Le gouvernement camerounais voudrait faire passer une photo manipulée pour un piratage

Photoshopped picture that appeared on government website of president Paul Biya honoring fallen soldiers. Cameroonian government claims the photo was uploaded by a hacker.

L'image photoshoppée parue sur le site internet du  on the gouvernement, où le Président Paul Biya honore les soldats tombés au champ d'honneur. Le gouvernement camerounais prétend que la photo a été postée par un pirate.

Trente-huit militaires camerounais morts en combattant le groupe extrémiste nigérian Boko Haram dans le nord du Cameroun ont été honorés le 6 mars 2015 lors d'une cérémonie conduite par le Ministre de la Défense Edgar Alain Mebe Ngo'o. Le Président Paul Biya y brillait par son absence : il était parti pour l'Europe quelques jours auparavant, pour une “brève visite”.

Le président avait également été absent d’une cérémonie similaire en août 2014 alors même qu'il se trouvait dans le pays à ce moment. Pour de nombreux observateurs, l'absence persistante du président est une marque d'indifférence envers les soldats morts pour défendre le pays. Le francophone Journal Du Cameroun déplorait :

Pas un geste de compassion envers les soldats tombés sur le front dans le grand nord, absence récurrente du chef de l’Etat aux obsèques des soldats tombés dans le grand nord, pas un mot sur ceux qui sont sur le terrain, aucune visite de terrain d'encouragement, moult de questions qui attendent l’appréciation du président de la République dont le silence laisse songeur…

Les critiques n'ont pas tardé à signaler qu'à peine quelques semaines avant, le Président Idriss Deby du Tchad, allié essentiel du Cameroun dans la guerre contre Boko Haram, avait honoré en personne les militaires tchadiens tués par les extrémistes, et même visité les soldats tchadiens blessés à l'hôpital militaire de la capitale camerounaise Yaoundé.

On ne s'étonnera donc pas du débordement d'indignation quand trois jours à peine après la cérémonie de Yaounde, le site internet de la Présidence de la République a publié une image photoshoppée du président s'inclinant devant les cercueils des soldats tués.

“Une insensibilité tout simplement sidérante et inexcusable… Une honte incroyable, et les Camerounais méritent des explications complètes pour cette humiliation”, a écrit le journaliste camerounais vivant aux USA Ekinneh Agbaw-Ebai. Bate Felix, un autre journaliste camerounais, collaborateur de l'agence d'information Reuters, a renchéri dans une série de tweets :

C'était déjà insultant que le Président Biya du Cameroun n'assiste pas à la cérémonie honorant les 39 soldats morts en combattant Boko Haram

C'était même encore plus scandaleux que quelqu'un de l'équipe Biya trouve malin de l'y photoshopper

Exaspéré, Nelson Simo se demande :

Face à l'avalanche de protestations sur les médias sociaux, l'image photoshoppée a été retirée dans les deux heures et remplacée par celle de cercueils couverts du drapeau :

Le pouvoir des médias sociaux. L'image truquée de Biya honorant les militaires tombés remplacée !

Avant que l'article entier disparaisse finalement du site.

‘Pourquoi tu prends les Camerounais pour des cons ?’

Cela n'a pas suffi à éteindre la polémique, puisque la presse écrite s'est emparée de l'affaire dans les jours qui ont suivi.

Le quotidien en français Le Messager a publié le photo-montage en une, avec le titre “Après avoir déserté… Le Chef des armées nargue les soldats.”

Le grand titre d'un autre journal francophone, Quotidien Mutations, était tout aussi cinglant : “Manipulation: Le scandale qui vient de la présidence”. Des agences d'information étrangères comme France24 se sont aussi emparées de l'affaire.

