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Ces voix allemandes divergentes sur la crise grecque que personne n'entend

Catégories: Europe de l'ouest, Allemagne, Grèce, Economie et entreprises, Médias citoyens
Europe gone with the wind?
 Photo sur Flickr de Theophilos Papadepoulos [1] sous licence CC BY-NC-ND 2.0

A croire les médias traditionnels allemands, l'Allemagne est unanime à vouloir un nouveau tour de vis d'austérité et de réformes pour le maillon faible grec de la zone euro. Par contre, dans les médias alternatifs et les communautés d'internautes ou les médias sociaux d'Allemagne, les voix anti-austerité qui s'alignent sur le peuple grec sonnent haut et fort.

L'Allemagne est l'un des principaux créanciers de la Grèce et, première économie de la zone euro [2], elle détient une influence prépondérante sur le programme de sauvetage grec. Le gouvernement allemand veut voir la Grèce appliquer plus d'austérité et rembourser ses dettes, allant jusqu'à suggérer une sortie temporaire du pays de l'euro s'il n'y parvient pas.

Lire aussi : Le #Grexit supplanté sur Twitter par le #Schaeublexit [3]

La crise de la dette grecque

Malgré les deux plans de sauvetage de 2010 et 2011, l'économie grecque ne s'est jamais relevée de la crise de la dette dans la zone euro de 2009. [4] Les sauvetages étaient conditionnés à de strictes mesures d'austérité imposées par les prêteurs, Fonds Monétaire International (FMI), Commission Européenne [5] et  Banque Centrale Européenne [6] — la fameuse Troïka.

Dans un sketch du populaire programme satirique “Die Anstalt” de la télévision publique allemande ZDF, la Troïka bouscule le dieu grec Zeus et lui ordonne de “cesser de tonner” pour le peuple grec. Dans cette vidéo en allemand, sous-titrée en anglais [7] et grec [8], les humoristes disent à Zeus “Nous sommes la troïka, les dieux c'est nous” :

Le 30 juin, la Grèce est devenue le premier pays développé à ne pas rembourser un prêt du FMI, aggravant l'antagonisme avec les autres membres de la zone euro. Tandis que les journaux du monde entier montrent les files d'attente de Grecs en plein désarroi devant les distributeurs de billets, le gouvernement du premier ministre Alexis a parlé haut et fort contre les créanciers et appelé à une réforme des termes de la dette. Dans le référendum [9] qui a suivi, les électeurs grecs ont rejeté de nouvelles mesures financières d'austérité.

Les membres de la zone euro, sous la bannière allemande, sont restés imperturbables.

Le poids de l'Allemagne

Le 13 juillet, après 31 heures de discussions [10], les dirigeants de la zone euro et le premier ministre Alexis Tsipras sont arrivés à un accord représentant des milliards supplémentaires de prêts pour la Grèce au bord de l'asphyxie, en échange d'une austérité encore plus douloureuse. Le parlement grec doit se prononcer sur le plan au courant de la semaine.

Le blogueur Ingo Stützle [11]décrit l'ampleur de la domination allemande sur la zone euro, l'union monétaire des 19 pays membres de l'Union Européenne qui utilisent l'euro comme monnaie commune :

Wie weit Deutsch­land in sei­ner Selbst­herr­lich­keit geht, zeigte Mer­kel bereits im Juni 2010, als sie forderte, dass Län­dern mit finanz­po­li­ti­schem Schlen­drian das Stimm­recht ent­zo­gen wer­den müsste … Wenige Monate später konnte ohne Umset­zung die­ser fixen Idee, die Staats­ver­schul­dung quasi als Men­schen­rechts­ver­let­zung wer­tet, der CDU-Fraktionschef Vol­ker Kau­der befrie­digt fest­stel­len: »Tout d'un coup on parle allemand en Europe. Pas la langue, mais l'acceptation Nicht in der Spra­che, aber in der Akzep­tanz der Instru­mente, für die Angela Mer­kel so lange und dann erfolg­reich gekämpft hat.«

Merkel avait montré dès juin 2010 l'étendue de la tyrannie allemande, quand elle avait exigé que les pays budgétairement irresponsables se fassent retirer le droit de vote… Quelques mois plus tard, sans même transposer cette idée fixe qui considère la dette publique quasiment comme une atteinte aux droits de l'homme, le chef de la la fraction CDU Volker Kauder pouvait se féliciter : “Tout d'un coup l'Europe parle allemand. Pas la langue, mais l'acceptation des instruments pour lesquels Angela Merkel se bat depuis si longtemps et enfin avec succès”.

