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Que faire avec les déchets plastiques de l'agriculture ?

Catégories: Amérique du Nord, Etats-Unis, Alimentation, Développement, Economie et entreprises, Environnement, Idées, Médias citoyens, Technologie
A greenhouse in Torrazza, Lombardy, Italy. Photo by Flickr user Neimon. CC-BY-NC-SA 2.0 [1]

Une serre à Torrazza, Lombardie (Italie). Photo de Neimon, utilisateur Flickr. CC-BY-NC-SA 2.0

Ce post d’Elizabeth Grossman [2] a été publié à l'origine [3] sur Ensia.com [4], un magazine qui met en avant des solutions environnementales appliquées au niveau international, et fait l'objet d'une nouvelle publication ici, conformément à un accord de partage de contenus.

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais.]

« Caissettes à semis, tuyaux goutte-à-goutte, films de paillage, systèmes de canalisations, bâches de serres tunnel, bouts de ficelle, tuyaux divers, sacs d'engrais, caisses, manches à outils ainsi que toutes sortes d'équipements étanches. » Sous la pluie, un après-midi de mars, Kara Gilbert, copropriétaire de l'exploitation agricole Vibrant Valley Farm [5], énumère les différentes applications des plastiques en milieu agricole tout en marchant, souillant ses bottes de boue.

Au cours d'une visite de l'exploitation agricole de deux hectares sur l'île Sauvie, au confluent de la rivière Willamette et du fleuve Columbia près de Portland (Oregon), Madame Gilbert me donne un aperçu des plastiques agricoles. Les champs viennent d'être préparés pour la saison, mais du plastique noir est déjà disposé sous une serre tunnel. Les canalisations en PVC sont mises en place et les tuyaux goutte-à-goutte prêts à l'emploi, tout comme les sacs plastiques d'engrais. À l'extérieur, dans les champs verdissants, de petites étiquettes en plastique rose orangé accrochées sur des piquets, plantés à hauteur des chevilles pour indiquer les allées de jeunes pousses de petits pois, claquent dans la brise humide.

À l'échelle industrielle, il s'agit d'une toute petite exploitation. Elle vend des produits bio à environ 15 restaurants locaux et à travers un système de parts de récolte d'un programme d'agriculture soutenue par la communauté ; elle cultive également des fleurs vendues en gros. Pourtant, même sur cette petite exploitation, madame Gilbert nous confie qu'elle dépense entre 4 000 USD et 6 000 USD par an dans les matériaux plastiques agricoles. Peut-être plus. Il s'agit d'un compromis environnemental, explique-t-elle : en utilisant du plastique, on économise de l'eau.

« En cette période de climat incertain, si on veut avoir un mouvement en faveur de l'alimentation locale et qu'on veut suivre face à la Californie et au Mexique, le film plastique noir est presque indispensable », argumente madame Gilbert. « Le film plastique ou toile hors sol constitue un barrage aux mauvaises herbes », nous explique la copropriétaire de l'exploitation Elaine Walker. « Le film plastique noir retient la chaleur et l'humidité, ce qui signifie moins d'arrosages et la possibilité de faire pousser des produits hors saison. »

Plastic buckets, barrels, tubing and more are a huge part of modern agriculture. Photo courtesy of Vibrant Valley Farm.

Seaux en plastique, tonneaux, tuyaux ou autres occupent une place considérable dans l'agriculture moderne. Photo reproduite avec la permission de l'exploitation Vibrant Valley Farm.

 

Qu'il s'agisse de cette petite exploitation agricole bio réussissant à atteindre des rendements impressionnants sur quelques hectares en Oregon ou d'une grande exploitation conventionnelle ailleurs dans le monde, le plastique occupe une place énorme dans l'agriculture moderne — un marché international de plusieurs milliards de dollars, d'après le réseau d'enseignement Penn State Extension [6]. On en utilise des tonnes chaque année dans le monde, dont la majeure partie en une saison seulement.

