Barnaoul, une ville ancienne de Sibérie Occidentale située à 2.900 kilomètres à l'est de Moscou, compte près de 700.000 habitants. Cela fait cinq ans que ces derniers n'ont plus élu leur maire. A mesure que la politique municipale leur échappe, les citoyens ordinaires commencent à donner des signes de mécontentement. C'est ainsi qu'une communauté Internet soutient la candidature d'un chat domestique au poste de maire.
Pendant la plus grande partie des cinq années passées, le “directeur municipal” de Barnaoul s'appelait Igor Savintsev. Il a rendu son tablier en août, lorsque des enquêteurs locaux l’ont mis en examen pour abus de pouvoir. (Savintsev est accusé d'avoir bradé des terrains municipaux à des entreprises appartenant à sa famille, causant un préjudice à son administration évalué à 155.000 dollars.) Savintsev était le premier maire post-soviétique nommé de Barnaoul et non pas élu par la population.
Le fils de Savintsev, Maxim, est tout aussi peu recommandable. L'an dernier, il a été inscrit sur la liste internationale des personnes recherchées lorsqu'il a fui le pays sous le coup d'accusations d'escroquerie et de malversations. Après avoir échappé à la police pendant six mois, Maxim a été finalement appréhendé en Thaïlande. Il passe maintenant ses jours dans une prison russe, dans l'attente de son procès.
Le fauteuil d'Igor Savintsev (provisoirement occupé par un directeur municipal suppléant) est disputé par une poignée de foncationnaire et hommes d'affaires locaux. Le 22 décembre, une commission, contrôlée par le conseil municipal et le gouverneur de l'Altaï Alexander Karline, choisira le prochain maire de Barnaoul, qui occupera ses fonctions jusqu'en 2017.
C'est là qu'entre en scène la communauté Altaï Online sur Vkontakte (le réseau social le plus populaire en Russie). Le 6 décembre, quelque trois semaines après l'enregistrement officiel de tous les candidats dans la course à la mairie, Altaï Online a annoncé sa propre compétition, invitant ses membres à choisir entre sept différents concurrents : les six hommes réellement enregistrés comme candidats, plus Barsik, le chat de l'administrateur du groupe. Une semaine plus tard, Barsik obtenait quasi 4.500 votes (91,2 % des suffrages exprimés).
L'élection virtuelle d'Altaï Online a fait les grands titres des médias russes, pour qui la candidature de Barsik n'est autre qu'un substitut du vote “contre tous” [prévu par le code électoral]. Le site web d'informations Gazeta.ru a consacré un article de 1.000 mots à Barsik, avec des commentataires jubilatoires de responsables régionaux sur les partis politiques russes “systémiques” (les groupes qui obtiennent régulièrement des sièges au parlement fédéral, et, au moins en surface, jouent un rôle dans l'élaboration nationale des lois). Par exemple, une personnalité de Russie Juste a déclaré à Gazeta.ru que “Le problème n'est pas au niveau des candidats. C'est une protestation contre notre système de nomination aux postes publics. L'actuel conseil municipal n'a pas présenté les moindres excuses aux administrés pour [méfaits] du dernier directeur municipal”. Tandis qu'un représentant du Parti Communiste, qui ne propose pas de candidat à Barnaoul, estimait que “les votes en faveur d'un chat montrent que les habitants de cette ville entendent montrer leurs griffes”.
Quant au gouverneur de l'Altaï, Alexander Karline, il s’est empressé de souhaiter une bizarre bienvenue à la mascotte de Barnaoul en déclarant aux journalistes que “à travers l'image craquante de Barsik, nos habitants expriment leurs voeux au futur dirigeant de notre ville. Chez nous, ce brave animal est associé au bien-être et au réconfort.”
L'administrateur de la communauté Altaï Online s'est donné pour pseudo “Altaïskii Seyatel” (Paysan de l'Altaï). RuNet Echo lui a demandé ce qu'il pensait de toute cette attention de l'establishment russe pour son chat, et de l'enthousiasme des partis d'opposition pour l'attaque par Barsik contre la routine. “Barsik le Chat doit son succès au fait que personne dans cette ville ne sait qui sont les autres candidats”, a expliqué Paysan de l'Altaï. “On ne connaît pas leurs programmes, leurs raisons de se présenter, leurs projets pour la ville. On se demande pourquoi l'opposition se réjouit ainsi, alors qu'elle n'a même pas été capable d'avancer un candidat connu et compris de électeurs”.
Embarrassante pour les hommes qui veulent en ce moment conquérir la mairie de Barnaoul, la candidature de Barsik ne semble pas pousser sur le même terreau que le mouvement d'opposition que connaissent la plupart des étrangers par ce qu'ils lisent sur la contestation en Russie. Paysan de l'Altaï a pris garde de ne pas critiquer directement la classe politique, et a dit à Gazeta.ru que Barsik est loin d'être un opposant. Plus révélateur encore, il a aussi dit que Barsik aime le Front populaire de Toute la Russie—un mouvement politique lancé par Vladimir Poutine en 2011, dans l'intention de se créer des réserves de soutien en-dehors de Russie Unie, le parti politique aux commandes du pays.
Paysan de l'Altaï a dit à RuNet Echo son espoir que Barsik aide à donner une notoriété à la ville, comme celle au “maire du peuple” ou à en faire une attraction touristique. “Barsik fait déjà partie de l'establishment politique régional”, déclare son maître, “et il n'entend pas renoncer à ses ambitions politiques”.