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Sanctions économiques : pourquoi la Thaïlande est-elle épargnée ?

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Gouvernance, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Thailande T-shirt rouge [1]

Manifestations des “T-shirts Rouges” à l'interesction de Ratchaprasong via wikipedia CC-BY-20

La liste des pays soumis aux sanctions économiques de la France et de l’Union européenne est longue et, même si l’on entend surtout parler de la Russie, de l’Iran ou encore du Yémen, les Etats visés par les sanctions sont bien plus nombreux et se répartissent sur les cinq continents. Biélorussie, Birmanie, Corée du Nord, l’ancien régime tunisien, le Zimbabwe… la liste n’a cessé de s’étoffer depuis la fin de la Guerre froide, lorsque les « mesures restrictives » sont devenues un instrument privilégié pour obtenir des inflexions politiques dans les pays visés. Etrangement, la Thaïlande, pays dirigé par une junte militaire s’employant à dynamiter toutes les libertés fondamentales, échappe encore à cette mise au ban économique.

Les sanctions économiques représentent un outil « essentiel » de la politique internationale de l’UE, outil qui doit être utilisé de manière préventive et non punitive. Ce qui signifie que leur but doit être d’accompagner, voire de favoriser les transitions politiques, notamment dans des pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés. En revanche, les sanctions ne doivent en aucun cas punir l’économie des pays visés, assujettir des sociétés entières ou contribuer à la dégradation des conditions de vie des populations.

C’est pourquoi, comme le rappelle Bastien Nivet, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), l’UE a fait évoluer son dispositif pour mettre en place de plus en plus de sanctions « ciblées », visant des élites, des dirigeants, certains acteurs clés de l’économie de chaque pays, tout en épargnant les populations (du moins en théorie). Le chercheur précise également que les sanctions européennes se sont parfois avérées plus sévères que celles des Américaines ou de l’ONU, notamment en Iran, ce qui a permis de démultiplier de façon très importante leur impact sur ce pays.

Or, si les sanctions économiques peuvent être efficaces afin d’éviter une détérioration des situations stratégiques, des crises, des politiques agressives ou des comportements jugés déviants, pourquoi aucune mesure restrictive n’a été jusqu’ici imposée à la junte militaire qui accapare le pouvoir en Thaïlande depuis plus d’un an ?

Les raisons ne manquent pourtant pas. Depuis mai 2014, la Thaïlande est gouvernée par une junte militaire ayant renversé la Première ministre, Yingluck Shinawatra, pourtant démocratiquement élue. Soutenus par la bourgeoisie de Bangkok, les militaires ne s’embarrassent pas du droit local ou international et appliquent une politique liberticide à l’encontre de tout opposant à la monarchie ou à l’action militaire. Depuis le coup d’Etat, les télévisions sont censurées, les journalistes sont muselés et ceux qui osent encore émettre des critiques risquent tout simplement d’être supprimés. En l’espace d’un mois, deux prisonniers ont été retrouvés morts dans leur cellule. Parmi eux se trouvait le charismatique astrologue Suriyan Sucharitpolwong, accusé de crime de lèse-majesté.

Il n’était pas le seul. Avec le retour de la loi martiale et de l’armée au pouvoir, le nombre de poursuites pour crimes de lèse-majesté a connu une augmentation spectaculaire en Thaïlande. D’après la Fédération internationale des droits de l’homme, seulement cinq affaires de lèse-majesté étaient déclarées avant le coup d’État, on en compte une cinquantaine aujourd’hui. « Dans ce climat, la police, les procureurs, les tribunaux et tous les fonctionnaires semblent avoir peur de ne pas donner suite aux allégations de lèse-majesté, craignant d’être accusés de déloyauté envers la monarchie », explique Brad Adams, de l’association Human Rights Watch.

Pourtant, malgré ces violations flagrantes des droits de l’homme, la France et l’Union européenne ne se décident toujours pas à sanctionner le régime thaïlandais. Bien au contraire, dans une note publiée en octobre, l’Ambassade de France en Thaïlande se réjouit de la hausse des échanges commerciaux entre les deux pays. Selon ce document, la France a vu augmenter son volume d’exportations de 27,6 % en glissement annuel et de 12,5 % en ce qui concerne ses importations. Malgré la censure, les emprisonnements et les fortes suspicions d’assassinats, les affaires continuent. Et de plus belle !

La Thaïlande est pourtant un pays qui souffre, et l’Union européenne ne peut plus se contenter de commenter les événements tragiques qui s’y déroulent. Elle doit, au contraire, user de son influence pour infléchir la politique du pays et le rediriger vers la démocratie. N’est-ce pas justement l’objectif affiché des sanctions économiques qu’elle impose à de nombreux pays dans le monde ? L’indifférence face aux populations prises en otage par les forces armées ne peut continuer sous prétexte que les affaires marchent bien. La France et l’UE doivent de toute urgence s’engager et prendre leurs responsabilités face à cette situation, faute de quoi elles pourraient bien être accusées de complicité avec les oppresseurs.

Cet article a été écrit par Raphael Plantier.