Depuis 1974, quand a été changée la loi sous la dictature d'Augusto Pinochet, le Chili est l‘un des sept pays dans le monde qui ne permettent l'avortement dans aucune circonstance. Avec le retour de la démocratie en 1990, il y eut diverses tentatives pour dépénaliser l'avortement, mais aucune, y compris une promesse de la présidente Michelle Bachelet de le légaliser en cas de viol ou de danger mortel pour la femme n'a abouti.
Quand, en 1974, la Constitution chilienne fut modifiée, le sénateur Jaime Guzmán Errázuriz fit un discours sur l'avortement qui incluait l'idée que : “La mère doit avoir son enfant même s'il s'avèrait anormal, si elle ne l'avait pas désiré, s'il était le produit d'un viol ou encore si l'avoir conduisait à sa mort”.
La Constitution elle-même était vague et se contentait de “protéger la vie du nouveau né” mais le discours de Guzmán continue d'être le meilleur résumé de la politique actuelle.
Dans le discours de Michèle Bachelet le 21 mai dernier, la promesse avait disparu, mais pas le débat. De temps en temps, la presse chilienne publie une série d'articles sur des filles très jeunes qui se retrouvent enceintes, généralement à la suite d'un viol, parfois de la part d'un proche, et auxquelles on ne permet pas d'avorter. Cette année, l'histoire tragique d'une fillette de 11 ans l'a transformé en un symbole de la cause.
Mon affiche pour la Journée de la Femme dira “Le Chili, un pays où une fillette de 11 ans peut être MERE PAR SON PROPRE FRERE. AVORTEMENT LEGAL MAINTENANT”.
— #ApagonFemenino (@BessyPrado) March 4, 2015
Mon affiche pour la Journée de la Femme dira “Le Chili, un pays où une fillette de 11 ans peut être MERE PAR SON PROPRE FRERE. AVORTEMENT LEGAL MAINTENANT
Le Chili est un pays catholique jusqu'a la moelle, il n'est donc pas surprenant que la prohibition de l'avortement soit seulement un des nombreux aspects d'un problème social majeur.
Message des Évêques du Chili avant le projet de dépénalisation de l'avortement http://t.co/anQNWwcNTv — Iglesia.cl (@iglesiachile) May 26, 2015
Message des Évêques du Chili avant le projet de dépénalisation de l'avortement
La pilule contraceptive est vendue en pharmacie sans ordonnance. Le contraceptif d'urgence qui s'utilise de façon rétroactive pour éviter d'être enceinte est plus difficile à obtenir. Le contraceptif d'urgence fut légalisé en 2002, après une longue bataille dans les tribunaux. Les Chiliens aisés peuvent l'acquérir dans les cliniques privées, mais la majorité des femmes doivent recourir au service national de santé, qui ne la prescrivait qu'en cas de violence sexuelle. À partir de 2006, il fut mis à disposition des femmes à partir de 14 ans, sans le consentement des parents.
Le 8 mars 2015, lors de la Journée Internationale de la Femme, environ 8 000 personnes marchèrent dans les rues en exigeant des avortements sûrs et légaux. Une semaine plus tard,, près de 5 000 personnes marchèrent “pour la vie”. Siempre Por La Vida (Toujours Pour la Vie), organisation chilienne pro-vie, souhaite que la loi demeure identique à tout prix.
J'ai discuté avec Rosario Lagos, présidente de Siempre Por La Vida, qui croit que l'avortement thérapeutique (en cas de danger mortel) est lui aussi “complètement inutile”, car les “médecins ont l'obligation morale et professionnelle de sauver la vie de la mère”. Elle appelle l'avortement une “fausse promesse pour le confort mental”. Rosario Lagos me dit que les femme ont besoin de “compagnie, soutien et protection”, pas d'avortement.
“Et en cas de viol”, dit-elle, “il est fondamentalement injuste de condamner l'enfant à mort et au violeur la prison. L'avortement lui aussi cause plus de mal que de bien”. Selon Lagos, “la science” montre que l'avortement “cause plus de douleur physique et émotionnelle”.
