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Pour le Népal enclavé, une année de catastrophes naturelles et de calamités engendrées par les humains

Catégories: Asie du Sud, Inde, Népal, Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Développement, Droits humains, Economie et entreprises, Médias citoyens, Photographie, Politique, Relations internationales
Earthquake hits Kathmandu, Nepal. April 2015, © Jean Paul Delain/MSF An year in Picture. Used with permission [1]

Katmandou, Népal, après le séisme d'avril 2015.© Jean-Paul Delain / MSF. De “Une Année en photos “. Utilisée avec autorisation.

[Article d'origine publié le 26 décembre 2015]  L'année a été difficile pour le Népal, pays enclavé de 27 millions d'habitants, qui a des frontières avec des géants puissants : la Chine et l'Inde.
Des glissements de terrain causés par un séisme dévastateur en avril ont détruit ses voies d'approvisionnement depuis la Chine, laissant le Népal complètement dépendant de sa frontière ouverte sur 1751 km avec l'Inde.

Mais les relations avec son voisin indien ont commencé a se gâter quand le Népal a finalement adopté une nouvelle constitution fédérale en septembre. Les camions amenant des approvisionnements vitaux [2] et du carburant, pour une valeur de 302,5 millions de dollars US, dans un pays se remettant des séquelles du séisme, ont commencé à stationner en des files d'attente de 14 km du côté indien de la frontière du Sunauli.

Le gouvernement indien assure [3] qu'il n'a pas imposé un blocus à l'encontre du Népal et affirme qu'il essayait juste de réglementer avec prudence les mouvements de camions, en raison des manifestations provoquées par la nouvelle constitution, qui ont eu lieu tout près de cette frontière. Des habitants de la région rapportent cependant que même quand il n'y a aucune manifestation dans cette zone, seul un nombre déterminé de camions est autorisé à passer tous les deux à trois jours.

La nouvelle constitution

La nouvelle constitution du Népal tant attendue est entrée en vigueur en septembre. L'Inde a exigé [4] sept amendements pour garantir aux communautés Madhesi et Tharu – qui constituent environ 40 à 50 % de la population du Népal – une bonne représentation. La constitution était censée guérir les blessures du différend entre le peuple des montagnes, qui détient la plus grande part du pouvoir politique du Népal, et le peuple des plaines, les Madhesis, qui ont en commun des liens ethniques et culturels avec les populations vivant de l'autre côté de la frontière, en Inde. Les Madhesi luttent pour la dignité et l'inclusion, et veulent être des citoyens népalais comme les autres.

Pendant des années, l'establishment ‘montagnard’ politiquement fort du Népal s'est méfié des Madhesis comme d'une cinquième colonne [5], aux côtés de l'Inde contre les intérêts du Népal.

Les inquiétudes de l'Inde

La nouvelle constitution définit la nation majoritairement hindoue comme une république laïque, fédération de sept provinces. Elle est restée en chantier plus de dix ans. Les minorités ethniques Madhesis et Tharu se sont mises à protester parce que les frontières proposées des nouvelles provinces pourraient causer leur marginalisation politique. L'Inde est préoccupée par la possibilité que ces protestations pourraient générer des violences, susceptibles de faire tache d'huile sur son propre territoire.

Prashant Jha [6] dans Hindustan Times explique pourquoi l'enjeu est grand pour l'Inde :

 Un processus de paix a été conçu et signé à New Delhi il y a exactement dix ans, à la fin de 2005. L'Inde a été un acteur important durant une bonne partie du processus au Népal – depuis l'encouragement des élections de l'Assemblée constituante, la médiation entre le gouvernement et les protestataires Madhesi dans le passé pour conclure des pactes, la participation aux manœuvres de formation du gouvernement, et plus encore. De ceci, certains faits étaient légitimes et certains étaient excessifs. Mais étant donné la profondeur de l'engagement de l'Inde dans le processus, elle ne peut pas s'en laver les mains à ce point culminant, alors que le processus lui-même est au bord de l'écroulement.

