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Les manifestations actuelles pour du travail en Tunisie en 6 questions-réponses

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Tunisie, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Travail
Protesters in the capital Tunis holding portraits of Ridha Yahyaoui. Photo by Nawaat.org

Des manifestants brandissent à Tunis des portraits de Ridha Yahyaoui. Photo Nawaat.org

Cinq ans après les manifestations qui ont mis fin aux 23 ans de règne du dictateur Zine el Abidine Ben Ali, les Tunisiens sont à nouveau dans la rue pour réclamer “travail, liberté et dignité”.

Des manifestations ont éclaté dimanche dernier dans la province défavorisée de Kasserine, dans le centre-ouest de la Tunisie, après qu'un jeune chômeur a été électrocuté en grimpant sur un pylône pour protester contre son retrait d'une liste d'emplois publics. La contestation s'est alors étendue à d'autres régions à travers le pays. Samedi, des manifestations pacifiques se poursuivaient dans les gouvernorats de Kasserine et Sidi Bouzid, la ville même d'où était partie l'étincelle de la révolution tunisienne cinq ans plus tôt.

Pourquoi ?

Des manifestations ont éclaté le 17 janvier à Kasserine, à environ 300 km de la capitale Tunis, à la suite de la mort de Ridha Yahyaoui, un homme de 28 ans. La veille, Yahyaoui avait appris que l'administration ne l'embaucherait pas. Sa famille a raconté [1] au blog collectif Nawaat qu'il avait cherché à rencontrer le gouverneur local pour dire son mécontentement, mais qu'il n'y avait pas été autorisé. Il a ensuite grimpé sur un pylône et a été électrocuté, ce qui a déclenché des manifestations à Kasserine et dans d'autres régions du pays. On ignore si, en grimpant sur le pylône, il a voulu se suicider ou seulement protester contre le refus de lui donner un emploi.

Kasserine est l'une des provinces les plus pauvres du pays, avec un taux de chômage [2] de 26,2 %, et un taux de pauvreté [3] frisant les 30 %, selon les statistiques officielles de 2012.

Dans une série de tweets, Nessryne Jelalia, une collaboratrice d'ONG, décrit la situation difficile qui y prévaut :

Le journaliste Mohamed Haddad, tweete de Tunis :

Le chômage est omniprésent en Tunisie, avec un taux de 15 %, mais pourquoi est-il supérieur de 10% à Kasserine ? Pourquoi l'espérance de vie à la naissance est-elle plus courte de 7 ans à Kasserine que dans la capitale ?

Où ?

Après avoir débuté à Kasserine, le mouvement s'est rapidement étendu à d'autres régions, dont Sidi Bouzid, où fin 2010 le vendeur de rue Mohamed Bouaziz s'est immolé par le feu [7] déclenchant les manifestations contre le pouvoir [8] qui ont conduit au renversement du régime Ben Ali et aux événements baptisés Printemps Arabe. A la date du 21 janvier, les manifestations se sont étendues à 16 gouvernorats, selon la carte établie par Nawaat.org [9]. A Tunis, plusieurs défilés et manifestations de solidarité ont eu lieu devant la maison des syndicats et sur l'avenue Habib Bourguiba [10], artère principale de la capitale.

Protests spread to 16 different provinces across Tunisia. Map by Nawaat.org [11]

Les manifestations se sont étendues à 16 provinces de Tunisie. Carte par Nawaat.org

Quelles revendications ?

Les manifestants réclament [12] des emplois, du développement et une discrimination positive en faveur des régions marginalisées et défavorisées comme celle de Kasserine. Après le mouvement contestataire de 2011, les gouvernements successifs ont été incapables de se pencher comme il conviendrait sur les disparités régionales [13]. Les promesses qui ont été faites d'emplois et de développement ne se sont pas matérialisées, et les habitants des régions enclavées sont souvent invités [14] à être patients.

Quelles réponses du gouvernement ?

Le gouvernement a, comme d'habitude, répondu avec des promesses et des accusations. Un porte-parole du gouvernement a annoncé la création de 5.000 nouveaux emplois à Kasserine en réponse aux manifestations. Des promesses que les protestataires ne prennent pas au sérieux. L'un d'eux à Kasserine a dit [16] à MiddleEast Eye :

Ceci n'est qu'une solution cosmétique dénuée de base dans la réalité”, a-t-il dit. “Si vous embauchez 5.000 hommes de Kasserine, il y en aura 5.000 autres qui se lèveront à Baja. Ils ont le droit au travail. Même chose pour Sidi Bouzid.

Parlant sur France24, le Premier Ministre Habib Essid a dit  [14]que son gouvernement n'avait pas de baguette magique pour régler les problèmes économiques du pays, ajoutant :

Ce qui se passe en Tunisie avec les jeunes n'est pas nouveau. Nous avons hérité de cette situation… Nous avons besoin que les gens soient patients.

La blogueuse Lina Ben Mhenni a riposté [17] sur Facebook aux déclarations du Premier Ministre :

Nous savons que vous n'avez pas de baguette magique …
Mais vous n'avez pas montré la volonté d'améliorer la situation. Vous n'avez pas écouté les jeunes … Vous avez été indifférent aux besoins et aux revendications du peuple …
Corruption, népotisme, répression, abus de pouvoir sont partout …

Dans son discours au pays du 22 janvier, le Président Beji Caid Essebsi a dit [18] que ces manifestations sont “naturelles”, et  qu’ “il n'y a pas de dignité sans travail”, avant d'accuser des “mains mal-intentionnées d'attiser la situation”.

Y a-t-il des victimes ?

Un policier a été tué dans les heurts, et des dizaines de manifestants ont été blessés.

Des actes de vandalisme et de pillage ont aussi été enregistrés, ce qui a mené le gouvernement à décréter un couvre-feu nocturne à partir du 22 janvier. Les protestataires ont toutefois pris leurs distances d'avec ces agissements.

Dans une déclaration [12] publiée sur Facebook le 21 janvier, le porte-parole d'un collectif de protestataires de Kasserine mettant en oeuvre un sit-in au siège du gouvernorat local a indiqué :

nous persistons à poursuivre notre lutte pacifique pour nos droits légitimes jusqu'à ce que nos revendications soient satisfaites. Nous rejetons aussi toutes les formes de violence, et sommes innocents de toute attaque contre des installations publiques.

Révolution 2.0 ?

Ces manifestations ont des ressemblances avec celles qui ont fait chuter le pouvoir Ben Ali en 2011 : point de départ dans une région pauvre et enclavée, déclenchement par un acte désespéré. En 2010, des manifestations avaient éclaté quand Bouazizi s'est immolé par le feu après la confiscation par un policier municipal de sa marchandise et de sa balance. De plus, les revendications et slogans sont les mêmes : “emplois, liberté et dignité”.

Il est cependant encore trop tôt pour prédire les suites de ce mouvement. Et d'ailleurs, pour beaucoup de protestataires et internautes tunisiens, ceci n'est pas une “révolution 2.0″, c'est la même révolution qui a commencé il y a cinq ans.

C'était une révolution inachevée…

Je comprends ceux en Tunisie qui disent, ‘Ceci n'est pas le second soulèvement. Le premier n'a jamais été mort’. #Kasserine#5ans