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Comment les activistes syriens de Raqqa résistent à L'État Islamique

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Syrie, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens
Note from RBSS in Raqqa reading: "ISIS and Assad, Same ? Same interests 29/9/2014"

Note de RBSS à Raqqa : “L'EI et Assad, même buts, même intérêts, 29/9/2014″. Capture d'écran à partir des images de RBSS  featured in the Sky News report [1]

Des images incroyables obtenues par Sky News montrent comment les activistes syriens résistent à l'État Islamique à Raqqa, la ville qui avait été surnommée “la capitale de l’État Islamique (EI)”. Des activistes ont rejoint le groupe ‘Raqqa is being slaughtered Silently‘ (RBSS, ‘Raqqa se fait massacrer en silence’), un mouvement activiste libre, décrit par le New Yorker comme “une sorte d'entreprise journalistico-activiste clandestine “, qui a lutté contre le régime de Bachar Al Assad à l'aube de la révolution, puis contre l'EI depuis qu'est tombée la ville tenue par l'Armée Syrienne Libre (ASL).

Nous faisons la connaissance d'Abdulaziz Al-Hamza, un activiste syrien aujourd'hui exilé en Turquie en raison de sa sympathie envers l'ASL, et cofondateur de RBSS.  Al-Hamza a rencontré Sarmad Al Jilane, également exilé en Turquie et, avec 15 autres personnes [2], ils ont ensemble fondé RBSS dans l'espoir de faciliter le transfert des images et vidéos prises par les activistes anti-EI habitant toujours au cœur de la “capitale” du groupe terroriste, qui contrôle des territoires à travers la Syrie et l'Irak.

“Les gens disaient que Raqqa était la capitale de l'EI. Nous avons voulu montrer qu'ils ont tort,” dit Al Jilane à Sky News. En effet, on voit des personnes qui résistent à l'EI quotidiennement. Cela va d'ériger une croix pendant la nuit à écrire sur un mur “que l'EI tombe””. Leur résistance est non-armée, ayant perdu la bataille contre le groupe terroriste en 2014.

L'homme qui a écrit la note ci-dessus a été baptisé “Abou” par Sky News afin de protéger son identité. Son témoignage confirme l’expansion de la barbarie de l'EI. Des adolescents de 16 à 18 ans se voient récompensés financièrement lorsqu'ils dénoncent des sympathisants de l'ASL. Des enfants de moins de 16 ans sont enlevés à leur famille et envoyés dans un camp où on leur faire subir un lavage de cerveau. “L'EI transforme les enfants en bombe à retardement,” remarque Abou. Suivent ensuite des images très dérangeantes dans lesquelles on voit des enfants faisant semblant d'être exécutés tandis qu'un autre décapite un animal en peluche. Al Jilane nous raconte ensuite comment l'EI place les enfants sur la ligne de front, leur apprend à devenir des kamikazes ou encore les force à devenir des boucliers humains.

Mais RBSS ne fait pas qu'essayer de déjouer les règles de l'EI à Raqqa. Le groupe tente de combattre son idéologie. Un exemple donné est celui de l'utilisation d'un magazine portant la même page de couverture que celui distribué par l'EI. C'est seulement en l'ouvrant que le lecteur peut voir les déclarations anti-EI placées là par les activistes de RBSS.

Left: RBSS activist putting up a poster reading "". Right: RBSS activist writing "may ISIS fall" on a wall. Screenshot from the footage obtained by Sky News

À gauche : Un activiste de RBSS colle un poster affichant “Non à EI et non à Assad, liberté pour toujours”. A droite : Un activiste de RBSS écrit “que l'EI tombe” sur un mur. Capture d'écran à partir d'images de RBSS source : Sky News [1].

Anti-ISIS activists in Raqqa raising a cross after the terror group took it down. Footage

Des activistes anti-EI de Raqqa érigent une croix après que le groupe terroriste l'ait abattue. Capture d'écran à partir d'images de RBSSS source : Sky News [1].

Les acivistes de RBSS risquent leur vie. En fait, plusieurs militants RBSS ont déjà perdu la vie. Mutaz Billah Ibrahim, reporter du réseau citoyen Shaam News Network (SNN)  âgé de 21 a  été abattu par l'EI [3] le 4 mai 2014, après la découverte du logo de RBSS sur son ordinateur portable. En octobre 2015, Ibrahim Abd Al-Qader a subi le même sort [4] à Urfa, au sud de la Turquie, au côté de son confrère journaliste Fares Hamadi. Al-Qader travaillait pour RBSS ainsi que pour “eye on the homeland” [5], un site d'actualité syrien.

Puis le tour est venu pour Ahmad Muhammed Al Musa [6], également membre de RBSS, et tué par des hommes masqués à Idlib en Syrie. 10 jours plus tard, le réalisateur et militant de RBSS  Naji Jerf [7] a été abattu à Gaziantep en Turquie.

Raqqa Ahmad Mohamed Almossa membre de RBSS a été assassiné à  Idlib Syrie  par un groupe d'inconnus masqués

Notre réalisateur Naji Jerf “père de 2 enfants” a été assassiné au silencieux à Gaziantep

RBSS a été  honoré par le Comité de Protection des Journalistes (CPJ) en 2015 lors du Prix international de la liberté de la presse [2] pour son travail journalistique.  Dans son discours de remerciement [2], le porte-parole de RBSS déclare (extrait) :

Aujourd'hui, je parle au nom de millions de Syriens qui recherchent un pays libre, démocratique et uni.

Je suis profondément attristé par mon beau pays. Il souffre énormément d'une gangrène politique et du cancer du terrorisme, à tel point que j'ai peur que son esprit disparaisse.

Nous sommes pris entre deux forces agressives et brutales. La première est un régime criminel, obsédé par le pouvoir, prétendant combattre le terrorisme en tuant des enfants.

La seconde répand le mal et l'injustice, et couvre notre nation de noir.

Chacune d'elles nous considère comme criminel car nous révélons leurs actions au monde entier. Désormais, le simple évocation du nom “Raqqa massacrée en silence” est punissable  de mort.

Dans un interview de juillet 2015 [2] avec le CPJ, Abu Mohammed, membre fondateur de RBSS qui vit hors de la Syrie, parle des risques encourus par le groupe :

“Les menaces sont de formes diverses, mais se manifestent quasiment tous les jours.” Il raconte que des membres, en dehors de la Syrie, lui inclus, reçoivent régulièrement des appels téléphoniques et des e-mails leur disant que s'ils n'arrêtent pas leurs publications, ils seront tués. Les comptes Twitter et les boîtes mails de militants ont été hackés. Mais les journalistes à l'intérieur de Raqqa font face à de bien plus grands risques, affirme Abu Mohammed. “Des caméras surveillent n'importe quelle personne soupçonnée de travailler pour nous. Si un suspect est attrapé dans la rue, il sera abattu sur le champ devant tout le monde.”

Au moment de l'écriture, il reste un seul membre de RBSS en Turquie.

Reporters Sans Frontières classe [17] la Syrie parmi les pays les plus irrespectueux de la liberté d'expression avec un rang 176 sur 179 selon l'indice de liberté de la presse. Depuis mars 2011, 49 journalistes ont été tués en Syrie, huit emprisonnés, tandis que 17 internautes et autres journalistes citoyens ont été enfermés et 142 ont trouvé la mort.