Est-ce que le Népal est en train d'être puni ? 

Mais les Népalais ont réagi fermement contre l'immixtion de l'Inde dans leur constitution, et certains d'entre eux théorisent que l'Inde est en train de punir l'Etat enclavé pour cela. Le blogueur Shiromani Dhungana [7] écrit:

Dans ce pays enclavé, sans ouverture à la mer, la plupart des importations du Népal arrivent par l'Inde. Bien que les lois internationales donnent aux pays enclavés le droit de libre passage vers la mer, l'Inde n'a jamais été critiquée par la communauté internationale pour le fait qu'elle est en train de mettre un pays entier, un pays de 28 millions de personnes, sous “respiration artificielle”.

En bloquant le Népal, l'Inde soutient un groupe de protestataires au Terai, au centre du pays. Le blocus a causé des souffrances massives dans tout le pays. L'économie est détruite et pourrait prendre des années à se relever. Des emplois ont été perdus, les investisseurs se sont retirés, les grands projets d'infrastructure et de développement ont été durement touchés et déprogrammés, et l'éducation de millions d'enfants a été perturbée. Les industries ont fermé à cause du manque de sécurité et d'approvisionnement en matières premières. Les programmes de vaccination ont aussi été perturbés. Cela montre le degré de la souffrance qui touche le Népal à cause du blocus inhumain par l'Inde.

In BhatBatheni, Kathmandu, people queue for Kerasine. Two months after the gas, petrol and medicine shortages started people are still queuing for Kerasine and other fuels necessary for daily life in Kathmandu. Image by Samuel Duggan. Copyright Demotix (29/11/2015) [8]

À BhatBatheni, à Kathmandu, des gens font la queue pour du kérosène. Image par Samuel Duggan. Copyright Demotix (29/11/2015)

Le séisme

Le pays est encore en train de récupérer du séisme dévastateur d'avril [9] qui a tué 9 000 personnes et fait plus de 23 000 blessés. Dans de nombreuses localités, des millions de personnes sont sans abri, avec des villages entiers rasés. Le tremblement de terre a eu des effets d'entraînement sur un très grand nombre d'éléments apparemment sans rapport : traite d'humains, coûts et disponibilité de la main-d'œuvre, fardeau des loyers et de la propriété, urbanisation, fardeau de la dette privée et publique, santé mentale, politique, tourisme, en plus des maladies et des infrastructures de santé publique. Les glissements de terrain causés par le séisme ont détruit les seules autres voies d'approvisionnement par la Chine, laissant le Népal dépendant des importations venant de l'Inde.

Dés le 1er mai 2015, les agences d'aide internationales comme Médecins Sans Frontières [10] et la Croix Rouge [11] ont été capables de commencer à évacuer médicalement les blessés graves par hélicoptère hors des régions reculées qui étaient coupées de la capitale Kathmandu, et à traiter les autres dans des installations mobiles de fortune.

A pregnant woman in labour is evacuated by MSF teams conducting medical clinics in the districts of Sindhupalchowk, Dhading, Rasuwa and Dolaka in Nepal.  Image by © Emma Pedley/MSF . Used with permission [1]

Une femme enceinte en travail est évacuée par les équipes de MSF qui font des consultations médicales dans les localités de Sindhupalchowk, Dhawding, Rasuwa et Dolaka au Népal. Image par © Rmma Pedley/MSF. Utilisée avec permission

Sept mois après le séisme qui a causé de lourds dégâts au Népal, les équipes de MSF et de la Croix Rouge sont encore en train de travailler dans le pays pour gérer la situation après la catastrophe. Iris Leung de MSF Hong-Kong raconte [12] sa visite au Centre de réhabilitation des blessures du rachis à Sanga, à une heure de voiture de Khatmandu :

Quand j'ai vu Biraj, il était dans son fauteuil roulant, luttant pour monter la pente puis s'élancer vers le bas comme si c'était un manège. Il a recommencé plusieurs fois – c'était un fauteuil roulant manuel à trois roues, ce qui veut dire qu'il était en train d'utiliser ses puissants biceps pour se pousser dans la montée.

