La place de la culture et de la langue malgache dans un monde qui change: Entretien avec Hanitr'Ony, poète et activiste

Hanitr'Ony lors d'une conférence - avec son autorisation

Hanitr'Ony lors d'une conférence sur la langue malgache – avec son autorisation

La langue malgache, par son histoire et sa richesse, reflète bien l'histoire et la diversité de Madagascar. Même si la majorité du vocabulaire traditionnel de la langue malgache remonte à des origines austronésiennes, la langue fait partie d'un ensemble linguistique comprenant plus d'une vingtaine de « variantes » locales. Parlé par 22 millions de personnes, le malgache fait quand même partie des langues menacées par l'évolution  vers l'uniformisation des modes de communication et la convergence vers une langue unique. Hanitra Salomon, Hanitr'Ony de son nom d'artiste, fait partie de la dernière génération de poètes malgaches contemporains et protectrice chevronnée de la langue malgache.  Issue d'une famille de  littéraires, Hanitra nous donne son point de vue sur l'importance capitale de la préservation des langues locales face à la mondialisation.

Global Voices (GV):  Parle-nous de ton parcours, d’ où te vient cette vocation ? 

Hanitra Salomon HS:  Je suis née dans une famille d'artistes, mes parents sont poètes, musiciens, auteurs-compositeurs-interprètes (Dédé et Raivo Patricia de SORAJAVONA), ma mère est aussi styliste, donc avec un certain intérêt pour les belles choses et les textes. Moi, je passais mes journées à lire étant enfant. J'ai commencé à écrire à l'âge de 9 ans par plaisir et me suis rendue compte assez vite que cela m'était vital. J'ai fait un parcours académique standard avec un Bac scientifique (série C à mon époque, au collège Saint-Michel Amparibe Antananarivo) et des études scientifiques également à l'Ecole Supérieure Polytechnique d'Antananarivo (ESPA). J'ai fait le constat suivant: la littérature a toute sa place dans le monde scientifique.  J'ai continué à approfondir ma passion pour la littérature, j'ai suivi les stages d'écriture RANTO à l’Académie Malagasy (de 1994-95), des stages dirigés par plusieurs enseignants chercheurs dont M.Siméon RAJAONA. J’ai participé à des montages poétiques et ai moi-même monté des spectacles, puis j’ai publié dans les quotidiens de Madagascar enfin j'ai adhéré au cercle littéraire du Faribolana Sandratra en 1993, et à l'HAVATSA-UPEM (Union des Poètes et Ecrivains Malgaches) quatre ans plus tard. Mon grand-père DOX RAZAKANDRAINA faisait partie des 15 fondateurs de cette association en 1952. En 2004, avec neuf autres poètes, j’en ai fondé la Section France de l'HAVATSA-UPEM. En 2010,  je fais partie des onze fondateurs de la FIMPIMA France, sous l’égide de Mme Hajaina ANDRIANASOLO, alors Directrice de formation de l’association des rhéteurs qui pratiquent le Kabary ou Art Oratoire malgache). Voici une vidéo de nos activités:

GV: Quel est  le rôle de l'écrivain dans la société ?

HS: Selon moi, la place que l’on donne aux auteurs (ou aux artistes créateurs et chercheurs, et même la culture en général) est représentative de la force d’une nation. L’auteur est celui qui analyse la société, l’analyse des œuvres littéraires et artistiques peut faire apparaître les évènements importants d’un pays. Lorsqu’on lit les poèmes de RADO qui réclament les droits des citoyens dans son poème « Zo » (1972) ou les poèmes d’exil de Ny Avana Ramanantoanina comme « Sambo »(1915) sur l’île de Mayotte suite aux évènements du mouvement indépendantiste V.V.S (Vy, Vato, Sakelika), on les lie à l’Histoire de Madagascar. Mais l’auteur par son art adoucit les mœurs et chante la vie, à l’exemple de DOX dans Ny Hirako (1941), Folihala (1968) ou Dindona Fitia (1973). En plus de faire ressortir la beauté de notre sociéte humaine – ainsi que l’hideux- il apporte aussi des questions aux semblants de vérité établie.  Ce travail mène à des réflexions pour plus de justice et d’équité dans notre société.  L'écrivain doit aussi tenir compte de tous les changements dans le temps et l’espace que supporte notre monde. L’auteur reçoit les ondes que le monde émet et nous les traduit par ses textes.

