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Lettre ouverte aux chaines nationales russes, restées muettes sur la tragédie d'Omsk

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Catastrophe naturelle/attentat, Média et journalisme, Médias citoyens, RuNet Echo
Two of these men died hours after this photo was taken in a Russian barracks that partially collapsed. Photo from Sergei Filatov's social media page, via Elena Rykovtseva. Facebook. [1]

Deux de ces hommes sont morts quelques heures après avoir pris la photo dans des quartiers russes qui se sont effondrés en partie. Photo tirée du réseau social de Sergei Filatov, via Elena Rykovtseva. Facebook.

Presque deux douzaines de soldats russes sont décédés le 13 juillet, alors qu'une partie des quartiers de Omsk s'effondrait soudainement [2]. Les hommes qui ont péri dans cette tragédie n'avaient pas plus de 18 ans, et pas un seul d'entre eux n'est né avant 1991. Par le biais de son chargé de presse, le Président Poutine a présenté ses condoléances [3] aux familles des disparus et a promis une aide médicale aux 19 survivants.

A la télévision russe cependant, l'accident est passé relativement inaperçu. Dans les jours suivant, les victimes ont été enterrées à travers le pays et les funérailles ont eu lieu dans leur ville natale. Elles n'ont pas fait les manchettes.

Le 15 juillet, dans un post Facebook [1] qui a été partagé plus de 12 400 fois et “aimé” plus de 16 000 fois, Elena Rykovtseva de RFE/RL poste une attaque cinglante contre les médias d'informations de la télévison russe, prenant les réseaux nationaux en défaut pour avoir ignoré le côté humain de la tragédie. Etant donné la grande popularité du texte et à quel point il semble faire écho chez les internautes russes, nous proposons la traduction suivante du post de Rykovtseva.

LEURS NOMS N'ONT PAS ETE MENTIONNES UNE SEULE FOIS DANS LES RESEAUX NATIONAUX DE TELEVISON

  1. R.Shaihulin, 5 octobre 1994
  2. B.Sudnikovich, 4 janvier 1995
  3. A.Polegenko, 17 janvier 1997
  4. R.Yumagulov, 29 mars 1991
  5. M.Ignatenko, 20 janvier 1996
  6. R.Filyanin, 24 juillet 1996
  7. M.Ivanov, 22 octobre 1996
  8. V.Chemezov, 19 octobre 1996
  9. S.Vahrushev
  10. Filatov, 18 août 1996
  11. R.Altynbaev, 14 juin 1994
  12. D.Kenih, 16 novembre 1996
  13. A.Gritskov, 30 janvier 1996
  14. E.Belov, 3 décembre 1995
  15. B.Nafikov, 21 septembre 1996
  16. O.Kortusov, 16 mars 1996
  17. A.Shokaev, 5 novembre 1994
  18. E.Herman, 30 juillet 1995
  19. F.Mamliev, 2 septembre 1996
  20. E.Reshetnikov, 30 septembre 1996
  21. AM.Igoshev, 6 avril 1996
  22. A.Shingareev, 24 avril 1997
  23. V.Lomaev, 29 janvier 1997

Cinq d'entre eux ont été enterrés aujourd'hui à Omsk. Deux autres ont été inhumés à Novosibirsk. Un jour de deuil a également été déclaré à Orenburg. Les dépouilles arrivent également à Irkoutsk, Bachkiria, et St. Pétersbourg. Les gens pleurent d'un bout à l'autre du pays, mais ce n'est plus le problème des chaines télévision. “[Le groupe nationaliste ukrainien] Pravyi Sektor marche sur l'Europe. Les autorités ukrainiennes sont incapables de contrôler les radicaux.” C'est ainsi que leur fichu journal télévisé commence. Et pas un mot sur nos jeunes garçons décédés.

En ce moment, des funérailles ont lieu à Omsk—déjà pour le deuxième jour consécutif. Mais il n'y a aucune nouvelle provenant de là-bas. Pas une seule émission en direct. Et je me rappelle bien comme Rossiya-24 (Russie-24) diffusait 24 heures sur 24 la couverture médiatique accordée aux funérailles du séparatiste de Lugansk, [Alexey] Mozgovoi. Je me souviens comme c'était diffusé en boucle, alors que le micro était tendu aux familles, puis aux amis, et aux habitants, et comment chacun pleurait en évoquant quel grand et exceptionnel parrain et protecteur il était. Lorsqu'il s'agit de nos garçons de l'armée russe, qui ont juste fanatiquement voulu servir en tant que parachutistes, il n'y a rien à la télévision. Personne ne diffuse les réactions, ou les condoléances d'un seul parent ou ami du défunt—en dehors de la réaction de sympathie de Putin, comme répété par [son attaché de presse Dmitry] Peskov. Et ce n'était que le premier jour.

Hier, le deuxième jour, s'exprimant alors devant un groupe d'étudiants à Klyazma, [Putin] ne se souvient plus de cet autre jeune homme. Il a affiché un large sourire et a félicité la foule pour le beau temps qu'il faisait. C'était comme si ce qui était survenu dans les quartiers de Omsk n'avait jamais eu lieu. Les noms des victimes n'ont jamais été cités dans un seul réseau national de télévision. Ces hommes sont sans nom—les 23 sans exception.

Ce n'est rien de personnel les gars.

Mais chacun de ces garçons a son propre réseau social, avec des photographies. Et il aurait au moins été possible de dire quelque chose—n'importe quoi—à propos de ces hommes, et de leurs familles. Un mot à propos d'Oleg Kortusov, par exemple, qui était un combattant prometteur et dont la fiancée attendait un enfant. Ou quelque chose à propos d'Egor German, un autre originaire d'Omsk, qui laisse derrière lui un bébé d'un an à peine.

Et ne parlons même pas d'aider les personnes qui étaient chères à la victime—les proches des morts et des survivants. Ils ont transféré un autre soldat d'Omsk, Volodya Petrov, à Moscou, et le Ministère de la Défense paie ses soins, mais aucune somme n'a été versée à sa famille pour la dédommager du transport en train ou de son hébergement dans la ville. Et sa mère n'a plus rien. C'est la raison pour laquelle la ville de Omsk s'est regroupée et a collecté des fonds afin de l'aider.

Pour une raison quelconque, il ne veulent pas en parler sur leurs réseaux nationaux de télévision, qui ont pourtant une audience s'élevant à des millions. Pour une raison que l'on ignore, ils ne veulent pas dire ne serait-ce qu'une chose bien concernant ces gars, ou demander au pays, si lui peut-être, aussi, voudrait apporter son aide, en plus de l'aide ponctuelle que leurs familles ont reçue de l'Etat (qu'elles ne recevront pas tout de suite, d'ailleurs)?

Mais je ne veux plus parler de ces gens ni de leurs chaînes de télévision. Laissons-les vivre avec leur honte. Je veux juste dire au revoir à ces garçons. Et aussi en leur mémoire, je voudrais publier cette photo [voir ci-dessus], que j'ai trouvée dans le réseau social de l'un d'entre eux, Sergei Filatov. C'est le deuxième en partant de la droite dans la dernière rangée du fond. A l'avant, c'est Valery Lomaev de St. Pétersbourg. Il est également décédé. La photo date du 12 juillet, quelques heures avant la tragédie, dans les quartiers même.