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Kaboul Taxi est bloqué sur Facebook, vive Kaboul Taxi !

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Afghanistan, Censure, Médias citoyens, Politique, Advox
The cover of the Kabul Taxi facebook page which was closed by the social media service on ______

La photo de couverture de la page Facebook Kabul Taxi, retirée par Facebook le mois dernier

“La vie est amère, l'avenir inconnu” dit le message sur la glace arrière d'un taxi de Kaboul, la petite Toyota jaune devenue le nouveau visage de la satire politique jusqu'à sa disparition de Facebook le mois dernier.

Un message à la fois sagace et ironique, évoquant autant l'existence brève et précaire dont a profité le taxi imaginaire préféré des Kabouliens que la destinée imprévisible de l'Afghanistan lui-même, tout cela condensé en une page Facebook.

L'auteur anonyme de la page écrivait des récits imaginaires de sa vie de chauffeur d'un taxi de fiction qui ‘prenait en charge’ des passagers de marque — souvent de hauts responsables gouvernementaux — et convertissait, en route vers leurs destinations, leurs discussions politiques en billets lapidaires.

Même si ces discussions n'avaient jamais eu lieu, elles étaient souvent inconfortablement réalistes et révélatrices pour les hommes sur la banquette arrière.

L'utilisation croissante des médias sociaux en Afghanistan, parallèle au déclin de la confiance dans les médias traditionnels, souvent compromis politiquement, a fait émerger des organes satiriques tels Kabul Taxi, où les Afghans peuvent donner libre cours à leur mécontentement contre la voie suivie par leur pays.

La colère des citoyens face à la corruption, au népotisme, à l'insécurité et au chômage s'est sentie chez elle dans ce véhicule parodique qui les a fait rire et leur a permis des coups de gueule. Les 13.000 fans de la page sont devenus 600.000 dans le mois où le Washington Post a fait consacré [1] trois articles consécutifs à ce taxi.

Mais au moment même où Kabul Taxi prenait son envol, quelqu'un a serré les freins.

Facebook a bloqué la page peu après qu'elle s'est attaquée à Hanif Atmar, le Conseiller à la Sécurité nationale du président Ghani, et à ses 27 jeunes comparses, portraiturés par Kabul Taxi en enfants gâtés des seigneurs de guerre et de l'élite politique afghane.

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La lettre deHanif Atmar au NDS. Largement diffusée.

Sous le titre ‘Hanif Atmar’s Mantra Group’ [Le groupe incantatoire de Hanif Atmar], commentait les hauts salaires des jeunes conseillers et leur mode de nomination.

Atmar, qui a servi comme agent de renseignement pour le régime communiste dans les années 1980, n'a pas goûté la satire. Il a adressé une lettre à la Direction Nationale de la Sécurité (NDS) — le service national de renseignement de l'Afghanistan — lui demandant de se saisir de l'affaire.

Atmar se plaignait avant tout dans sa lettre — reproduite ci-contre par l'auteur de ce billet — que la satire dévoilait l'identité et les missions des agents du Conseil National de Sécurité d'une manière dégradrante qui mettait leurs vies en péril.

Si une telle allégation mérite consideration, il semble beaucoup plus probable que la motivation d'Atmar à écrire cette lettre était son honneur blessé.

Les 22 et 23 août, le NDS a convoqué [2] les rédacteurs en chef d'un journal local à un interrogatoire, sous la suspicion de responsabilité de la page.

Même si les journalistes ont été relâchés, l'incident créé d'importants remous dans les médias sociaux.

Dès les premiers jours de septembre, Kabul Taxi était hors-service.

Un utilisateur de Facebook a écrit [3] :

Kabul Taxi est fermé mais il faut être idiot pour croire que cela empêchera la pensée critique ou la prise de parole dans le monde d'aujourd'hui aux nombreux canaux de communication.

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“Le conseil dont l'instructeur est Atmar”, texte sous une photo de Hanif Atmar, Conseiller National à la Sécurité. Publié par Kabul Taxi.

Une fermeture qui a pu être vue comme un signe inquiétant de la déférence de Facebook devant la volonté de gouvernements nationaux, mais le réseau de médias sociaux n'a pas stoppé plusieurs pages aux noms et objectifs similaires écloses peu après la fermeture de Kabul Taxi.

Tous les nouveaux taxis prétendent être conduits par le même chauffeur. Parmi les prétendants à la couronne les plus crédibles, une page [4] qui compte plus de 96.000 ‘j'aime’ et se dit le ‘véritable nouveau Kabul Taxi’.

La page a affiché [5] une capture d'écran d'un courriel qu'elle dit provenir de Facebook. La compagnie y refuse de rétablir la page, apparemment après contact avec les responsables afghans de la sécurité :

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Bonjour,
Votre page “Kabul Taxi” a été retirée pour violation de nos conditions d'utilisation. Une page Faceook est une présence distincte utilisée uniquement à fins commerciales ou de promotion. Entre autres, les pages qui sont haineuses, menaçantes ou obscènes ne sont pas autorisées. Nous supprimons également les pages qui attaquent un individu ou un groupe, ou qui sont créées par un individu non autorisé. Si votre page a été retirée pour une des raisons précitées, elle ne sera pas rétablie. Un mauvais usage persistant des fonctionnalités de Facebook pourrait résulter dans la perte définitive de votre compte.
L'équipe Facebook

Un autre entrée de la page présentait une animation, ‘Atmar et Kabul Taxi’ [6] montrant le conseiller à la sécurité charrié par un taxi jaune — Kabul Taxi. L'animation se conclut sur l'annonce ‘Je suis le chauffeur de Kabul Taxi.’

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Déroutés par le nombre de pages qui reproduisent le même texte, les utilisateurs afghans de Facebook ne savent plus reconnaître le vrai taxi de ses imitations.

Le vide laissé par la page en termes de contenu satirique peut être comblé, mais ce qui manque à beaucoup, c'est la tempête de discussions qui accompagnait chaque entrée sur la page originelle de Kabul Taxi.

Une perte sans doute irréversible, à moins que son inventeur soit prêt à assumer les risques d'un dévoilement de son identité.

Un mois tout juste après sa disparition, les Afghans ont la nostalgie de leur caisse préférée, priant qu'elle se cache quelle part, dans l'attente de reprendre entière possession d'un public sous le charme.

[Inscription en pachtou sur la vitre d'une voiture de Kaboul ] : Ça fait un bail !