De plus en plus d'agriculteurs ou autres acteurs de la communauté agricole reconnaissent la nécessité de mettre en place des solutions responsables de traitement de ces matériaux. Reste à savoir, toutefois, comment y parvenir face à un matériau conçu pour résister à la pluie, au soleil et à la chaleur, et qui — une fois brûlé ou arrivé à un stade de décomposition — présente des risques écologiques pour la santé [7].

Des chiffres considérables

Obtenir les données réelles quant à la quantité de plastique consommé en agriculture reste une tâche ardue, cependant des experts du secteur, dont Gene Jones du centre d'informations Southern Waste Information eXchange [8], estiment que rien qu'aux États-Unis le secteur agricole emploie près de cinq cent mille tonnes de plastique par an. Cela inclut le film — destiné au paillis, aux bâches de serres, et à la mise en balles, aux tuyaux et canalisations. Ce chiffre comprend également le plastique consacré à la fabrication de godets, de bidons de pesticide, de boudins d'ensilage, de bâches de stockage, de ficelles, etc.

Des produits spécialisés figurent également sur la liste. Les agriculteurs de régions plus froides font appel au plastique pour augmenter la chaleur, par exemple, pendant qu'au Sud des États-Unis les agriculteurs l'utilisent pour garder les plantes et les sols frais. « Il en existe des réfléchissants, en couleurs, mais tous présentent une propriété particulière en rapport avec le soleil à différentes périodes de l'année », raconte Jeremy Nipper, commercial pour Kennco Manufacturing [9], une entreprise de machines agricoles basée en Floride dont les produits incluent des équipements dédiés à l'installation de plastiques agricoles, la collecte et le traitement des plastiques usagers issus des champs. Les films plastiques déposés sur les rangées de plantations permettent en outre d'éviter que les engrais soient déversés hors des champs lorsqu'il pleut. Et, comme monsieur Walker l'explique, les films plastiques de paillage contribuent à l'élimination des mauvaises herbes.

À l'échelle mondiale, le marché du film plastique dédié à l'agriculture a été évalué à lui seul à une valeur de 5,87 milliards de dollars [10] en 2012. La demande mondiale de cette année-là, selon un spécialiste de l'étude de marchés, s'élevait à plus de 9,7 millions de livres, dont environ 40 pour cent consacrés au paillage. On estime que la Chine est le plus gros consommateur mondial de films plastiques agricoles, employant près de 60 pour cent de ces films plastiques.

« L'horticulture et les légumes en consomment une quantité incroyable », raconte Nate Leonard, coordinateur de terrain pour le Programme de recyclage des plastiques agricoles de l'université Cornell [11].

Réduire, réutiliser, recycler

Que faire de tout ce plastique usagé ? Voilà le défi actuel.

« [Il] y a beaucoup d'intéressés qui souhaiteraient réduire les impacts environnementaux », explique Scott Coleman, vice président du développement stratégique pour Delta Plastics [12], entreprise située en Arkansas spécialisée dans les tuyaux d'irrigation agricole.

Autrefois les déchets agricoles usagés étaient transportés vers des décharges, incinérés ou enfouis, souvent près de l'exploitation agricole. Mais la plupart des états américains ont désormais adopté des lois à l'encontre de l'incinération des plastiques en extérieur ; ce qui a suscité de l'intérêt en faveur d'autres alternatives.

On essaie d'abord d'utiliser moins de plastique – souvent en réemployant les plastiques sur plus d'une saison. Par exemple, monsieur Nipper explique que certains producteurs peuvent tenir deux saisons avec un jeu de films plastiques de paillage en le réutilisant pour une autre récolte.

Seulement 10 pour cent des plastiques agricoles sont actuellement recyclés.

Monsieur Walker remarque qu'au lieu d'utiliser des films plastiques fins difficiles à réutiliser, l'exploitation Vibrant Valley Farm emploie des toiles hors sol plus robustes qui serviront sur plusieurs saisons à éliminer les mauvaises herbes et retenir l'humidité et la chaleur. De la même façon, tandis que les producteurs de pastèques de Floride utilisent des matériaux plastiques fins à usage unique, les producteurs de fraises peuvent faire deux saisons avec des matériaux plastiques à peine deux fois plus épais.

