Ce qui s'est passé quand la justice russe a condamné un réalisateur ukrainien à 20 ans de prison

Protesters outside the Russian embassy in Kiev demand the release of Oleg Sentsov and Aleksander Kolchenko on August 25, 2015. Photo by Inna Sokolovska from Demotix.

Manifestation devant l'ambassade russe à Kiev pour demander la libération d'Oleg Sentsov et d'Aleksander Kolchenko, le 25 août 2015. Photo Inna Sokolovska, Demotix.

Un tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don, en Russie, a condamné le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov à vingt ans de travaux forcés en quartier de haute sécurité pour préparation d'«attentat terroriste» en Crimée. Son coaccusé, Alexander Kolchenko, a été condamné à dix ans de prison. RuNet Echo a recensé les réactions de la Toile au procès et au verdict, et leurs réflexions sur l'état de la justice en Russie.

Sentsov, natif de Crimée, est un cinéaste indépendant et un militant pro-ukrainien. Il nie toutes les charges qui pèsent contre lui et affirme que cette affaire est «motivée par des raisons politiques et falsifiée». Sentsov dit aussi qu'il a été torturé et frappé lors de sa détention par la police russe, et menacé de viol pendant sa garde à vue. Les procureurs russes ont aussi dénié à Sentsov la nationalité ukrainienne, arguant qu'il était un ressortissant russe puisque la Crimée «appartient dorénavant à la Russie».

Selon l'enquête, au printemps 2014 (peu après l'annexion de la Crimée par la Russie), Oleg Sentsov «aurait donné l'ordre à ses complices de faire sauter une statue de Lénine à Simféropol, en Crimée». La police a aussi prétendu que Sentsov préparait une autre attaque contre le mémorial de la Flamme éternelle de Simféropol. Kolchenko, lui, a été accusé d'avoir lancé un cocktail Molotov contre le bureau de Russie unie à Simféropol, ce qu'il a reconnu, tout en niant les charges de «terrorisme».

Plus tôt au mois d'août, plus de mille membres de l'Académie européenne du cinéma, parmi lesquels des réalisateurs de premier plan tels que Wim Wenders, Ken Loach et Mike Leigh ont signé une lettre ouverte au président russe Vladimir Poutine pour demander la libération des deux hommes.

Quand la sentence a été prononcée, le 25 août, la seule réaction des accusés, selon les témoins, a été de sourire et d'entonner l'hymne national ukrainien en plein tribunal, comme le montre cette vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux.

A l'annonce du verdict de culpabilité, #Sentsov et #Koltchenko se mettant à chanter l'hymne ukrainien. Comme par défi.

Sentsov a été félicité pour son comportement au tribunal durant le procès, particulièrement pour ses poignants «derniers mots» après la lecture du verdict. «Sentsovien», selon le néologisme utilisé par l'ambassadeur américain auprès de l'OSCE Daniel Baer pour qualifier l'attitude du réalisateur.

Procès honteux; verdict honteux; tribunal honteux. #Néologisme #Sentsovien : (adj.) Qui a du courage, de la tenue, de la dignité sous la contrainte. Daniel Baer (@danbbaer)

Partagée par les internautes, la déclaration de Sentsov est très vite devenue virale. Certaines citations ont même fini sur des tee-shirts.

Lisez ça, et vous verrez que Sentsov est plus courageux que les quelque 100 millions de personnes qui peuplent la Russie. Andrii Olefirov (@AndriiOlefirov)

La plus grande faute en ce monde, c'est la lâcheté. Oleg Sentsov chante l'hymne ukrainien en entendant sa condamnation à 20 ans de prison. 25 août 2015. Euromaidan Press (@EuromaidanPress)

Les derniers mots d'Oleg Sentsov repris dans des citations [T-shirt: «Pourquoi créer une nouvelle génération d'esclaves ?»]

Peu après que le verdict a été rendu public, Ukrainiens et Russes ont organisé des piquets de manifestation en soutien de Sentsov et Kolchentko à Kiev, Kharkiv, et même à Moscou. De nombreuses photos des rassemblements ont été vues sur les réseaux sociaux.

A l'ambassade de Russie pour protester après le verdict de culpabilité pour #Sentsov #Kolchenko. Hromadske Int. (@Hromadske), 25 août 2015.

Les quelques humains qui restent sont venus manifester à Moscou. [Pancarte: «Vos peines (de prison) seront plus lourdes»].

A #Kharkiv près du consulat de Russie, action de soutien à O. Sentsov et A. Kolchenko.

Côté ukrainien comme russe, les internautes se sont montrés choqués et en colère, mais pas surpris. Les autorités ukrainiennes, dont le président Petro Porochenko et l'ambassadeur des Nations unies Youri Serguéïev, ont aussitôt condamné ce verdict.

Tiens bon, Oleg. Le temps viendra où ceux qui ont organisé ce procès inique seront à leur tour dans le box des accusés !

Russie ? Justice ? Totalement incompatible ! #FreeKolchenko #FreeSentsov #FreeSavchenko. Yuriy Sergeyev (@Yuriy_Sergeyev), 25 août 2015.

Les internautes ont comparé la sentence sévère rendue contre Sentsov à celles punissant d'autres délits ou au sort d'individus relaxés alors qu'ils auraient dû écoper d'une peine.

Alors que le sergent Zaïtsev, qui a tué le commandant ukrainien Karachevski en Crimée, n'a pris que deux ans.

“Sentsov, pour avoir mis le feu à une permanence de Russie unie : deux ans. Kadyrov, pour avoir fait la guerre à la Russie : un poste de président, un statut de héros, l'immunité, la richesse.

Certains ont apprécié cette coïncidence : le jour où était rendu public le verdict contre Sentsov, une ancienne fonctionnaire du ministère de la Défense Evguénia Vassilieva était libérée sur parole, après avoir purgé seulement quatre mois sur les cinq ans de prison auxquels elle a été condamnée pour fraude immoblière.

Conditionnelle et 300 millions de roubles à rembourser pour Vassilieva

20 ans en quartier haute sécurité pour Sentsov

Salauds

Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'ils ont fait exprès de rendre les deux jugements le même jour. Pour se f… de la g… du monde.

La journaliste d'Echo de Moscou Ioulia Latynina a surpris beaucoup de monde en déclarant sur les ondes que selon elle, l'Etat russe avait des “preuves tout à fait sérieuses” de la culpabilité de Sentsov, et qu'il était justifié de harceler et d'«emprisonner quelqu'un non pas pour ce qu'il a fait, mais pour nier qu'il l'a fait». Après avoir soulevé une vague de consternation chez les internautes et chez ses collègues, Mme Latynina a rétropédalé et concédé que la sentence était «dingue» et qu'elle avait honte d'un pays qui punissait de vingt ans de prison le fait d'être un «patriote d'Ukraine».

Pour d'autres internautes, le procès de Sentsov et Kolchenko illustre bien le combat à mener pour la justice en Russie – et de rappeler quà Moscou Themis, la déesse de la Justice, ne porte pas son fameux bandeau.

Le terrorisme ukrainien ressemble fort à la justice russe.

Je vous rappelle que la Themis russe n'a pas de bandeau sur les yeux.

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