La tristement célèbre «sale liste du travail d”esclaves» du Brésil identifie des entreprises dont on a découvert qu'elles exploitaient leurs employés en ayant recours à des pratiques semblables à de l'esclavage. Sur cette liste mise en place en 2003 par le ministère brésilien du Travail et de l'Emploi ont figuré à maintes reprises des sociétés appartenant à des hommes d'affaires et responsables politiques brésiliens connus.
Outre la liste officielle publiée par le ministère, Repórter Brasil, la principale ONG du pays de défense et d'informations sur les droits des travailleurs, fait régulièrement des comptes-rendus et met en lumière des entreprises figurant sur ladite sale liste. Mais de récentes décisions de justice pourraient mettre un frein à ces initiatives vers la transparence.
En décembre 2014, la Cour suprême brésilienne a rendu un arrêt qui interdit au ministère du Travail et de l'Emploi de publier la liste sur son site web ou de le partager avec les médias locaux. Cette décision fait suite à une plainte déposée par l'Association brésilienne des sociétés de promotion immobilière (ABRAINC), qui soutenait que le Brésil ne dispose d'aucune loi permettant de réguler la tenue d'une telle liste, et que des employeurs y étaient inscrits en dehors de toute réelle procédure légale, ce qui portait atteinte à leur présomption d'innocence et à leur droit de se défendre contre de telles allégations devant les tribunaux. La Cour suprême a décidé de suspendre la publication de la liste jusqu'au verdict du procès ABRAINC.
L'association comprend les principaux fournisseurs et sociétés faîtières du Brésil, et l'on a découvert que son propre président Rubens Menin avait eu recours au travail forcé à cinq reprises dans des entreprises appartenant à son groupe MRV Engenharia, dont le nom est apparu sur la ‘liste noire’.
Des mois après le verdict de la Cour suprême, le ministère du Travail et de l'Emploi a créé une nouvelle liste, soutenue par la loi brésilienne sur l'accès à l'information, avec le même contenu. Le 19 octobre, le procureur général du Brésil Rodrigo Janot a publié un rapport officiel en faveur de sa diffusion par les médias. Reste à voir si cette liste s'inscrira dans la durée, alors que ses opposants n'ont eu de cesse de s'efforcer de la garder hors de la vue de la population.
En octobre 2015, une nouvelle décision judiciaire obligeait Repórter Brasil à effacer toute information de son site web concernant Morro Verde Participações, l'une des entreprises figurant sur la version la plus récente de la sale liste.
Avant la suppression forcée des informations sur l'entreprise, Repórter Brasil avait signalé que Morro Verde Participações SA exploitait une ferme d'élevage à Xinguara, situé au nord du pays dans l'Etat du Pará. En janvier 2014, les autorités ont découvert et secouru 23 personnes qui travaillaient dans des conditions proches de l'esclavage dans la ferme.
Les membres de Repórter Brasil craignent que les deux événements ne soient liés. «[Cela] a eu lieu car le gouvernement brésilien s'est montré incapable de rétablir le registre des chefs d'entreprise épinglés pour avoir eu recours à une main-d’œuvre esclave», affirment-ils dans une note expliquant la récente censure. L'organisation est fermement convaincue que la transparence sur ces pratiques est une étape cruciale vers une plus grande responsabilité des entreprises.
Argemiro de Azevedo Dutra, le juge qui a présidé l'affaire, vient du tribunal de district de Salvador, la capitale de l'Etat de Bahia. Morro Verde SA est également enregistrée dans l'Etat de Bahia. Azevedo Dutra apparaît aussi sur le site du Conseil législatif de l'Etat en tant qu'éleveur, entre autres activités. Environ 40% des entreprises figurant dans la dernière version de la liste étaient dans la filière bétail, suivie par l'industrie du bois (25%), l'agriculture (16%) et la construction (7%).
Depuis plus de 15 ans, Repórter Brasil milite pour l'approbation du projet de loi sur le travail d'esclave, aux termes de laquelle toute propriété dont le fonctionnement repose sur le travail forcé serait expropriée par l'Etat. Le projet de loi est dans sa dernière phase avant approbation finale.
Jusqu'à ces récents changements, la liste noire était un mécanisme fiable pour que la société fasse pression sur ceux qui violent les droits des travailleurs. La bataille entre le gouvernement, la société civile, les entreprises et les tribunaux pour son rétablissement est loin d'être finie.