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Les médias indépendants burundais sous les tirs croisés d'une crise meurtrière

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Burundi, Censure, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens
MONUSCO_Nkurunziza_Jan 2016 [1]

Bujumbura, Burundi : le Président Pierre Nkurunziza devant la presse après sa rencontre avec une délégation du Conseil de sécurité de l'ONU venue réaffirmer la nécessité d'un dialogue inclusif pour mettre fin à des mois de troubles politiques dans le pays. Photo MONUSCO / Papy AMANI. CC BY-SA 2.0

La crise politique au Burundi est profonde et dangereuse et elle réduit la liberté d'expression dans ce pays d'Afrique orientale. Les médias indépendants sont particulièrement menacés, vu que quiconque oserait décrire la situation d'un point de vue différent de celui du gouvernement, est exposé à la censure, à l'intimidation et à la violence physique.

Les problèmes du pays ont commencé lorsque le Président Pierre Nkurunziza a brigué un troisième mandat, suscitant des manifestations [2] et des campagnes citoyennes [3] concentrées dans la capitale Bujumbura. Les critiques soutenaient que sa candidature minerait les Accords d'Arusha et la constitution ayant mis fin à une guerre civile qui avait déchiré le pays de 1993 à 2005. Des témoins [4], des victimes [5]ainsi que des militants [6] locaux et des organisations des  droits de l'homme [7] ont tous fourni des cas documentés de détention arbitraire [8], de torture systématique [9] et de meurtres  [10]d’opposants [11] bien que des représentants du gouvernement [12] le nient.

Une tentative de coup d'Etat n'a pas réussi à reprendre le pouvoir à M. Nkurunziza en mai 2015, et des élections “contraintes” en juillet, l'ont vu, lui et son parti, le CNDD-FDD, revendiquer une fois de plus la victoire. Dans son discours d'investiture M. Nkurunziza a mis en garde la société civile contre toute ingérence politique – un discours accompagné de messages inquiétants [13] en ligne tels que celui ci-dessous provenant du compte Twitter du président :

Nul résident à l'étranger ne doit se considérer comme supérieur à ceux qui sont restés au #Burundi, puisque la plupart d'entre eux ont laissé leur famille ici.

Pendant ce temps, les manifestations se sont transformées en attaques armées suivies de représailles, et de plus en plus [15] de groupes armés ont annoncé [16] leur rébellion contre le troisième mandat. L'opposition politique est dispersée, et de nombreuses organisations ont été forcées à quitter le pays. Les divisions volatiles au sein du gouvernement, de l'armée et de la police se sont approfondies et l'intensification de la pression jusqu'au-boutiste a contraint les dissidents à l'exil ou au silence.

L'ONU a enregistré au moins 439 [17] morts et 237.000 [18] réfugiés en janvier, tandis que l'insécurité et les sanctions ont aggravé [19] les difficultés économiques [20], ce qui compromet la transition d'après-guerre.

Les quartiers rebelles [21] de Bujumbura bouclés [22] par des brigades “spéciales” [23] de la police, les tirs [24] non identifiés, les violences à caractère sexuel, les raids policiers mortels [25], les disparitions [26], les cadavres  [27]gisant à ciel ouvert et les attaques [28] de groupes armés, sont devenus la routine [29]. La confiance a disparu  [30]et de nombreux habitants ont peur [31] même de sortir .

Malgré tout cela, les journalistes ont persévéré, mais la crise menace sérieusement les travailleurs des médias.

Les attaques contre les médias indépendants à travers le hashtag #BurundiCrisis [32]

L'accès aux médias au Burundi est variable, avec la radio qui domine [33] en particulier pour les populations rurales [33]. L'accès à la radio en 2010 était de près de 90%, c'est pourquoi fermer les radios réduit l'accès à des informations fiables et peut alimenter la désinformation [34] et la peur, et même pousser les gens à fuir [35].

Le taux d'alphabétisation [36] et la qualité de l'infrastructure [37] [lien interrompu] limitent l'accès aux autres types de médias, bien que les téléphones mobiles [38] dont beaucoup permettent de capter les radios [39]équipent [40] aujourd'hui plusieurs millions [41] de personnes. Le nombre d'utilisateurs d'Internet a également augmenté [42] de manière significative, atteignant 500.000 [43] personnes en 2013, soit 5 % de la population  [44](9,85 millions au total) estimée de 2012.

Le paysage médiatique du pays, autrefois dynamique, a pris un coup sévère suite avec la loi sur la presse de 2013 [45] suivie par  la réaction militarisée [46]à l'opposition contre le troisième mandat du président, en particulier en dehors de Bujumbura. Les journalistes burundais [47] et internationaux [48] ont été accusés [49] de parti-pris contre le gouvernement ou d'incitations à l'insurrection, ce qui en a fait des cibles des violences.

