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10 ans après le massacre d'Andijan, le témoignage d'un Ouzbek sur la situation des opposants

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Ouzbékistan, Droits humains, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens
The town of Andijan in Uzbekistan.  Photo from www.panoramio.com. Licensed to reuse.

La ville d'Andijan en Ouzbékistan. Photo de www.panoramio.com. Reproduction autorisée.

Le 13 mai marque les 10 ans du massacre par le gouvernement ouzbek de centaines de civils qui s'étaient réunis sur la place centrale [1] d'une ville de province dans un acte de résistance spontané contre un régime brutal et corrompu.

Au lendemain du massacre, le gouvernement ouzbek a qualifié le groupe de protestataires d”extrémistes islamiques’, dénomination qui s'applique depuis à toute personne qui ne correspond pas à la vision étroite que se fait l’État du citoyen idéal.

Bien que le sujet de cet article, Akram Rustamov, n'ait pas été ce jour-là parmi ceux qui se trouvaient dans la ville d'Andijan, son histoire donne un aperçu édifiant du climat de peur et de paranoïa engendré par le gouvernement — y compris à des milliers de kilomètres de ses frontières — au nom du contre-terrorisme.

L'article qui suit a été écrit par Sonum Sumaria, cinéaste indépendante de la compagnie Guerrera Films [2]. Il est paru sur EurasiaNet.org [3] le 11 mai.

J'ai rencontré Akram Rustamov par hasard alors que je faisais des recherches pour un article sur les souffrances endurées par les émigrants d'Asie centrale à Moscou, où des millions d'entre eux occupent les emplois les plus dégradants.

Le jeune homme de 25 ans est confronté à de lourdes accusations chez lui en Ouzbékistan.

Ses accusateurs lui reprochent de recruter pour le “Mouvement Islamique du Turkestan” (des experts de cette région pensent que le groupe est une invention de la police secrète ouzbèke), d'appeler au jihad en Ouzbékistan et de vouloir rejoindre un camp d'entraînement terroriste en Syrie.

Selon des groupes de défense des droits de l'Homme, l'Ouzbékistan utilise depuis des années de fausses accusations de terrorisme pour emprisonner les contestataires comme des milliers d'autres, essentiellement des musulmans pacifiques. Le régime d'Islam Karimov a recours aux arrestations et aux procès à huit clos dans le but de perpétuer la peur et de légitimer son exercice autoritaire du pouvoir dans le pays et à l'étranger. L'essor de l’État Islamique en Syrie et en Irak n'est qu'un prétexte de plus.

Bahrom Hamroev, militant à Memorial, une des principales organisations de défense des droits de l'Homme en Russie, considère les accusations qui pèsent sur Akram comme “fabriquées et falsifiées.”

Le jeune ouzbek m'a demandé de filmer son histoire. Il était prêt à tout pour prouver son innocence.

En passant du temps avec des Ouzbeks à Moscou,  je me suis rapidement aperçue que beaucoup vivaient dans la peur de quelque chose infiniment pire que les gangs de nationalistes russes ou les patrons véreux sur lesquels j'étais partie enquêter.

Lorsqu'un ami d'Akram – un gars corpulent et sûr de lui que j'appellerai Ahmed – nous a entendu émettre des hypothèses concernant la responsabilité du régime de Karimov dans les bombardements de Tachkent en 1999, il a été pris de panique. Si quelqu'un l'apprenait, a-t-il déclaré, on l'enfermerait immédiatement. Ahmed et un autre de ses amis confronté aux mêmes accusations qu'Akram sont si effrayés qu'ils ont cessé de rendre au travail par crainte d'être enlevés par les services de sécurité ouzbeks qui opèrent à Moscou.

Dix jours après avoir filmé Akram, il m'a appelée et m'a dit qu'il allait retourner en Ouzbékistan. Je l'ai supplié de n'en rien faire mais il m'a affirmé qu'il n'avait pas le choix. Il avait reçu des coups de fil menaçants du Service de Sécurité National Ouzbek (SNB) et, le 24 avril, il est parti.

D'après sa famille et ses amis, à peine Akram était-il arrivé en Ouzbékistan que le SNB l'a immédiatement arrêté. Personne n'a été autorisé à lui rendre visite. Ses proches redoutent qu'il n'ait été torturé et qu'ils ne puissent plus jamais le revoir.

A Memorial, Hamroev pense qu'Akram s'est vu promettre la liberté, promettre qu'il serait lavé de tout soupçon. Selon lui, c'est la seule manière d'expliquer qu'il soit parti de son plein gré. Hamroev pense également qu'on a forcé Akram à faire un choix, du genre: retourne dans ton pays ou ta situation sera bien pire.