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La Hongrie enrichit son arsenal anti-réfugiés d'un site web et d'une procédure contre l'Union Européenne

Catégories: Hongrie, Droits humains, Gouvernance, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Réfugiés

Image hvg.hu. Traduction du texte : “Le quota de relocalisation obligatoire AUGMENTE LE RISQUE DE TERRORISME ! Un immigrant illégal arrive en moyenne toutes les 12 secondes en Europe. Nous ne savons pas qui ils sont ni quelles sont leurs intentions. Nous ne savons pas combien sont des terroristes dissimulés”.

Tout au long de 2015, les réfugiés ont afflué en Europe en nombres sans précédent. Dépendant de canaux informels et du simple hasard, ceux qui fuient guerres et persécutions tombent à leur arrivée soit sur des mains secourables et un accueil chaleureux, soit sur des clôtures de barbelés et des obstacles bureaucratiques insurmontables.

L'Union Européenne elle-même a montré sa large impréparation à la gestion adéquate de cet afflux, et les solutions qu'elle a proposées se sont heurtées à des dirigeants davantage portés à l'inaction ou à l'exploitation des peurs et de la xénophobie dans leur pays afin de renforcer leur assise politique. La Hongrie a été particulièrement bruyante dans sa posture anti-réfugiés, avec une consultation nationale  [1]trompeuse assimilant migration et terrorisme, et en couvrant le pays d'une campagne d'affichage [2] alarmiste.

Les autorités hongroises ne s'en tiennent pas là. Le gouvernement du premier ministre Viktor Orban et son parti Fidesz ont anoncé leur projet de nouvelle campagne d'affichage, cette fois dirigée directement contre le plan de l'U.E. de relocalisation à travers le continent des réfugiés actuellement en Italie et en Grèce. Les premiers panneaux publicitaires d'une campagne qui coûtera dans les 380 millions de forints (environ 1,2 millions d'euros) aux contribuables, sont en place, et des publicités en pleines pages [3] poussant l'argumentaire du gouvernement fleurissent déjà dans la presse quotidienne à grande diffusion.

Le 3 décembre 2015, la Hongrie a aussi contesté sur le plan juridique [4] le plan européen de relocalisation des réfugiés. Le mois dernier, elle avait également lancé une pétition agressive contre les mesures proposées par l'UE. Des stands sont apparus dans les rues, tenus par des militants improvisés qui faisaient du battage à coup de statistiques fabriquées et de phrases racistes (vidéo en hongrois [5]). Selon les sources officielles, de 900.000 à 1 million de signatures auraient déjà été collectées.

La pétition peut aussi être signée en ligne sur un site web gouvernemental [6] bourré de contre-vérités. Voici un florilège d'affirmations avec explications et corrections.

“The compulsory resettlement quota would mean the resettlement of nearly 160,000 people into our nation.”

“Le quota obligatoire de relocalisation signifierait la relocalisation de près de 160.000 personnes dans notre pays”.

En réalité, dans le schéma de relocalisation de l'UE, ce sont 1.294 [7] réfugiés qui seraient assignés à la Hongrie, et non 160.000 comme le prétend le gouvernement. Même avec les réunifications de familles, le nombre ne devrait pas dépasser quelques milliers.

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“Plus de 900 “no-go” zones dans les métropoles européennes : Les “no-go” zones sont les parties d'une ville que les autorités parviennent difficilement ou pas du tout à garder sous leur contrôle. Dans ces quartiers les normes écrites ou non-écrites de la société-hôte peinent à se maintenir. Dans les métropoles européennes comme Paris, Londres, Stockholm ou Berlin, où les migrants vivent en grand nombre, il y a 900 de ces ‘no-go’ zones”.

L'idée de “no-go” zones est un mythe déboulonné  [8]souvent repris dans les cercles de droite et anti-immigration, et l'origine de ce nombre de 900 reste un mystère.

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“Le quota obligatoire de relocalisation est très coûteux : La mise en oeuvre du quota obligatoire de relocalisation aurait des conséquences financières notables. L'entretien d'un migrant, même sur la base des réglementations actuelles, coûte 130.000 forint [470 euros] par mois. L'Union Européenne ne dit pas d'où nous devons prendre les fonds pour les migrants. Et c'est un fait qu'à la fin de novembre la Hongrie n'avait pas touché un cent des 1,2 milliards de forint [4 million d'euros] promis par la Commission européenne à titre d'aide d'urgence pour soulager la pression migratoire. Pour couronner le tout, il y a un risque que les pays occidentaux les plus développés accueillent les migrants les plus éduqués, tandis que les autres Etats membres devront accueillir une masse de personnes sans qualifications”.

