Au Tadjikistan, le gouvernement dicte le prêche des mosquées

Une mosquée dans le nord du Tadjikistan. Photo de Rob Cavese partagée sur le blog Kiva Fellows et Flickr.

Une mosquée dans le nord du Tadjikistan. Photo de Rob Cavese partagée sur le blog Kiva Fellows et Flickr.

Lorsque les dirigeants de l'Europe médiévale utilisaient l'Eglise pour s'assurer la loyauté indéfectible des populations, sur lesquelles ils croyaient avoir un droit divin de régner, ils ne savaient pas qu'ils seraient imités par les dictateurs d'Asie centrale des siècles plus tard.

Au Tadjikistan, où plus de 90% de la population est musulmane, les responsables des mosquées et des services publics sont devenus un outil pour le gouvernement, à utiliser contre ses rivaux politiques.

A partir du jour où le président Emomali Rahmon a déclaré que l'islam n'avait pas besoin d'un parti politique, le Parti de la renaissance islamique (IRPT) – le seul rival sérieux du gouvernement au Tadjikistan – a été attaqué sans relâche.

Edward Citron du site EurasiaNet.org a écrit:

Les vendredis après-midi, les imams à travers le Tadjikistan lisent des textes rédigés par le gouvernement en guise de sermons hebdomadaires. Le thème est souvent politique et soutient l'homme fort, le Président Emomali Rahmon. Vendredi dernier, 27 mars, les imams ont invité les fidèles à demander à ce gouvernement autoritaire d'interdire le plus grand parti d'opposition du Tadjikistan, l'unique parti à orientation religieuse existant légalement en Asie centrale.

Le Parti de la renaissance islamique (IRPT) a contribué à assurer la paix à la fin d'une guerre civile dévastatrice au Tadjikistan, au milieu des années 1990. Mais le Président Rahmon a constamment manqué à sa promesse de donner 30 pour cent des postes gouvernementaux à ses adversaires. Jusqu'à ce qu'au cours d'une élection profondément suspecte ce mois-ci –  bourrages des urnes et actes d'intimidation, selon les observateurs internationaux – l'IRPT ait quand même réussi à décrocher quelques sièges au parlement.

Les résultats officiels des élections ont montré que l'IPRT n'a pas réussi à franchir le seuil de 5 pour cent requis pour remporter des sièges au parlement. Des estimations non officielles ont indiqué que la part réelle des suffrages exprimés en faveur de l'IRPT étaient beaucoup plus élevée que cela. Mais maintenant, après des pressions sans précédent, l'IRPT est hors du parlement, congelé, et son avenir est incertain.

De hauts responsables religieux tels que le mollah Saidakbar – mufti adjoint du Centre islamique du Tadjikistan – a émis un appel pour l'interdiction de l'IRPT dans la capitale Douchanbé. Des appels similaires ont été lancés dans les deux plus grandes mosquées de Khujand, une ville-clé au nord du Tadjikistan.

De son côté, selon une émission en langue tadjik de Radio Europe Libre (REL)/ Radio Liberté (RL), le sermon de quatre pages intitulé “L'unité de la société dans le choix du bon chemin” a été signé et fourni pour la prière du vendredi par un certain M. A. Mavlonov (l'enquête n'a pas pu établir où M. Mavlonov travaille mais on suppose qu'il est un fonctionnaire du gouvernement).

L'auteur du sermon a écrit:

Il est temps que nous-mêmes et notre société nous réveillons et ne restions pas neutres quant à l'avenir de notre patrie. Par conséquent, je suggère que nous bannissions l'IRPT parce qu'on en a plus besoin. Alhalmullillah, nous sommes musulmans, et c'est assez pour nous.

Qualifiant ceux qui ont voté pour l'IRPT de “séparatistes”, l'auteur du sermon a en outre prétendu que le Tadjikistan n'avait besoin que d'un parti politique travaillant pour l'avenir de la nation, parce qu'un leader et un parti étaient la clé de la paix.

Muhiddin Kabiri, leader laïc considéré comme ouvert et moderne à la tête de l'IRPT, n'a pas réagi aux appels à interdire son part. Le comité politique du parti a qualifié ces considérations d'anticonstitutionnelles.

L'adjoint de M. Kabiri, Saidumar Husseini, a soutenu  de façon ironique :

Бигзор, шӯрои уламо, кумитаи дин бо ширкати аҳли уламо ва намояндагони ҳизби наҳзати исломӣ мизи гирд ташкил диҳанд ва ба исбот расонанд, ки ҲНИТ бар зарари амнияти кишвар ва садди пешрафти ҷомеа аст. Исбот кунанд, ки воқеан камбуди барқ дар фасли сармо, фаъол нашудани корхонаҳои муҳим дар кишвар, вуҷуди фасод дар идораҳои давлатӣ… низ ҳама айби ҲНИТ аст, марҳамат, ҳизбро бубанданд

Laissez le Conseil des mollahs et le Comité de la religion organiser une table ronde avec la participation de représentants de l'IRPT pour leur montrer comment l'IRPT nuit à la sécurité du pays et freine le développement de la société. Qu'ils ferment ce parti s'ils peuvent prouver que, effectivement, l'IRPT est responsable des coupures d'électricité de l'hiver, de l'inactivité des usines importantes du pays et de la corruption dans les institutions publiques.

L'ironie a échappé à certaines personnes. Lola, une lectrice du site en tadjik de RFE / RL a écrit:

Бархам дода шавад!! Номи поки Исломро ба сиёсат, олуда накуненд. Худ шохид будам, ки тарафдорони чавони ин хизб, баъд аз интихоботи парлумон дар Точикистон, ба як овоз мегуфтанд, ки дар кишвари мо дигар мусалмон намодааст, барои хамин ХНИТ голиб нашуд. Бинед бародарону хохарони азиз, ин магар истифодабарии номи поки Ислом бар манфиати хизбдорон нест?!

[IRPT] devrait être fermé! Ne gâchez pas le nom de l'Islam. J'ai vu de jeunes partisans de ce parti dire après les élections que l'IRPT a perdu parce qu'il n'y avait plus de musulmans dans notre pays. Voyez, chers frères et sœurs, n'utilisent-ils pas de nom de l'islam pour les objectifs des membres de ce parti?!

Cependant, la politisation des imams et des mosquées est critiquée par certains. Dilshod dit:

акнун дар масчид муллохо ба сиёсат дахолат мекунанд. Хукумат хар чиро хохад ба имомхатибон супориш медихад онхо дар масчид ба халк мехонанд.
инак имруз аз ин нома маълум шуд ки хукумат намехохад ки дигар хизбу харакатхо дар кишвар вучуд дощта бошад. ээээ гап бисер вале гап задан бефоида

Dans nos mosquées, les mollahs s'immiscent dans la politique, aujourd'hui. Le gouvernement dit aux imams ce qu'il veut dire, et ils le lisent au peuple. Cette lettre [se référant au texte de Mavlonov pour le sermon] a montré que de nos jours le gouvernement ne veut pas d'autres partis et mouvements. Il y a beaucoup de choses que je veux dire, mais c'est inutile.

Un lecteur qui dit avoir assisté à des prières du vendredi  a qualifié le mélange de politique et d'enseignement religieux de “péché”. Il a écrit:

Окибат ин шуд ки кариб хама дуои анчоми намозро нахонда баромадем. Тасмим хамин ки дигар ба масчид намеравем. он чо чои фитна ва бози шудааст.

Nous avons quitté la mosquée avant la fin [de la prière]. Nous avons décidé de ne plus y retourner parce que nos mosquées se sont transformées en lieux de fraude.

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