Le 26 avril, les radios indépendantes Radio Publique Africaine (RPA), Bonesha et Isanganiro, ont été empêchées [50] de diffuser en dehors de Bujumbura. Puis, pendant le chaos du putsch, les sièges [51] des radios ont été saccagés [52], provoquant une interruption de fait [53] indéfinie des émissions indépendantes. Là où le pouvoir accusait les putschistes, des témoins oculaires ont vu à l'oeuvre  [51]des agents de sécurité.

De même, les opposants au troisième mandat ont attaqué le siège de la chaine pro-gouvernementale Rema TV [54]. Cependant, Rema est officiellement autorisée [55] à fonctionner, tandis que le procureur général a interdit aux autres radios [56]l’accès [57] aux installations communes pour cause d’  “enquêtes en cours [58]”. Les radios plus petites ont également souffert, y compris Humuriza basée à Gitega. Les Burundais ont de ce fait des informations limitées [59] et partiales depuis la période précédant les élections, et peinent à accéder aux sources indépendantes.

En juin, une correspondante de la Voix de l'Amérique a été la cible d'une attaque à la grenade [60], même si personne n'a été blessé. Et au début de 2016, les noms de sept journalistes – y compris ceux des directeurs des quatre principales radios indépendantes – ont été inclus [61] dans une liste de personnes pour lesquelles le gouvernement a lancé un mandat d'arrêt international, dans le cadre du coup d'Etat de mai.

Contraint à l'exil

Considérés comme des “ennemis [62]” ou “munwa [46] muremure” (“longue bouche” en français de la région), de nombreux journalistes ont fui [63] le pays. Certains ont écrit  [64]au Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, depuis Kigali, dénonçant la violence et la tenue d'élections sans médias libres.

Interviewé [65] par Iwacu depuis son exil en juillet, Bob Rugurika de la RPA a déploré la détérioration rapide de la liberté de la presse à la suite des manifestations contre le trois!ème mandat et du coup d'Etat avorté :

Depuis 2013 […] nous avions dénoncé un plan d’attaque et de fermeture des médias, surtout privés […] Seulement, […] on ne pouvait jamais imaginer que le pouvoir ait alimenté un plan de destruction totale des médias, et surtout d’interdiction formelle de fonctionner à tous les médias indépendants privés.

Malgré l'hostilité [46], le directeur du groupe de presse Iwacu, Antoine Kaburahe, restait motivé pour préserver la “petite fenêtre de liberté” d'informer, mais, en novembre, il a été lui aussi  [66]de fait contraint à l'exil [67].

Comme le relève [68] Cléa Kahn-Sriber de Reporters sans frontières, les tortures subies [69] par le journaliste bien connu Esdras Ndikumana, et qui n'ont fait l'objet d'aucune enquête [69], signifient des risques encore pires pour les journalistes moins célèbres. Même les journalistes de la Radio-Télévision Nationale du Burundi (RTNB [70]) strictement contrôlée [59] par le gouvernement [71] ne sont pas à l'abri ; en octobre, Christophe Nkezabahizi, un caméraman, était parmi ceux tuésles victimes [72], officiellement par des tirs croisés, mais des témoins oculaires accusent une rafle violente de la police.

Les défenseurs des droits [73] humains sont confrontés [74] à des risques similaires. Pierre-Claver Mbonimpa [75], de l’Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH [6]), qui critique la résurgence de la torture [76], a été grièvement blessé par balles [77] en août, et même après son arrivée en Belgique [77], des membres de sa famille [78] ont été assassinés [79].

L'indépendance et la diversité des médias du Burundi est en jeu

Les journalistes ont raconté des histoires sensibles [80] allant de témoignages  [81]de torture à des accusations de l'existence d'une police “parallèle [82]” dirigeant la répression. Les restrictions sur l'activité des médias et les craintes de représailles de la part des témoins ont considérablement renforcé l'impunité des auteurs de violence à caractère politique.

L'existence autrefois de médias burundais dynamiques et indépendants était un succès d'après-guerre avec des journalistes et un public tenaces [83] au cours de cette crise. Cependant, le silence des radios prive de nombreux citoyens qui n'ont pas accès à Internet d'informations fiables. Innocent Muhozi, directeur de la radio Renaissance a exprimé [84] ses craintes du retour à un gouvernement de parti unique contrôlant les médias et le journalisme indépendant, et il demande la démilitarisation des services de sécurité et le désarmement des civils, en particulier des milices comme les Imbonerakure  [85]et des insurgés.

La réalisation de ce dialogue représentatif nécessite une pression diplomatique concertée – jusqu'ici divisée [86] et mal préparée [87] – compte tenu du manque de confiance et d'une volonté politique minimale ainsi que des obstacles à une intervention. Le soutien politique et matériel international à l'indépendance des médias est donc indispensable dans le cadre de la résolution des crises, pour combattre l'impunité, rassurer les civils avec des informations fiables, rouvrir l'espace politique, et permettre à tous les citoyens de discuter [88] de leur avenir.