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L'Inde peine à faire baisser le taux de mortalité maternelle

Catégories: Asie du Sud, Inde, Développement, Droits humains, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Gouvernance, Médias citoyens, Santé
In the hamlet of Indkatha , Jharkhand state in eastern India, women of the Ho tribe take lessons to reduce maternal mortality.  Image by Freny Manecksha. Copyright Demotix (11/11/2008) [1]

Hameau d'Indkatha, dans l'état de Jharkhand à l'Est de l'Inde : des femmes de la tribu Ho suivent une formation destinée à  réduire la mortalité maternelle. Image de Freny Manecksha. Copyright Demotix (11/11/2008)

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais].

D'après les objectifs du Millénaire pour le développement formulés par  les Nations Unies, l'Inde est censée abaisser [2] son taux de mortalité maternelle (TMM) à 109 pour 100 000 naissances vivantes en 2015. Voilà qui est beaucoup demander car, partant d'un TMM de 437 pour 100 000 naissances vivantes en 1990-91, l'Inde n'a réussi à réduire ce chiffre qu'à 190 [3] en 2013-2014.

Les experts en concluent que l'Inde risque de ne pas atteindre [4] ses objectifs du Millénaire pour le développement en matière de TMM.

Seules les femmes enceintes ayant reçu des conseils réguliers et dont l'accouchement a été assisté par du personnel qualifié en établissements de santé ont la garantie d'un accouchement sans risque.

Dans de nombreuses régions de l'Inde, le manque d'infrastructures sanitaires, permettant les accouchements en établissements de santé et les soins prénatals et post-partum, et le manque de sensibilisation aux programmes existant qui encouragent les accouchements en établissements de santé, représentent les principaux obstacles [5] à la réalisation de ces objectifs. D'autres facteurs [6] tels que les mariages précoces, la malnutrition chez les femmes et l'inégalité entre les sexes augmentent les risques liés à la grossesse.

Un rapport [4] rédigé par CommonHealth, réseau d'associations en faveur des soins néonatals et maternels et de l'avortement sans risque, et par Jan Swasthya Abhiyan, affirme que le système de santé publique a manqué à ses engagements envers les femmes des castes spéciales, des tribus et minorités religieuses vivant dans des zones reculées ; il en est de même pour les migrantes. Le rapport démontre que malgré les divers programmes mis en œuvre par le gouvernement, il existe de grosses lacunes en termes de responsabilisation et de gouvernance. Cela peut s'expliquer par le fait que la plupart des programmes ont été mis en place à la hâte à leurs débuts.

Des citoyens journalistes de Video Volunteers [7], un média et une ONG défendant les droits de l'homme,  exposent les racines de ces problèmes dans une série de vidéos [8].

Leurs reportages [9] révèlent que bien que le gouvernement encourage les femmes à accoucher en établissements de santé plutôt qu'à domicile, le système de santé publique est complètement invalidé par une pénurie d'infrastructures sanitaires, de médecins, de personnels soignants disponibles et de médicaments.

La corruption n'améliore rien

En 2014, 56 000 femmes sont décédées pendant leur accouchement en Inde. Les programmes du gouvernement indien Janani Suraksha Yojana [10] et Janani Shishu Suraksha Karyakram [11] prévoient des dispositions pour réduire les dépenses personnelles des femmes vivant en dessous du seuil de pauvreté, et qui sont censées être mises à disposition des patientes : des examens médicaux prénatals gratuits, des comprimés de FAF (fer/acide folique), des médicaments, des repas dans les établissements de santé, du matériel pour les transfusions sanguines, et des services de transport depuis et vers les établissements de santé.

Pourtant, à en croire la vidéo ci-dessus, [12] qui comprend des séquences prises en caméra cachée par une journaliste citoyenne, Mary Nisha, du district de Godda dans l'état de Jharkhand :

La patiente de 24 ans, déjà en travail, a attendu le médecin pendant six heures. Le médecin de garde ne s'est pas présenté et elle n'a accouché qu'en présence de l'infirmière. Les frais d'accouchement lui sont revenus à 400 INR et elle a même dû payer un droit d'accès aux toilettes de l'hôpital. On ne lui a proposé ni nourriture, ni médicaments gratuits.

