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Nour, Syrienne, de Raqqa à Berlin : en quête de liberté

Catégories: Europe de l'ouest, Allemagne, Syrie, Turquie, Droits humains, Femmes et genre, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Réfugiés
Enfants_syriens_refugies_Liban (Photo Eoghan Rice _ Licence Creative Commons) [1]

Enfants_syriens_refugies_Liban (Photo Eoghan Rice _ Licence Creative Commons CC-BY-2.0)

Nour* est institutrice, elle a 38 ans. Nour est aussi syrienne et elle habitait à Raqqa il y a encore un peu plus d'un an. Après un passage par la Turquie, elle a réussi aujourd'hui à gagner Berlin, où elle attend son inscription dans un camp de réfugiés avec ses deux enfants. Nour n'est pas la première à raconter son histoire. Chaque témoignage singulier pourrait être celui qui, – parce que son histoire est simple et que nous la comprenons – , peut nous éloigner un peu plus de la vision catastrophiste d'une marée informe et incontrôlable submergeant nos frontières européennes.

Raqqa, fief de Daech en Syrie

Raqqa est considérée comme la capitale auto-proclamée de Daech en Syrie, puisqu'elle est contrôlée par l'organisation depuis juin 2013, après une campagne intense de bombardements. Le groupe Raqqa is Being Slaughtered Silently [2] (RBSS), – Raqqa se fait massacrer en silence -, documente largement cette situation sur twitter.

Raconter l'histoire de la Syrie – Média trans-lignes de front

Selon de nombreux articles [9], la vie quotidienne dans cette ville de 200 000 habitants en est profondément altérée, ajoutant la terreur à une hausse subite des prix des éléments de première nécessité.

Petit à petit, la liberté s'étiole

Nour décrit la montée progressive des privations de liberté, – particulièrement en tant que femme -, mais aussi des restrictions économiques. «  En février 2014, je suis obligée de porter le voile intégral lors de l'exercice de mon métier d'enseignante. Certaines matières comme la physique ou la peinture sont interdites. A l'école les filles et les garçons sont séparés. Mes enfants ont du renoncer à leurs loisirs. Il m'est ensuite interdit de sortir ou de conduire une voiture sans être accompagnée par un homme du premier degré de parenté. Toutes les écoles sont fermées. Mes enfants sont privés de scolarité et je ne perçois plus de salaire. »

Amer Albarzawi, Syrien originaire de Raqqa, a créé la vidéo “Fade to Black” pour décrire le même phénomène.

Dans l'article En une minute, Raqqa chavire du Courrier international [13], l'artiste s'explique :

Un jour, nous n’avions plus le droit de fumer. Le jour suivant, les filles et les garçons ne pouvaient plus sortir ensemble dans la rue. Le mois d’après, à l’école, les filles ont été séparées des garçons, puis elles ont dû porter le hidjab [voile islamique]. […] Je suis musulman mais tout cela est très inhabituel pour moi.

Vivre et mourir dans une ville en guerre

Nour vient d'un milieu social plutôt privilégié, son mari est dentiste. Il a le tort d'être aussi un homme de conviction. C'est ainsi que très vite, « son salaire n'est plus versé parce que sa famille et lui-même sont laïques et dénoncent les massacres commis à Raqqa. » Ces difficultés financières ainsi que le manque d'accès à l'éducation commencent à peser lourd sur le quotidien de la famille, qui compte trois enfants.

C'est en tentant de porter secours à des personnes blessées que « [son] mari et [son] fils aîné meurent lors d'une attaque aux missiles qui visait leur voiture ainsi que le véhicule d'un groupe médical d'urgence. »

Au-delà de l'immense chagrin de la perte, sa nouvelle situation de veuve entraîne une menace supplémentaire pour Nour. « Après une période de deuil enfermée à la maison, je crains d'être mariée de force [16] à un combattant. »

La Turquie, un refuge temporaire et peu sûr

La crainte d'être mariée de force et la solitude poussent Nour à chercher refuge dans le pays le plus accessible dans un premier temps (sur 4,5 millions de réfugiés syriens dans le monde, 2,5 millions se trouveraient aujourd'hui en Turquie selon Amnesty International [17] du 3 février 2016). « Mon père malade et ma mère décident de se réfugier en Turquie. Je les rejoins avec mes deux enfants. Mon plus jeune fils Braïm est très marqué par la mort de son père et de son frère. »

Selon un communiqué [18] d'Amnesty International en 2014 :

A peine 14% des 1,6 millions des réfugiés de Syrie vivent dans l’un des 22 camps bien équipés implantés en Turquie. Mais ces derniers ont déjà atteint leur capacité maximale d’accueil. Ce sont donc près de 1,3 million de réfugiés de Syrie qui sont livrés à eux-mêmes en Turquie. Une très faible proportion bénéficie de l’aide d’organisations humanitaires. Pour se nourrir et se loger, les familles prennent des mesures désespérées, faisant même parfois travailler leurs enfants.

Nour, à qui il reste quelques ressources financières au moment de son arrivée en Turquie, a pu échapper aux camps et à la rue. Ces réserves cependant menacent de s'épuiser rapidement.

Économiquement, la Turquie est à la Syrie ce que la Suisse est à l'Italie : un voisin hors de prix. Nour témoigne : « En juillet 2014, je n'ai [toujours] pas pu trouver de travail à proximité de chez moi. La vie est chère, les transports aussi. Je vis avec ma famille. Les perspectives d'avenir sont nulles. »

Manifestation pour accueil des réfugiés et contre le racisme à Cologne en janvier 2016 (Photo Raimund Spekking _ Licence Creative Commons) [19]

Manifestation pour l'accueil des réfugiés et contre le racisme à Cologne en janvier 2016 (Photo Raimund Spekking _ Licence Creative Commons)

L'Europe : destination salvatrice?

Malgré sa triste mine et ses mauvaises manière, l'Europe continue de susciter l'espoir chez les réfugiés syriens. C'est aussi le cas pour Nour. Et si la plupart des Européens s'accrochent à leur portefeuille en se disant que celui-ci est l'objet de toutes les convoitises, il semblerait que ce soient plutôt ses valeurs qui soient au cœur des rêves de Nour.

« J'espère trouver les moyens de survivre, d'avoir la chance d'entamer une nouvelle vie dans un pays libre et laïc, où mes enfants auront la possibilité de recevoir une bonne éducation. » Suivant son instinct et bravant de nombreuses difficultés [20], Nour est donc aujourd'hui à Berlin. Espérons que l'Allemagne, mais aussi l'Union européenne dans son ensemble, sauront prouver à Nour que leurs valeurs sont plus que les reflets chatoyants d'une période lointaine et révolue.

* pour la sécurité des personnes, tous les noms ont été changés.