L'économiste Thomas Piketty a déclaré dans un entretien avec le journal DIE ZEIT [12] que la formule de la réussite allemande après la Deuxième guerre mondiale reposait, entre autres, sur un élément crucial : la réduction de sa dette. En 1953, la dette allemande a été effacée à près de 60 %. Dans la crise grecque actuelle, l'argument qui prévaut est que le paiement des réparations de la 2ème guerre mondiale ne doit pas être cumulé [13] avec la dette grecque.

Des voix contre l'austérité en Grèce

Un coup d'oeil à la communauté des internautes et aux médias sonciaux en Allemagne fait apparaître des arguments et points de vue allemands totalement différents sur la crise grecque. Des opinions qui montrent aussi que les Allemands sont nombreux à vouloir une approche équilibrée, factuelle et moins idéologique de la Grèce— et qui s'autorise aussi une critique des politiques d'austérité.

Après la chaleur éprouvante de la journée, un ‪#Oxi libérateur et un orage sur Berlin : “Hourrah, la fin du monde”

A chaque fois que je twitte quelque chose de non-conforme sur la Grèce, je perds des abonnés. La critique de l'austérité est bien le nouveau féminisme.

Expropriez Springer et effacez les milliards de la dette grecque. [Référence au mouvement étudiant de la fin des années 1960 en Allemagne de l'Ouest] Pour une raison ou une autre je suis d'humeur révolutionnaire aujourd'hui.

Comparer les mass-média allemands et internationaux sur la Grèce, tant que sa tension artérielle le permet, et l'état des médias allemands ne fait plus de doute.

Wolfgang Blau écrit aussi dans son billet Facebook [20] que davantage de voix d'Allemagne doivent être entendues en Grèce et en Europe pour renforcer un discours européen civilisé. Il offre à ses lecteurs une vidéo [21] artistique plutôt que journalistique sur la Grèce, qui devrait donner à réfléchir à beaucoup de gens en Europe, et surtout aux journalistes :

Vous savez que cette vidéo pourrait commencer ou se terminer sur une vue imposante de l'Acropole. Ou des Jeux Olympiques. Ou des eaux indigo de la mer Egée. Ou des gens qui perdent leur travail et leur logement. Ou d'autres qui dorment dans des boîtes en carton. Ou d'autres qui conduisent de luxueuses voitures. Ce ne sera pas le cas, parce que cette vidéo n'a pas été faite pour vous impressionner ou vous choquer. Parce que ces mots ne sont pas un cri ; ils sont un murmure.



Lire aussi : A Thessalonique, Astéris Masouras croit en la solidarité pour sauver la Grèce [9]

La crise vue par les médias allemands

La crise grecque suscite une contestation [22] des médias traditionnels allemands. Un sentiment commun est que dans le traitement médiatique de la question l'idéologie noie les faits objectifs et toute critique des politiques d'austérité.

Wolfgang Blau du Guardian exprime dans ce billet Facebook [20] son inquiétude à propos de la campagne anti-grecque du tabloïd allemand Bild :

Ich hätte nie gedacht, dass eine deutsche Nachrichtenorganisation so entehrend und rücksichtslos sein könnte im Angesichts des Leidens einer anderen Nation.

Je n'aurais jamais cru qu'un organe d'information allemand pourrait être aussi déshonorant et impitoyable face aux souffrances d'une autre nation.

Heiner Flassbeck écrit sur son blog Hassbeck economics [23] qu'il reçoit sans cesse de ses lecteurs des protestations contre des “articles tendancieux, idéologiques, et même démagogiques”.

Cela ne vaut pas seulement pour des tabloïds : des organes de médias régionaux de haute qualité sont également concernés. Pour Flassbeck, ce qui manque dans la couverture allemande de l'actualité, ce sont les points de vue des internautes :

Dass es im Internet inzwischen Qualitätsinformation und Analyse gibt, die in ihrer Objektivität und ihrer Klarheit von den traditionellen Medien niemals erreicht wird, davon ist natürlich überhaupt nicht die Rede.

Qu'il existe maintenant sur Internet de l'information et de l'analyse de qualité, jamais égalées dans leur objectivité et clarté par les médias traditionnels, il n'en est évidemment pas du tout question.