Un manque d'institutions fonctionnelles

Cette vidéo retrace la situation de trois femmes du village de Khatti, dans le district de Gariaband (état de Chhattisgarh). L'une a perdu son bébé six jours après son accouchement, dû à l'absence de toute assistance médicale. L'autre a mis au monde un bébé mort-né, contrainte d'accoucher seule à domicile ; la troisième, enceinte de neuf mois, n'a accès à aucun soin de santé.

Cette vidéo [13] de Reena Ramteke qui vit à Khatti, dans le district de Garyaband de l'état de Chattisgarh, dénonce un établissement de santé publique constamment fermé dans la localité.

Laleshwari, 21 ans, raconte qu'elle n'a été mise en relation avec aucun professionnel de santé pour encadrer sa grossesse. Purnima, 20 ans, a mis au monde un enfant mort-né parce que le seul centre médical près de chez elle était fermé. Elle explique que le centre médical de proximité est ouvert deux fois par mois mais même là, l'infirmière de garde y est la plupart du temps absente. Quelle autre option s'offrait à elle ?

Le centre médical du village de Khatti n'a plus vu un seul accouchement se dérouler depuis ces dix dernières années. Indrani, 22 ans, a perdu son nourrisson âgé de six jours à cause d'une infection survenue après un accouchement à domicile. Elle a appelé l'infirmière de garde du centre médical de proximité pendant son accouchement mais cette dernière lui a rétorqué qu'elle était en réunion et ne pouvait faire le déplacement.

Bharti Kumari signale [vidéo en version originale non sous-titrée] [14] depuis Telmocho, village du district de Dhanbad (état de Jharkhand), que le principal centre médical est inutilisable, tant pour les professionnels de santé que pour les patients, dépourvu de toilettes qui fonctionnent et le toit présente des fuites pendant la mousson.

Les médecins de l'établissement s'avèrent souvent absents. Ainsi, les patientes qui peuvent se le permettre doivent se rendre dans un centre médical privé relativement onéreux pour leur accouchement.

Un manque de personnel

Halima Ezaz de Dhanbad (état de Jharkhand) mentionne le fait qu'une infirmière sage-femme auxiliaire du Jharkhand s'occupe à elle seule de 14 centres médicaux de proximité. Ahilya Devi, une septuagénaire, suit des femmes enceintes et des jeunes mères, leur apportant des compléments alimentaires, leur administrant des vaccins, assistant les accouchements, etc. Pourtant, on ne lui fournit aucun matériel pour travailler dans une région où l'approvisionnement en électricité se révèle instable :

Ahilya explique [15]:

Avant nous avions des lampes de secours rechargeables, maintenant elles sont cassées. [Si les éclairages ne fonctionnent plus la nuit], nous devons utiliser des bougies et des lampes de poche. Comment peut-on effectuer des points de suture dans de telles conditions ?

Chacune de ces vidéos souligne les obstacles empêchant de réduire le taux de mortalité maternelle en Inde. En dépit des campagnes du gouvernement, l'Inde reste à la traîne derrière [16] ses voisins, le Bangladesh et le Népal, en matière de lutte contre la mortalité maternelle. Il existe en outre de profondes disparités en termes de progrès d'un état à l'autre du vaste territoire indien. Certains états comme ceux de Tamil Nadu, Delhi, Kerala ou Andhra Pradesh ont atteint leurs objectifs du Millénaire pour le développement. Toutefois, nombre d'entre eux – et en particulier ceux qui ont une population notable de castes et tribus répertoriées [17] ou des groupes de minorités religieuses – prennent du retard.

Pour aller plus loin, regardez cette playlist de Youtube sur la santé maternelle en Inde [18].