Qu'est-ce qu'Internet a contre les mamelons des femmes? Cinq jeunes femmes font actuellement face, à Taïwan, aux conséquences de la diffusion sur Facebook, d'une séries de photos seins nus, une provocation contre les normes imposées. Leurs clichés ont été censurés sur Facebook et dénigrés dans les média locaux.
Ces femmes avaient posté ces photos en soutien à la campagne “Free the Nipple”, lancée en 2013 par Lina Esco pour alerter sur l'inégalité liée au sexe qui s'exprime dans la censure des mamelons féminins.
Peu de temps avant cet incident, Facebook avait suspendu les comptes d'utilisatrices qui avait partagé des articles sur la campagne #FreeTheNipple, dont la bloggeuse Liu Meiyu, qui est une des cinq femmes dont il est question plus haut. Celle-ci après, après sa suspension, s'en est pris aux règles en vigueur de Facebook sur son blog prenant comme argument que la société taiwanaise avait besoin de changer sa perception du corps humain. Elle a ensuite publié un peu plus tard, avec quatre de ses amis, son expérience :
前幾天,我和鏡子、林郁璇、宋晉儀、王立柔做了一個小小的攝影計劃,算是對Facebook莫名的檢舉制度和禁止裸露的荒謬條款做出回應。身體是什麼?在把「色情」、「猥褻」等字詞強加上女體之前,身體只是身體,只是我們自我的一部份。情欲與身體相關,但裸露的身體便象徵情欲嗎?反之,不裸露的身體就不帶情欲嗎?(再說,有情欲又如何呢?誰沒有情欲?)
更多時候,身體只是自然地存在著,會痛、會哭、會笑、會放鬆、緊繃、作態、玩耍、呼吸、行走、吃睡。如此而已。
Il y a quelques jours, “Jing Zi” [miroir], Lin Yu-hsuan, Sung Chin-yi, Wang Li-Jou et moi-même avons créé un petit projet photographique pour interpeler sur les règles de censure ridicules de Facebook. Que signifie un corps féminin? Avant d'être qualifié d'indécent ou obscène, un corps n'est qu'un corps, une partie de l'identité humaine. Le désir sexuel est lié au corps, mais la nudité doit-elle être assimilée au désir sexuel. Ne peut-on exprimer un désir sexuel sans être nue ? (et même si cela excite le désir sexuel, il n'y a rien de mal dans ce désir).Le corps existe naturellement, il peut souffrir il peut pleurer, rire, être soulagé, se crisper, jouer, respirer, marcher, manger et dormir c'est simple comme tout.
Ces photos ont été largement diffusées par les médias, mais beaucoup ont déformé le contexte de l'événement. Un article raconte qu'il s'agit de militantes étudiantes du mouvement Sunflower (c'est faux). Un autre suggère qu'elles devraient se sentir très gênées de ces photos. Dans la plupart des articles les journaux cachent les mamelons en utilisant un effet mosaïque. Liu trouve cela très ironique.
Le journaliste indépendant Liao Yun-chieh souligne que les photos retouchées par des mosaîques traduisaient le sentiment populaire, qui considère les mamelons comme une partie indécente du corps. Les photos deviennent un simple outil de consommation plutôt que de réflexion sur la politique vis-à-vis des sexes.
Facebook a néanmoins continué de supprimer les photos de femmes aux seins nus et de fermer les comptes d'utilisateurs qui postent ces photos, en conformité avec les conditions d'utilisations locales, qui aborde spécifiquement le problème des mamelons féminins de la façon suivante:
“Nous éliminons les images de poitrine féminine si elles incluent les mamelons, mais nous autorisons toujours les photos de femmes en train d'allaiter ou les photos montrant des cicatrices post-mastectomie.
Nous autorisons également les photos de peintures, sculptures et autres oeuvres d'art comportant des nus. Nos restrictions sur la publication de nudités ou de scènes d'activité sexuelle s'appliquent également au contenu des créations numériques à moins que celui-ci soit diffusé dans un but éducatif humoristique ou satirique.”
Manifestement, le mamelon féminin est situé pour Facebook dans une zone d'ombre.