Un extrait de un des textes de Hanitr'Ony à la radio:

GV: En théorie, 22 millions de personnes (sans compter la diaspora) parlent le malgache, et pourtant il me semble que tu es un peu inquiète sur le devenir de notre langue, pourquoi ?

En théorie, oui, 22 millions parlent malgache.  Mais une grande partie maintenant, notamment dans les grandes villes de Madagascar, parlent une langue édulcorée, un malgache différent. L’afflux d’écoles et de formation étrangères influence fortement la pratique (ou non) de notre langue (note de la rédaction: l'enseignement supérieur à Madagascar se fait en majorité en français). Il n’est plus étonnant aujourd’hui de voir des jeunes Malagasy ne pas savoir parler sa langue en son pays !
Il y a également le cas des enfants malgaches nés outre-mer qui ne bénéficient pas de la pratique de leur langue, puisqu’il n’y a pas de structure qui permet de suivre un cursus spécialisé dès le plus jeune âge (pas d’école de langue). Même si des associations donnent de leur temps et de leur énergie à disposer des cours particuliers, ce n'est pas suffisant. Devenus ainsi les seuls responsables de la transmission, les parents peuvent se retrouver démunis faute de temps ou de moyens. En France, plus de 90% des enfants de malgache(s) ne parlent pas quotidiennement le Malagasy.
Dans ces deux cas, mon inquiétude est fondée, mais nous ne devons pas oublier que plus de 70% des Malgaches vivent en milieu rural, où c’est la langue officielle pratiquée.  Si nous préservons cela, la langue ne disparaîtra pas. Néanmoins cela ne suffit pas, tous les citoyens Malgaches doivent être sensibilisés pour connaître et parler leur langue, et le faire le mieux possible.

3) Tu es extrêmement active dans la promotion de la culture malgache. Quels sont tes projets récents et qu’aimerais-tu voir aboutir dans un futur proche pour la promotion de cette culture ?

J’ai en effet plusieurs casquettes avec quelques activités en parallèle, tout simplement parce que c’est de cette façon que je peux répondre aux sollicitations des personnes de tout horizon qui seraient intéressées par la culture malgache. L’HAVATSA-UPEM Section France que je préside actuellement, a récemment célébré son dixième anniversaire, nous avons fait à cette occasion une exposition, des conférences et des spectacles :

Le 13 février dernier, nous avons organisé avec l’INALCO CROIMA des Langues’Orientales, une journée littéraire malgache pour commémorer le centenaire de la naissance du poète Zakarandahy (1915-1994), et « Pages d’Amour » ou Takela-pitia, où l’on présentait la place de l’amour dans la culture malgache et dans la littérature.

Sinon je continue de présenter et d’animer mon émission bilingue pour enfants « Bitsiky ny Ankizy » (murmure des enfants) sur la Radio Web Radio Bitsika.  C’est une émission qui éveille la curiosité de tout enfant à la langue Malagasy et qui partage des informations sur notre culture. Nos jeunes invités sont de toutes nationalités et sont contents de découvrir Madagascar à travers l’émission. Je continue aussi de donner des cours de Malagasy pour les enfants et les adultes, tous niveaux.
Dans un futur proche, j’aimerais que le travail que nous faisons soit soutenu, par les institutions, par le public, que cela touche plus de monde. Les actions de promotion de la culture donnent une vision différente de Madagascar. Les gens qui sont venus rendre visite au Centenaire de DOX, sont sortis enrichis de l’exposition et des spectacles musicaux en disant : « On ne connaissait pas cette facette de Madagascar ».

En plus de ses ressources naturelles, la culture et son peuple est la plus grande richesse de la Grande Ile. Je souhaiterais donc que cette culture ait la place qu’elle mérite. Et nous en appelons à toutes les bonnes volontés pour le concrétiser (Si vous souhaitez participer à notre action, écrivez moi à mon email hanitrony@gmail.com).
Pour mes projets personnels, après mes recueils Bitsik’Ony et Tsirin-kalokalo et mon premier Single Tiako (auteur-compositeur), je prépare l’édition d’un ouvrage littéraire bilingue.

