe”, a un jour déclaré [3][anglais] que les journalistes « détiennent une arme d’une puissance très destructrice ». C’est la raison pour laquelle, selon lui, l’Etat doit exercer un tel contrôle sur les médias.

Actuellement, Minsk supervise [4] [anglais]  presque entièrement les médias. Quelques sites font figure d’exception,  comme le site d’opposition Charter 91, Naviny.by, Belaruspartisan.org, le journal Narodnaya Volya et quelques autres encore. Loukachenko se ferait certainement une joie de fermer ces publications, mais ce semblant de démocratie pluraliste permet de contrer les critiques, nationales mais surtout internationales.

Avant la chute de l’Union Soviétique, Loukachenko dirigeait une ferme collective. Désormais, il regarde Internet avec un mélange d’émerveillement et de prudence, le considérant comme l’une des plus grandes créations [5] de l’Humanité, tout en voyant en lui un danger potentiel, car de conception américaine.

The Press Service of the President of the Republic of Belarus.

Alexander Lukashenko et son plus jeune fils Kolya effectuent des récoltes dans la résidence présidentielle. Image [6]: Service de presse du président de la République de Biélorussie. 

La répression de la Biélorussie envers les médias devient particulièrement violente durant cette année électorale. Pendant les dernières élections, en décembre 2010, plusieurs sites d’opposition et quelques réseaux sociaux ont été bloqués et piratés. La police effectua une descente [7] [anglais] dans les bureaux de Belsat TV et de la station locale d’European Radio, et écroua [8] plusieurs journalistes. Loukachenko fut déclaré vainqueur de cette élection, mais un groupe de surveillance internationale, mis en place par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, affirma que ce vote ne fut ni libre, ni honnête. Entre 10 000 et 60 000 personnes se sont rassemblées [9] [anglais] dans le centre-ville de Minsk pour contester les résultats ; la police dispersa la foule par la force et arrêta [10] [anglais] 700 manifestants, ainsi que sept des neuf candidats à l’élection présidentielle.

La prochaine élection aura lieu en novembre 2015, et la situation politique promet d’être encore plus explosive. Il y a cinq ans, la plupart des Biélorusses vivaient dans un confort relatif, profitant des augmentations de salaires et des pensions de retraite. En 2011, cependant, le pays a connu une dévaluation de sa monnaie, le taux d’échange avec le dollar triplant et passant de 3.100 roubles biélorusses à 8.700 en octobre. (Aujourd’hui, un dollar équivaut à presque 15.000 roubles biélorusses). Le cours du pétrole a également chuté. Loukachenko a néanmoins réussi à limiter la crise économique, grâce essentiellement aux généreux emprunts effectués auprès de Moscou.

En 2015, le gouvernement biélorusse doit [11] à ses créanciers près de 4 milliards de dollars, soit environ deux tiers de ses réserves. L’économie biélorusse, dominée par de grandes mais inefficaces entreprises d’Etat, a été légèrement modifiée par rapport à sa prédécesseur soviétique. Plus la malchance financière s’abat sur le pays, moins l’aide russe pourra secourir Loukachenko des règlements de compte avec les électeurs. En outre, l’économie russe qui implose, sans parler du refus de Loukachenko de soutenir l’annexion de la Crimée, fragilisent ce qui reste encore leur bouée de sauvetage. 

Les officiels de Minsk semblent réaliser qu’un cataclysme pourrait survenir, tandis que des signes montrent que Minsk tend à résoudre la situation, avant les élections présidentielles. En décembre dernier, le Parlement a adopté [12] des amendements quant à la régulation des médias, en ligne et traditionnels. Les réformes accordent aussi au Ministère de la Communication et de l’Informatisation le pouvoir de fermer des sites sans passer par la justice.

Vladimir Chudentsov, fondateur du site indépendant By24.org, affirme que le gouvernement espère contrôler Internet de la même façon [13] qu’il contrôle la télévision :

В нем [интернете] власти также начнут формировать свою альтернативную реальность, в которой в обменниках есть доллары, в стране нет безработных, а милиционеры не лгут в суде и не фабрикуют административных и уголовных дел.  

Les autorités commenceront à former leur propre réalité d’Internet, où les bureaux de change regorgent de dollars, où les sans-abris sont absents du paysage biélorusse, et où les policiers ne mentent ni ne fabriquent de preuves.

Peu après les modifications adoptées quant à la régulation des médias, plusieurs sites indépendants sont devenus inaccessibles [14] presque en même temps. Le gouvernement n’a pas endossé la responsabilité de cette interruption, pointant du doigt des problèmes techniques et du piratage.

Selon [13] Alexandre Klaskovsky, qui travaille à l’agence de presse indépendante BelaPAN, les problèmes vécus par les médias en ligne indépendants sont de toute évidence l’œuvre du gouvernement biélorusse. Une telle opération n’est possible, selon lui, qu’avec l’autorisation et les ressources des autorités de Minsk. Klaskovsky estime que la répression est une sanction à l’encontre des médias d’information qui abordent l’économie déclinante du pays.

Le rédacteur en chef de la Belaruskaya Pravda Yuri Dubina assure [13]que ces efforts d’obstruction « étaient une répétition générale avant l’élection ». Yanina Melnikova, membre de l’Association Biélorusse des Journalistes, donne une explication similaire :

Кто-то очень сильно напрягся, опасаясь народных протестов в связи с положением в экономике и прочими проблемами, на которые аудитория независимых медиа могла отреагировать.   

Quelqu’un est devenu incroyablement inquiet, craignant l’agitation sociale en raison de la situation économique et des autres problèmes – des sujets qui peuvent provoquer le public de ces médias indépendants.

Dorénavant, les journalistes biélorusses se préparent au pire. Aucun politicien ne pourra certainement rivaliser avec Loukachenko d’ici novembre, mais des manifestations occasionnées par l’économie en déclin demeurent probables, tout comme des descentes dans les rédactions et des arrestations de journalistes. Comme en Russie, le gouvernement semble sérieusement inquiet quant à une révolution similaire à celle de Maidan. « Il y a des voyous dehors », a prévenu [15] Loukachenko. « C’est pourquoi les autorités sont là. Nous neutralisons ces gens et les empêchons de s’entretuer dans les rues. Nous ne laisserons personne déclencher une guerre ici, en Biélorussie ».