Le recyclage reste toutefois, et de loin, le meilleur moyen de réduire les déchets plastiques agricoles. Seulement 10 pour cent des plastiques agricoles sont actuellement recyclés. Augmenter ce chiffre dépendra de notre capacité à réduire l'utilisation du plastique et d'un plus large choix d'options visant à donner au plastique une seconde vie.

Dans l'état de New York, où l'on a voté en faveur d'une interdiction d'incinérer du plastique sur les exploitations agricoles ou dans les jardins en 2009, le Programme de l'université Cornell collabore avec le Département local pour la Sauvegarde de l'Environnement dans le but de lancer le recyclage des plastiques agricoles et d'éduquer les populations aux options de recyclage, par le biais de programmes de vulgarisation et d'associations régionales de protection de l'eau et des sols.

Tandis que la collecte pour le recyclage représente déjà un défi, la préparation et le traitement des plastiques agricoles nécessaires au recyclage ainsi que la détermination d'un marché pour chaque type bien distinct de plastique agricole compliquent davantage le projet.

Cubes of brightly colored plastic twine dwarf a worker at an Agri-Plas recycling facility in Brooks, Ore. Photo by Elizabeth Grossman.

Bottes de rubans de plastiques aux couleurs vives se dressant face à un employé dans les installations de recyclage d'Agri-Plas à Brooks (Oregon). Photo d'Elizabeth Grossman.

« Les professionnels [de la gestion] des déchets solides nous ont pris pour des fous de nous engager dans cette voie car il n'y avait pas de marché pour ce type de plastique », raconte monsieur Leonard. « Lorsqu'on a trouvé quelqu'un qui pouvait le traiter, cela a été une découverte extraordinaire », rappelle-t-il. L'une des premières entreprises à pouvoir traiter ce matériau, dénichée par le Programme de recyclage de l'université Cornell, était un fabricant de matériaux plastiques destinés à la construction et au pavage des rues.

La saleté et les débris constituent un autre problème majeur pour le recyclage des plastiques agricoles. « Le problème des matériaux hautement souillés, c'est que la saleté encrasse la machine » explique monsieur Coleman. Le transport de contaminants tels les agents pathogènes dans ces débris génère également des préoccupations.

Agri-Plas [13], une entreprise de recyclage des plastiques agricoles à Brooks (Oregon), traite la plupart des plastiques, de ceux conçus pour la mise en balle à ceux des sacs d'engrais, en passant par les plastiques rigides et ceux des tuyaux goutte-à-goutte. D'énormes piles de plastiques triés sont stockées dans les installations d'Agri-Plas, situées au coeur de la vallée de la Willamette, en zone agricole : des bottes de rubans colorés, des amas de caissettes à semis et de tuyaux goutte-à-goutte noirs, des monticules blancs de sacs et emballages plastiques, puis, dans une zone réservée, des seaux à pesticides bleus et blancs rincés à trois reprises avant la collecte.

Agri-Plas est également l'une des neuf installations à travers le pays à s'associer avec le Conseil de recyclage des récipients agricoles (Ag-Container Recycling Council [14]), un programme de récupération et de recyclage des bidons de pesticides usagés initié par 20 des plus importants fabricants de produits chimiques agricoles en 1992. Les entreprises membres soutiennent le programme financièrement et des entrepreneurs désignés transforment le matériel collecté en produits en plastique que le programme a jugé adaptés à un usage « post-pesticide ». Il s'agit de matériel avec lequel la population n'entre pas en contact au quotidien, comme des tuyaux de drainage, précise Mary Sue Gilliland, vice-présidente des opérations et de la prospection commerciale. On préfère prendre cette précaution même si selon les tests du Conseil de recyclage des récipients agricoles (ACRC), il ne reste pratiquement plus de résidus de pesticide suite aux opérations de nettoyage intense et de transformation. Le programme a été selon nous couronné de succès avec un taux de recyclage d'environ 33 pour cent, annonce le directeur général de l'ACRC, Ron Perkins.

Aussi complexe que le recyclage des bidons de pesticides puisse paraître, les rubans de plastiques semblent supposer des défis bien plus importants. Ce matériau, décrit madame Gilliland, « est très abrasif et abîme la machine ». Dans une des installations extérieures d'Agri-Plas, les salariés s'emploient à séparer le foin des rubans de plastique, à la main. « On n'a pas d'autre solution pour l'instant » se justifie madame Gilliland.

