Un think-tank politique russe pro-gouvernement a lancé ce qu'il désigne comme “système prédictif de surveillance” pour contrôler les rassemblements non autorisés et les actions dissidentes sur les réseaux sociaux. Si des systèmes analogues ont été mis en place ailleurs dans le monde, les experts restent dubitatifs quant au réel danger d'un tel dispositif.
D'après les informations données au journal pro-Kremlin Izvestia par Yevgeny Venediktov (directeur du Centre de recherche en légitimité et contestation politique), le logiciel a entamé une phase de test le 18 mai dernier, indexant en partie un réseau social non identifié. Venediktov a indiqué que le système ne s'attaquerait qu'à des données ciblées des réseaux sociaux, comme ces groupes ou profils utilisateurs collectés par des bénévoles dans une base de données puis filtrés par des “sociologues et politologues”. Cette démarche viserait plus spécifiquement les groupes politiquement orientés, les communautés de manifestations pour les droits civiques et les forums de discussions locaux, analysant les likes et retweets de contenu postés par les “groupes extrémistes”.
Venediktov déclare que le nouveau logiciel dénommé “Le Démon de Laplace” (d'après une expérience de pensée menée au XIXe siècle par le Français Pierre-Simon Laplace décrivant un démon omniscient), sera capable de repérer la préparation de manifestations longtemps avant leur concrétisation et pourrait transférer les informations aux autorités, universitaires et membres du gouvernement.
Comment fonctionne la surveillance prédictive ?
Jay Ulfelder politologue et chercheur affilié à la Data-Pop Alliance, a indiqué à notre site qu'il était possible de développer des systèmes qui utilisent le contenu posté sur les réseaux sociaux ainsi que d'autres contenus bruts pour anticiper les préparations de manifestation “avec une précisionn notable, qui s'accroit à mesure qu'approche l'événement”.
La version la plus basique de cette pratique consiste en rien de moins qu'écouter aux portes – étudier certains flux de réseaux sociaux ou forums de discussions – cela fonctionne probablement dans beaucoup de cas. Des approches plus abouties se penchent sur ces espaces mais également d'autres formes de données moins structurées, puis convertissent ces flux en des données plus exploitables, des choses comme le traitement automatique du langage naturel ou de l'analyse numérique, puis utilisent des modèles statistiques ou l'apprentissage automatique pour générerer des prédictions à propos d'une activité en particulier.
Ulfelder prend pour exemple le EMBERS, un système financé par le gouvernement américain, et le système de surveillance chinois des réseaux sociaux, qui anticipent les actions de groupe et censurent les discussions qui pourraient les provoquer. Les autorités egyptiennes ont également tenté de construire un système globalisé de surveillance des réseaux sociaux qui détecterait les expressions de contenu distendent et “dangereux pour la sécurité publique”.
Bien que les algorithmes prédictifs soient dans chaque cas différents et peu explicites, Ulfelder estime qu'il y a au moins des preuves circonstancielles qui indiquent leur faisabilité.
L'objet de la surveillance
Même si les choses ne sont pas très claires au sujet des réseaux sociaux qui sont susceptibles d'être surveillés ni sur les capacités du dispositif, Venediktov a déclaré à Izvestia que Twitter allait faire l'objet d'une surveillance dès Septembre, celui-ci de désigner la plateforme comme l'un des pires délinquants dans l'hébergement de “contenu extrêmiste”.
Мы провели исследование и выяснили, что именно эта соцсеть является не только лидером среди других социальных медиа по числу размещенных на нем ссылок на экстремистский контент, но и к тому же не удаляет их по требованию Роскомнадзора.
Nous avons effectué quelques recherches et avons découvert que ce réseau n'est pas seulement leader en terme de liens dirigeant sur du contenu extrêmiste, mais également qu'il ne supprime pas les liens à la demande de Roscomnadzor.
Alternatives aux médias généralistes qui sont largement aux mains du Kremlin,Twitter, Facebook et d'autres réseaux sociaux ont été les supports privilégiés de militants et membres de l'opposition en Russie pour organiser des rassemblements militants et faciliter les discussions sur les problèmes politiques et sociaux les plus sensibles. Alors que le gardien des médias russes, Roscomnadzor, demande constamment à ces réseaux sociaux de retirer le contenu lié à l'activité politique qualifiée “d'extrémiste”, ces requêtes sont souvent vaines, à l'exception de certaines pages qu'il parvient à faire supprimer. Roscomnadzor s'est montré particulièrement déçu de Twitter qui rejette la plupart des demandes.
Le sérieux de la menace
Si le nouveau logiciel est présenté comme une innovation majeure, les services de sécurité russes disposent déjà d'outils permettant d'arriver au au même résultat, tel que le logiciel d'archives Sémantique, utilisé par les servies de sécurité et les autorités de police pour contrôler les médias de masse et Internet, dont les blogs et les réseaux sociaux.
L'éditeur du site Agentura.ru, chien de garde de l'intelligence russe, a déclaré à RuNet Echo que les systèmes de contrôle russe ont d'abord été utilisés pour surveiller l'information structurée tels que les communiqués de presse, aussi le fait de les faire fonctionner sur des données non structurées telles que les réseaux sociaux requiert que ces systèmes soient affinés et ciblés sur du contenu spécifique. Un autre problème pour Soldatov, tient à ce que ces systèmes fonctionnent uniquement avec des comptes ouverts et bute sur les pages privées ou les comptes Twitter verouillés, quand bien même, il y a généralement toujours des difficultés pour accéder au contenu et métadonnées, comme l'a montré le cas Facebook.
Avec la multitude d'outils de surveillance déjà en place au sein d'un grand nombre d'agences gouvernementales, Soldatov pense que le nouveau logiciel Démon de Laplace, “ne semble pas très sérieux” et estime que le think-tank et Venediktov, qu'il considère comme un “conseiller en communication de seconde classe de Novgorod”, cherchent simplement à exploiter un filon lucratif.
Ce centre [recherche en légitimité et contestation politique ] n'est pas grand chose. Il me semble qu'il s'agisse d'un effort pour communiquer sur l'aspect public du centre et trouver de nouvelles subventions. Les services secrets Russes ont leurs propres systemes, l'Administration du président et ses ministres ont également leur propre système, ce Venediktov est simplement en train d'essayer de faire du profit.
Alors qu'on attend davantage d'information sur ce système de surveillance en construction, il convient de ne pas oublier l'actualité qui témoigne déjà des sanctions infligées aux utilisateurs de réseaux sociaux pour avoir posté du contenu indésirable ou “extrémiste”. Avec le Kremlin qui presse les réseaux sociaux et les autres sites web à conserver les données personnelles des utilisateurs en Russie et leur demande de retirer de façon croissante le contenu politique, il semble que la surveillance prédictive soit seulement l'un des nombreux combats que les militants russes doivent mener dans leur lutte pour la communication de leurs travaux et opinions en ligne.