Hanitra_LalieRabeharison

Ny Ankizivavintsika – Photo de Lalie Rabeharison

GV: Penses tu que les leaders ou les citoyens malgaches en général sont suffisamment investis dans la culture malgache ?

Beaucoup d’associations culturelles, de clubs, d’institutions œuvrent pour la promotion de la culture malgache et mettent à disposition des artistes les moyens du bord pour s’exprimer. A Madagascar, les évènements culturels sont très prisés, les Malgaches ont une grande sensibilité artistique, la plupart des gens chantent, jouent d’un instrument, écrit, etc… mais la consommation et la production littéraire locale restent insuffisantes, faute de moyens.
C’est malheureux mais la plupart des artistes ne peuvent pas vivre de leurs talents.  La musique, la peinture, la photographie, le cinéma, la sculpture, la poésie, le théâtre, la danse, le livre, etc…. Ce sont des domaines encore trop négligés.  Il faut quand-même reconnaître que beaucoup d’efforts ont été menés pour améliorer les conditions de vie des artistes grâce au travail d'activiste permanent de ces derniers. Mais cela reste insuffisant.
Je trouve qu’il y a un travail à faire pour « éduquer » la curiosité des gens et les habituer à l’ouverture et à la découverte d’artistes ou de styles différents.
Pour la question de la langue, les personnes influentes qui détiennent des hautes responsabilités devraient donner l’exemple en faisant l’effort de bien parler. Quitte à prendre des cours pourquoi pas (à forte prédominance orale, la culture malgache favorise les bons orateurs, mahay mandaha-teny e! Mpikabary ikoizana e!) ? Le peuple a tendance à faire comme leurs réprésentants, si les leaders parlent mal leur propre langue, le peuple en fera de même.

GV:  est ce que la mondialisation est une menace ou au contraire une opportunité pour faire connaitre notre culture ?

La mondialisation depuis quelques décennies a imposé sa marque, les langues influentes peuvent être un moyen de communication, d’échanges, d’épanouissement, par exemple pour traduire et faire connaître des romans et des textes de grands auteurs de par le monde, pour faire des sommets culturels où chaque pays montre ses spécificités culturelles. Mais elle peut aussi être une cause d’étouffement voire d’écrasement d’une culture, par les moyens qui sont mis en concurrence pour faire prévaloir une langue dans le cadre de l’homogénéisation des langues dominantes. La langue a été un outil de conquête au sein des colonies françaises, parler la langue locale était interdit et passible de peines ou d’amende. Ce fut plus souple chez les anglais, mais on constate actuellement que des travaux de sauvegarde des langues en voie de distinction sont plus encouragés en France. Lors de la journée internationale de la langue maternelle, le 21 février, il est rappelé que sur les cinq à sept milles langues parlées dans le monde, vingt cinq meurent chaque année (cf Nicholas Evan), et 2546 sont en danger de mort (communication du 21/02/2016 à l’UNESCO, lors de la journée internationale de la langue maternelle).

GV: Un message a faire passer aux lecteurs de Global Voices ?

Je voudrais d’abord leur dire que malgré les actualités accablantes qui sont constatées quotidiennement, des abeilles continuent de fabriquer du miel, des fleurs repoussent au printemps nouveau, continuons nos belles actions, travaillons dur en vue de voir nos rêves se réaliser. Et mon tout dernier message est emprunté au poète DI… (RAHAINGOSON Henri) « Andrianiko ny teniko, ny an’ny hafa koa feheziko », Ma langue je la fais souveraine, quand à celle des autres, je les maîtrise et les fais miennes aussi. Cet adage couvre l’ état d’esprit à mettre en avant dans notre monde moderne, nous avons encore beaucoup à apprendre, à découvrir. Ne nous fermons pas au voyage, à l’autre, à l’inconnu, car c’est ce qui nous enrichit, mais sachons cultiver la valeur de notre propre différence, de notre propre culture.

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