Outre cette forme de censure systématique, les cinq femmes ont également dû faire face au harcèlement en ligne et à des pressions venant de leur famille, de leurs partenaires. Une autre femme qui a rejoint la campagne #FreetheNipple a écrit ce qui suit concernant la pression familiale dans un post intitulé “Lettre à ma mère”:
你打電話來罵我,怎麼上傳了「不檢點」的照片[…] 你說,「全世界都看到,這樣你一輩子不就毀了嗎」。又說,「這樣你以後要是跟對方分手,還有誰會要你」。[…] 我是一個女生,很需要努力把自己銷出去,很需要擔心有誰會要我,很需要害怕我沒有人要。我的一輩子很容易毀,不管我作了多少努力,幾張照片就可以毀了。作為一個母親,你必須為我操更多心,因為我的人生很脆弱,因為我是女生。[…]我不相信我的身體。只要我一天還是女生我就一定是個賤貨,我這麼胖、臉上斑點這麼多、腿這麼粗、個性這麼乖辟,不會有人愛我的。
我花了很久的時間抵抗這件事。說服自己是個很好的人,很可愛,值得被愛 […]你看著我的照片。你看著你女兒人生這麼多年來難得這麼自在地與自己身體相處的一刻。你還可以看著我與我的好朋友一起拍的照片。請你指著我們這些自在笑著的照片,說這些照片讓我的一輩子毀了。說像我們這樣美好的身體沒有人要。[…] 我希望你不止是一個反對我的行動的人,你是我媽媽,你是一個女人,你有跟我一樣的壓迫經驗。
“Tu m'as appelé pour me crier dessus, me demander pourquoi j'avais téléchargé des photos aussi indécentes. […] tu m'as dit : “le monde entier t'as vu, tu as ruiné ta vie, si tu dois rompre avec ton partenaire actuel, qui d'autre voudra de toi” […]
En tant que fille, je devrais me valoriser, m'inquiéter de qui voudra de moi. Que se passera-t-il si personne ne veut de moi? Je pourrais facilement ruiner ma vie. Peu importe les efforts que j'ai fait, quelques photos pourraient entraîner ma ruine. En tant que mère tu prends soin de moi parce que tu sais que ma vie est fragile, parce que je suis une fille……Je n'avais pas confiance en mon corps, je pensais que j'allais être vue comme une trainée : trop de graisse, trop de taches de rousseur sur la figure, mes cuisses avaient l'air de poteaux, ma personnalité trop introvertie, personne n'allait m'aimer. Il m'a fallu tellement longtemps pour me convaincre que j'étais parfaite, adorable et digne de l'amour des autres, capable d'avancer librement dans ce monde. […]
Regarde les photos, regarde ta fille à l'aise dans son corps, regarde là pendant les séances photos, regarde bien son visage rayonnant, ose encore dire que ces photos vont détruire leurs vies, dire encore que personne ne voudra de ce corps magnifique […]
Je voudrais que tu ne sois pas quelqu'un contre moi, tu es ma mère, une femme qui partage mon expérience.
Plusieurs histoires d'hommes ayant rompu avec leur amie qui avait adhéré à la campagne #FreeTheNipple ont circulé. Queerology, un éditorialiste du nouveau portail en ligne “The News Lens” ( Nouvelle Optique), s'est indigné de ces histoires de ruptures :
面對陸續聽到男生因為女朋友解了衣扣而分手的故事,我覺得在氣憤之餘,除了怒吼一句「老娘的身體是老娘自己的」以外,我們或許還有一些把這些男性的不滿、憤恨、糾結….更結構化看待的可能。[…] 今天是男朋友不願你加入解放乳頭,明天是家務與育兒工作的分配。
Les histoires de garçon ayant rompu avec leurs copines à cause de leurs photos sein nus continue à fleurir. A part être en colère et leur crier : “mon corps m'appartient”! On ne peut pas faire face au mécontentement et la frustration des hommes à propos de ces photos dans une perspective plus structurée. […]
Aujourd'hui un garçon peut vous empêcher de vous joindre à la campagne: “free nipple”, demain il peut faire le contraire pour le partage des tâches domestiques et de l'éducation des enfants.
L'éditorialiste explique plus loin que cette même relation de pouvoir avait “piégé le mamelon” et confiné les femmes dans une sphère privée appelé” foyer” et que la lutte pour la “libération du mamelon” irait bien au-delà de la seule publication de photos.
En dépit de la controverse et de l'attitude négative des média, des femmes continuent à se joindre au mouvement #FreeTheNipple pour affirmer l'autonomie des femmes vis à vis de leur propre corps. Des photos sont rassemblées sur le compte twitter de Sister Saying sous #TaiwanFreeTheNipple. Ci dessous, quelques-une d'entre elles dont une montrant la cicatrice d'une intervention chirurgicale sur la poitrine d'une femme:
小時候動過離心臟很近的切骨手術,手術完後在胸口留下一個倒U字型的疤痕,因此小時候很討厭這樣的缺陷,但現在非常自豪,因為這疤痕是我,戰勝死神後,努力活下來的證明 #TaiwanFreeTheNipple #FreeTheNipple pic.twitter.com/m4yDgPY5Hr
— 性解放の學姊 (@sisterssaying) 18 avril 2015
J'ai été opéré dans la région du cœur lorsque j'étais petite. Un fragment osseux a été retiré laissant une cicatrice en forme de U. je haïssais mon corps déformé lorsque j'étais petite mais maintenant je suis fier de lui. Cette cicatrice m’ identifie, c'est la preuve que j'ai vaincu la mort, que j'ai survécu.
#TaiwanFreeTheNipple #FreeTheNipple.
Le groupe appelle également à un concours d'affiches et de vignettes autocollantes pour les efforts, à venir, de sensibilisation au problème.