Javiera et Amanda de Serigrafía Instantánea (Sérigraphie Instantanée) sont de l'autre côté du débat. Elles font partie d'un collectif d'artistes qui réalisent des affiches et des t-shirts pour appuyer des causes de justice sociale. “Le Chili est un pays conservateur, avec des dirigeants ultra-conservateurs”, dit Javiera. “Mais, pourquoi auraient-ils le droit de décisions sur mon propre corps? Je ne crois pas à la légalisation de l'avortement pour raisons thérapeutiques. Nous devrions avoir le droit de prendre librement les décisions sur notre fertilité”.
Amanda parle de l'avortement comme partie d'un problème bien plus vaste. “L'avortement est seulement un symbole. Nous voulons récupérer nos corps, car l'avortement est déjà une réalité au Chili. Les femmes avec de l'argent vont dans les cliniques ; les femmes sans accès aux cliniques doivent avoir recours à d'autres moyens”.
Chaque année, entre dix et vingt mille femmes subissent un avortement illégal au Chili. Le tabou autour de cette activité projette une ombre massive sur tout le problème, ainsi, il est difficile de confirmer l'exactitude des chiffres. Human Rights Watch Amérique Latine estime que “une grande partie des grosses au Chili sont non-désirées. Près de 35 pour cent terminent en avortement, ce qui donne près de 160 000 avortement chaque année, 64 000 d'entre eux concernent des filles de moins de 18 ans”.
Une des organisations qui aident les femmes à avorter en toute sécurité à domicile est Línea Aborto Libre (Ligne Avortement Libre), dirigée par Angela Erpel Jara, qui est également sociologue de l'Université du Chili. Tous les jours, entre 20h et 23h, Línea Aborto reçoit jusqu'à 15 appels de femmes qui cherchent des informations sur la façon de réaliser un avortement sûr en utilisant Misopostrol. Pour compléter ce service, elles partagent des libres sur ce thème. L'année passée, après avoir placé les livres dans des bibliothèques locales, Línea Aborto Libre fut poursuivie trois fois, avec l'accusation de pratiquer la médecine illégalement et d'inciter à l'activité criminelle. Aucune des accusations n'a pu être prouvée.
Erpel Jara et ses collègues s'occupent dans la pratique davantage des femmes qu'elles assistent que sur la loi. “Ça ne nous intéresse pas de négocier avec les parlementaire”, dit-elle. “La loi qui permet l'avortement thérapeutique est une perte de temps. Les femmes ne devraient pas devoir demander la permission aux hommes législateurs, prouver aux hommes médecins qu'elles furent violées ou qu'elles sont en danger de mort pour pouvoir prendre la décision sur leur propre fertilité”.
Erpel Jara aide les femmes seulement avec le traitement à domicile ; légalement, elle ne peut pas leur dire comment obtenir du Misoprostol. Mais ce n'est pas si difficile. Avec l'aide de Google, un téléphone portable (les vendeurs communiques par WhatsApp) et 60 000 pesos (100$ US), quiconque peut obtenir les pilules. Une recherche rapide permet de trouver plus de 30 personnes qui ont assumé le risque de mettre leur numéro de téléphone en ligne, parfois avec leurs noms, et qui déclarent être vendeurs de Misoprostol. Où ils obtiennent le produit n'est pas clair. Une étude mentionne une “mafia de Misoprostol”, alors que le médicament est disponible sur ordonnance dans la majorité des pays voisins du Chili.
En guise de test, j'ai envoyé des messages à quelques-uns des numéros en demandant s'ils pouvaient me fournir du Misopostrol. Un me répondit instantanément, me demandant à quelle étape de la grossesse j'étais et m'assurant qu'ils avaient “de l'expérience dans le secteur médical”. Il devenait douloureusement clair que les femmes qui font cela prennent un double risque : mettre sa santé entre les mains d'un numéro trouvé sur internet, et sa confiance entre celles de vendeurs clandestins. Et si quelque chose tourne mal, un médecin pourrait les dénoncer, avec le risque de finir en prison.
À l'heure actuelle, il y a peu d'espoir que la situation s'améliore. La présidente est restée silencieuse, la loi reste inchangée. La prohibition de l'avortement est enracinée dans la Constitution chilienne, constitution qui dès son premier article garantit la sécurité de tous les citoyens et la liberté de réalisation spirituelle et matérielle — une liberté qui est niée à des centaines de Chiliennes chaque année.