Trouver un nouvel usage

Agri-Plas propose des opérations de transformation in situ, de déchiquetage et de broyage. Mais celles-ci constituent les étapes les plus faciles du recyclage des plastiques, explique madame Gilliland ainsi que d'autres acteurs de l'industrie. Le réel défi c'est de trouver une entreprise qui utilise le plastique recyclé.

Une entreprise du nom de Encore [15] à Salinas (Californie) fabrique à présent des sacs à provisions réutilisables à partir des plastiques agricoles recyclés. Delta Plastics emploie ces plastiques pour élaborer des sacs poubelles conformes aux exigences de l'agence américaine de protection de l'environnement (EPA) et explore des méthodes de transformation des plastiques usagés pour produire des tuyaux goutte-à-goutte neufs.

« Il y a vingt ans, alors que nous produisions des tuyaux [d'irrigation agricole] et que nous avons constaté les déchets qui en découlaient, notre directeur y a vu la nécessité de trouver une solution » raconte monsieur Coleman. « Nous avons finalement déposé une méthode brevetée de traitement des tuyaux souillés ». L'entreprise Delta Plastics réemploie la plupart de son matériel dans sa propre activité, toutefois elle le vend également à d'autres fabricants sous forme de granulés qui serviront surtout à la fabrication de nouvelles bâches ou de films plastiques.

Une alternative testée actuellement par certaines entreprises consiste à transformer les déchets plastiques agricoles en fioul.

Pendant ce temps, d'autres entreprises fabriquent des produits tels que des dalles en plastique, des matériaux de contruction pour usage extérieur ainsi que d'autres articles qui ne requièrent pas une technique aussi complexe que l'élaboration de bâches en plastique.

Trouver l'entreprise capable de transformer n'importe lequel de ces plastiques pour un usage domestique reste aussi un défi, explique madame Gilliland. Elle estime qu'environ 40 pour cent ou plus des plastiques agricoles collectés dans le but d'être recyclés sont exportés, communément en Chine ou dans d'autres pays asiatiques.

Une alternative testée actuellement par certaines entreprises — dont Agilyx [16], comprenant des sociétés de capital risque et comptant Richard Branson parmi ses investisseurs — consiste à transformer les déchets plastiques agricoles en fioul. Cette voie a tout de même soulevé des problèmes pour bon nombre de raisons, parmi lesquelles la façon dont les gouvernements fédéraux et locaux sont censés contrôler ces procédés, précise madame Gilliland. Selon elle, cette solution pourrait malgré tout, à condition d'être mise en place dans le respect des normes, devenir dans un premier temps l'option environnementale privilégiée, étant donné les difficultés logistiques à redéployer les énormes quantités de plastiques agricoles usagés et souillés.

Dehors, sur l'île Sauvie, une grosse averse est passée et un aigle téméraire ainsi qu'un groupe d'oies cacardant volent dans les environs. Kara Gilbert s'agenouille sur le sol boueux printanier à côté d'un petit drapeau en plastique orange et cueille une pousse de petit pois. À quelques mètres, des sacs plastiques destinés à l'amendement du sol et la toile hors sol en plastique noir de la saison dernière, qui attend d'être déposée pour les plantations de 2015 — témoignage de la complexité des intrants à gérer de nos jours, même pour produire la nourriture la plus élémentaire. « Goûtez-moi ça » dit-elle en me tendant de minuscules légumes-feuilles, « ils sont extras ».

Elizabeth Grossman [2] est auteur et journaliste indépendante, spécialiste des questions environnementales et scientifiques. Elle est l'auteur de Chasing Molecules, High Tech Trash, Watershed ainsi que d'autres ouvrages. Son œuvre est également accessible dans de nombreuses publications, dont Ensia, Scientific American, Yale e360, the Washington Post, TheAtlantic.com, Salon, The Nation, et Mother Jones. Retrouvez-la sur Twitter :  @lizzieg1 [17].