J'ai commencé à me demander où Biraj pourra aller quand il sera sorti du centre. Le Népal n'est pas un pays où l'on peut circuler en fauteuil roulant, donc il ne sera plus possible pour lui de se déplacer aussi facilement qu'il en avait l'habitude, sans parler de trouver un emploi pour gagner sa vie. En réfléchissant au nombre des obstacles qu'il aurait à surmonter, j'étais submergée par un sentiment de désespoir.

[…] Puis il m'a dit: “J'ai des pensées négatives. Mais si tout le monde devient positif, je trouverais de l'énergie pour rester positif.”

Pénurie de médicaments et de nourriture

MSF va remettre en décembre ses activités aux mains des hôpitaux locaux, mais il y a une sévère pénurie de médicaments et de nourriture à cause du blocus ; l'ONU [13] a lancé un avertissement : des millions de personnes sont en danger au Népal, où les gens dépensent en moyenne 60% de leurs revenus disponibles pour l'alimentation. Les prix de la nourriture ont terriblement augmenté [14] suite à la diminution de l'approvisionnement. On ignore comment des patients comme Biraj pourront retrouver une vie normale avec le blocus en cours.

Après 6 heures à chercher dans les pharmacies à #Khatmandu, finalement trouvé médicaments pour parent. #IndeBlocusNepal

Tactique de la pression : Yubhan Tamang cuisine quotidiennement sur feu de bois pour 300 patients à l'hôpital de Bir @gopenR #IndeBlocusNepal

Le blogueur expatrié Daniel and Becky [22] a décrit les pénuries dans la vie de tout les jours :

Beaucoup de gens manquent à présent de gaz de cuisine, alors ils sont en train de cuisiner sur des feux de bois – l'air est notoirement plus suffocant.
L'essence est désormais vendue en quantités très limitées. Le peu qu'on en trouve est distribué prioritairement aux écoles, hôpitaux, bus, et administrations.
Les rayons des commerces semblent clairsemés, puisque toutes les marchandises importées commencent à s'épuiser. L'électricité est erratique parce que ceux qui peuvent se le payer ont acheté des appareils à induction électrique et autres choses semblables pour la cuisson, surchargeant plus encore le système. À partir de demain [27/12/2015] nos coupures électriques régulièrement programmées vont augmenter à 8 et 9 heures par jour suite à l'augmentation de la consommation d'énergie. Ceci bien que la pénurie de carburant ait amené un certain nombre d'entreprises à fermer, réduisant un peu la consommation d'énergie électrique ; donc cela pourrait être pire.

Le blogueur Shiromani Dhungana [7] écrit aussi que les déplacés du séisme vivent des moments très difficiles en conséquence du blocus :

De nombreuses victimes du séisme sont mortes à cause du froid. A cause du blocus, les victimes du séisme ne peuvent pas acheter nourriture, carburant, et matériaux de construction pour construire des abris. Ils sont obligés de dormir à l'extérieur. Un hiver rigoureux dans les montages est en train de dégrader leur condition. […]  Les organisations humanitaires ne peuvent opérer sous les conditions d'un tel manque de l'essentiel.

Le peuple du Népal ne peut  pas supporter davantage, c'est l'avertissement lancé par des utilisateurs de Twitter :

Les queues pour le carburant à #Kathmandu sont absolument épouvantables. Les Derniers Jours #IndeBlocusNepal #Nepal

#IndeBlocusNepal crée #crise au #Nepal @MaryamNSharif @sheikhhasina @ashrafghani @18thsaarc @PM_Nepal

Kunda Dixit [34] dans un blog du Nepali Times a mis en cause l'incompétence du gouvernement, dont il a affirmé qu'il est en train d'ignorer la souffrance de plus de 2 millions de survivants du séisme cet hiver [35] :

Tout le pays est en train de souffrir du blocus, mais la situation critique des survivants du séisme sans-abris est doublement périlleuse [36]. Cependant un État insouciant est béatement oublieux de leur situation.