Le plan de relocalisation de l'UE indique que les Etats-membres bénéficiaires recevront 6.000 euros par réfugié. Ce qui est, en fait, la politique de relocalisation de l'UE depuis 2008 [9]. Pendant l'été, le gouvernement hongrois a demandé une aide financière à l'UE et a reçu la promesse dun fonds d'urgence de 4 millions d'euros pour aider le pays à faire face à l'afflux de réfugiés. Cette somme n'aurait pas été versée car l'afflux de réfugiés s'est interrompu et le pays a fermé ses frontières.

Ce qu'oublie l'argument, ce sont les plus de 60 millions d'euros [10] alloués au pays dans le cadre des fonds européens ‘Asile, Migration et Intégration, et ‘Sécurité Intérieure’ pour la période 2014-2020. Inutile de dire que le plan de relocalisation n'est pas conçu pour fonctionner à la carte entre les différents pays-membres.

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“Le quota obligatoire de relocalisation menace notre culture : Avec la relocalisation obligatoire, la composition ethnique, culturelle et religieuss de notre nation changerait. Les immigrants illégaux ne respectent pas nos lois et ne veulent pas partager nos valeurs culturelles communes. La relocalisation en masse de gens d'autres continents et cultures constitue donc un danger pour notre culture, notre mode de vie, nos coutumes et traditions. Si nous n'agissons pas, dans quelques dizaines d'années nous ne reconnaîtrons plus l'Europe”.

Et pour finir, il n'y a pas de preuve que les réfugiés dans leur ensemble, comme le professe le gouvernement, “ne respectent pas [nos] lois et ne veulent pas partager [nos] valeurs culturelles communes”.

Au vu de ces affirmations discutables et de ce langage alarmiste, le Comité Helsinki hongrois a souligné dans un récent communiqué [11] que le gouvernement Fidesz prend sans doute les Hongrois pour des imbéciles.

Les ‘quotas de réfugiés’ de l'Union Européenne

Pour la plupart des réfugiés arrivés par bateau en Grèce, la Hongrie n'était qu'une étape de leur cheminement vers des pays plus “accueillants” comme l'Allemagne et la Suède. Début septembre, les autorités hongroises ont empêché les réfugiés de monter dans les trains vers l'Allemagne, les contraignant à parcourir à pied les 170 kilomètres les séparant de la frontière autrichienne [12]. Les organisations de défense des droits humains ont dénoncé la multiplication des embûches comme contraire aux obligations internationales [13] de la Hongrie.

Ce qui a abouti à la fermeture totale des frontières de la Hongrie [14] mi-octobre. Malgré le déclin consécutif du flux de réfugiés dans le pays, le gouvernement s'est retourné contre le projet de plan de relocalisation de l'UE, consistant à répartir 120.000 réfugiés des pays-membres sur le front de la crise, entre tous les Etats-membres.

Image by Marian Kamensky. Used with permission.

“Où allez-vous comme ça ?” “En Europe, M. Orban !” dessin de Marian Kamensky. Utilisé avec sa permission.

Au départ, le plan voulait relocaliser 15.600 réfugiés en provenance d'Italie, 50.400 de Grèce et 54.000 de Hongrie. Mais cette dernière “ne souhaite pas être bénéficiaire du schéma de relocalisation d'urgence”, qui aurait signifié que la Hongrie reçoive 500 euros par réfugié relocalisé, note le communiqué de presse de la Commission Européenne [7]. Le Premier Ministre Viktor Orban a objecté au [15] principe du plan, et a aussi refusé la catégorisation de la Hongrie en pays de la ligne de front, insistant que la plupart des réfugiés reçus étaient entrés en premier par la Grèce. La République Tchèque, la Roumanie et la Slovaquie ont également refusé le plan.

Dernièrement, les ministres de l'UE auraient commencé à discuter de la suspension de la zone Schengen [16] — l'accord qui permet la libre-circulation des personnes entre ses pays-membres — pour une période de deux ans. La Grèce serait la principale concernée, mais des documents fuités laissent entendre que la mesure pourrait être étendue à d'autres Etats-membres, en particulier la Hongrie. Le gouvernement hongrois, atterré, a même contribué à la création d'une initiative “Amis de Schengen [17]” avec d'autres pays d'Europe de l'Est. Un groupe de pression qui laissera probablement inchangé le discours anti-réfugiés et europhobe du gouvernement.