Le côté obscur de l'hydroélectricité au Bhoutan

Mountains, rivers and bridges in Bhutan. Image from Flickr by Ryanne Lai. CC BY-NC 2.0

Montagnes, rivières et ponts au Bhoutan. Photographie de Ryanne Lai sur Flickr. CC BY-NC 2.0

Le Bhoutan est un pays enclavé, surchargé de hautes montagnes quadrillées par un réseau de rivières rapides. Toute cette eau est idéale pour générer de l'électricité : le potentiel hydroélectrique du pays est estimé à presque 24,000 MW, bien que seulement six pour cent en soient produits par les cinq centrales hydroélectriques du pays.

Près de soixante-quinze pour cent de l'électricité générée au Bhoutan est exportée vers son voisin indien, avide d'énergie. Pourtant, à peine soixante-six pour cent des foyers bhoutanais et trente-neuf pour cent de ses villages sont électrifiés. Ces dernières années, les revenus de l'électricité ont fourni presque quarante pour cent du revenu total du gouvernement et ont constitué vingt-cinq pour cent de son PIB. Vingt-cinq pour cent supplémentaires sont basés sur la construction d'infrastructure hydroélectrique. Le Bhoutan vise à augmenter sa capacité à 10,000 MW à l'horizon 2020.

D'après la Banque mondiale, les projets hydroélectriques du Bhoutan profitent d'une réputation d'être pour ainsi dire sans risque. Le gouvernement bhoutanais a opté pour des investissements rapides dans l'hydroélectricité via des emprunts lourds et qui n'ont suscité que peu d'inquiétude jusqu'à récemment. En 2007, le Bhoutan a pu se vanter d'être la seconde économie à croître le plus rapidement au monde avec un taux de croissance annuel de 22,4%, en grande partie grâce à la mise en service de la gigantesque centrale hydroélectrique Tala, la plus importante en opération dans le pays.

En avril dernier, International Rivers a publié un rapport sur l'état des centrales hydroélectriques du Bhoutan, en montrant cinq en opération, six encore en construction et cinq nouvelles propositions de projets. Combinés, ces projets sont responsables d'un montant significatif de la dette extérieure de l'économie bhoutanaise, qui est l'une des plus petites au monde. En 2015, la dette a aussi dépassé la taille de son économie entière de douze pour cent.

Yeshey Dorji, photographe et blogueur, écrit :

Un rapport intitulé “Le Nouveau piège de la dette“, publié par l'entreprise anglaise Jubilee Debt Campaign, classe le Bhoutan parmi les pays “à haut risque de crise de la dette du gouvernement”. Le rapport liste le Bhoutan parmi quatorze autres pays qui se dirigent rapidement vers une crise de la dette.

Dans une série de billets intitulée “le côté obscur de nos centrales hydroélectriques”, dans laquelle il discute des problèmes liés aux projets hydroélectriques du Bhoutan, Dorji écrit :

Aujourd'hui, la bulle de l'hydroélectricité a éclaté, nos rêves sont anéantis et nos espoirs frustrés. Nous nous retrouvons coincés sous des emprunts énergétiques supérieurs à notre PIB et pourtant, nous osons encore marcher sur les sables mouvants de la dette et du désastre avec aplomb et  bravoure !

Nos dirigeants semblent trouver du réconfort dans ces deux mots magiques qu'ils continuent de nous lancer : “coût majoré” et “auto-amortissement”. Ils doivent vraiment nous prendre pour des idiots, ou alors ils n'ont aucune idée des mathématiques qui se cachent derrière ces mots accrocheurs.

Le blogueur Wangcha Sangey pense que le Bhoutan ne devrait pas se préoccuper du futur marché de l'électricité dans la région. Il dit que le vrai problème réside dans le coût élevé de l'infrastructure et de la production, qui menace d'augmenter la dette nationale encore plus :

Ce qui est dangereusement inquiétant, c'est l'énorme escalade dans les coûts de construction et le temps qu'il faut pour terminer les projets en cours. On dirait que les coûts et la durée vont tous les deux doubler. Les coûts pourraient même tripler. Quand ces projets seront terminés, les dix pour cent d'intérêts sur les soixante-dix pour cent du capital emprunté auront explosé de telle sorte que même une fois que toutes les centrales fonctionneront normalement, le Bhoutan sera obligé d'emprunter de l'argent à différentes sources pour réussir à payer ses traites.

Le Bhoutan a été félicité à l'international pour son rôle dans la protection de l'environnement, mais ces derniers temps cette réputation a été remise en question. D'épais nuages de poussière recouvrent plusieurs villes bhoutanaises à cause de la construction lourde sur plusieurs projets hydroélectriques. La plupart des emplois créés par l'hydroélectricité sont dans la construction, qui n'attire généralement pas les jeunes Bhoutanais malgré un taux de chomâge des jeunes élevé. A travers tout le pays, le bord des routes abrite des bidonvilles pour les milliers de travailleurs migrants.

Yeshey Dorji dit que d'autres dangers de l'hydroélectricité sont souvent ignorés :

La plupart de nos rivières, foisonnantes de vie, sont emprisonnées dans des barrages qui déplacent humains et animaux ainsi que des formes de vie aquatiques rares et même inconnues.

Certains barrages planifiés et en construction sont destinés à créer d'énormes retenues d'eau qui modifieront les conditions météorologiques et causeront des tremblements de terre, parce qu'ils sont situés dans des zônes sismiquement actives.

Il y a un danger clair et présent qu'un désastre environnemental se produise à un moment.

Des conditions d'exécution défavorables et inéquitables des projets ont causé la faillite de nombreuses entreprises bhoutanaises. Même la vente de légumes a été usurpée par les sous-traitants indiens, ce qui prive les Bhoutanais de monter leurs petites entreprises.

Des centaines d'enfants nés hors mariage de mères bhoutanaises mais de pères indiens, ouvriers sur les centrales, vagabondent dans les rues, sans inscription a l'état civil et sans droit à l'éducation. Comme nos lois sexistes ne reconnaissent pas les mères bhoutanaises comme des citoyennes dignes de ce nom, leurs enfants ne sont pas reconnus comme des citoyens naturels du Bhoutan.

Dorji argumente que le Bhoutan a besoin d'au moins une rivière libre de tout barrage pour servir de réserve pour les diverses espèces aquatiques connues et inconnues du pays. Il a également lancé une pétition pour interdire la centrale sur la rivière Chamkar Chhu.

Dorji remet également en question la hâte du gouvernement à démarrer de nouveaux projets, alors que ceux qui ne sont pas encore terminés traînent :

Malgré les pertes d'argent et d'occasions monumentales, le gouvernement est toujours pressé de commencer davantage de projets. Pourquoi ne peut-on pas attendre que ceux qui sont en chantier soient terminés et mis en service ?

A International Rivers, Shripad Dharmadhikary adresse lui aussi un avertissement et recommande une pause dans les travaux pour évaluer l'impact environnemental du développement rapide de l'hydroélectricité au Bhoutan :

Bien que l'hydroélectricité restera une composante important de son économie, le Bhoutan devrait réfléchir à l'utilité de poursuivre un développement aussi agressif pour gagner de l'argent mais au coût aussi élevé pour son écologie et sa population. Cette situation soulève des inquiétudes quant à la dépendance excessive d'une seule source de revenus, la création d'emplois en nombre suffisant et le simple fait qu'elle ne règle pas les pénuries hivernales. Le Bhoutan devrait s'arrêter pour le moment et décider s'il serait plus judicieux d'explorer d'autres options de génération de revenus, de création d'emplois et de développement général qui permettront de préserver son riche patrimoine écologique.

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