Confronté à une affaire embarrassante qui refusait d'être oubliée, le gouvernement a finalement décidé de réagir deux jours plus tard. Dans une déclaration en français lue sur les ondes publiques de la Radio Télévision du Cameroun, Issa Tchiroma, ministre camerounais de la communication et porte-parole du gouvernement, a affirmé que l'image était l'oeuvre d'un pirate informatique :

Toutes vérifications faites, la fausse nouvelle attribuée au site officiel de la Présidence de la République résulte d'un grossier montage photographique, qui est l'œuvre d'un pirate informatique entré par effraction sur ledit site, et sans doute mû par la volonté de porter atteinte à l'honneur et à la dignité du Chef de l'État, de nos forces de défense et de sécurité et de la nation camerounaise tout entière.
Cette ignoble manœuvre intervient au moment où le peuple camerounais dans son ensemble, a décidé de former une union sacrée autour du Chef de l'État et des forces de défense et de sécurité dont il est le Chef, pour sans doute créer la diversion et la distraction, tenter de saper le moral des troupes sur le front de guerre et de démobiliser la nation tout entière, dans le formidable élan de solidarité qu'elle est en train de manifester.

Screenshot of flag-drapped confins of dead soldiers which replaced the photoshopped picture after public outcry.

Capture d'écran des cercueils des soldats tués couverts du drapeau, substitué après le scandale à l'image photoshoppée.

La déclaration du gouvernement a été immédiatement tournée en dérision. Felix Bate, incrédule, s'est enquis :

Le ministre Tchiroma va nous faire croire que le site de la présidence camerounaise a été piraté et que quelqu'un a posté cette photo honteuse ?

Pierre Christian se contenait à grand peine :

L'utilisateur de Twitter Jess Dina a demandé au ministre :

Le quotidien francophone Le Jour a rondement démonté l'excuse du piratage :

Le site Internet de la présidence et la page Facebook du chef de l’Etat sont truffés de photos grossièrement montées. Contrairement aux dénégations de Issa Tchiroma, les administrateurs de ces sites sont coutumiers du fait.

Les limiers d'Internet ont confirmé l'assertion de Le Jour après avoir recherché sur les sites de médias sociaux gérés par la présidence les preuves que ce “grotesque photomontage” n'était pas le premier du genre commis par le webmestre :

Suffit de comparer avec cette autre photo tweetée par le compte twitter de la présidence quelques jours avant

Comparez aussi avec celle-ci du site internet de la présidence

Le portail d'actualité Camerooon-info.net a également publié une une vaste compilation d'images photoshoppées en provenance du site internet et de la page Facebook du président.

Arrêtés et relâchés

Malgré les preuves de plus en plus évidentes que le photomontage n'était pas l'oeuvre d'un pirate informatique, mais plus probablement l'ouvrage d'un collaborateur trop créatif de l'équipe de communication du président, le gouvernement s'est obstinément accroché à sa version. Dans un entretien avec le quotidien officiel Cameroon Tribune, le Ministre Tchiroma a juré de débusquer et châtier le coupable.

Selon les informations de presse, l'enquête est menée par des agents du Ministère de la Défense et de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (l'appellation inoffensive des redoutés services de renseignement du Cameroun).

Dans leur entreprise désespérée de capture des coupables supposés, les forces de sécurité ont procédé jusqu'à présent à deux arrestations plutôt surprenantes. Le 14 mars, elles ont arrêté un certain Foyet Eric Kennedy à Yaoundé, soupçonné d'être le pirate après sa contestation de la version officielle sur une radio locale. Il a ensuite été remis en liberté. Le même jour à Douala, Gerard Kuissu, un journaliste et militant connu des droits humains a aussi été arrêté et accusé d'être le pirate. La preuve ? Il avait partagé la photo sur sa page Facebook. Transféré à Yaoundé pour interrogatoire complémentaire il a été finalement relâché trois jours plus tard. (Cliquez ici pour le récit glaçant par Kuissi de sa rude expérience de la prison).

Il est intéressant de noter que pendant que les recherches se poursuivent d'un pirate généralement considéré comme imaginaire, les fonctionnaires de la présidence se sont employés à supprimer toutes les images photohoppées du site internet, de la page Facebook et du compte Twitter présidentiels. Les liens qui avaient conduit aux pages contenant ces photos ne sont plus actifs ou ne comportent plus les photos. Pour autant, comme a averti le journaliste camerounais Thierry Ngogang sur sa page Facebook à propos de l'actuelle tentative de maquillage :

La vérité est comme la queue d'un singe: il peut essayer de la cacher entre ses pattes, elle apparaîtra toujours.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.