Les gestes de bonne volonté peuvent-ils aider à mettre fin à la crise politique burundaise ?

Aerial view of Lusenda Burundian refugees' camp, South Kivu, DRC. August 2015. Photo credit: MONUSCO/Abel Kavanagh

Vue aérienne du camp de refugiés burundais à Lusenda, Sud-Kivu, RDC. Août 2015. Image publiée sous une licence Creative Commons par MONUSCO/Abel Kavanagh.

Au milieu d’une longue crise, le gouvernement a annoncé tout à coup plusieurs gestes de bonne volonté.

Le Président Nkurunziza a pris un troisième mandat controversé mi-2015, qui a provoqué des manifestations, une répression sanglante, des rébellions, et la fuite massive des réfugiés et exilés. Les radios indépendantes réduites au silence ont été forcées de se rabattre sur leurs canaux internet, et beaucoup de journalistes ont fui.

Le gouvernement a jusqu'ici résisté fortement à la pression internationale, mais ces gestes avaient l’air de bonnes nouvelles en amont de la visite de Ban Ki-moon le 22-23 février, une délégation de haut niveau de l’Union Africaine le 25-26 février, et un sommet de la Communauté de l’Afrique de l’Est.

Le retour de certaines radios

Le 19 février, il était annoncé que les radios Isangiro et Rema (pro-gouvernementale) avaient reçu l’autorisation de retourner sur les ondes, mais pas les trois autres radios indépendantes principales. Ces deux radios ont dû signer un ‘acte d’engagement’ avec le Conseil National de la Communication.

Les directeurs des radios indépendantes restent en exil, et les autres radios indépendantes Bonesha, Radio Publique Africaine, et Renaissance sont toujours bloquées. Par coïncidence, cette annonce est intervenue le jour du vingtième anniversaire de la radio Bonesha, parmi celles toujours bloquées.

La reprise des opérations de diffusion se heurte à des difficultés pratiques, car le matériel a été détruit dans l'attaque des bureaux durant le putsch raté de mai. Samson Maniradukunda, le directeur par intérim d’Isanganiro depuis que son prédécesseur a fui en exil, le déplorait en voyant les bureaux détruits. Il a estimé les dommages à 350 millions de francs burundais (207.000 euros), et a relevé l'incapacité de la radio à gagner de l'argent après les mois d’inactivité.

L’acte d’engagement exige que les radios donnent une information « équilibrée et objective » qui ne porte pas atteinte à la « sécurité » du pays. Sujet à l’interprétation, il laisse la porte ouverte à un contrôle du contenu des émissions. Le retour de deux radios est certainement positif, mais il reste à voir à quel point elles pourront informer librement.

Le scepticisme subsiste

Le 20 février, on a annoncé que 15 de 34 mandats d’arrêt internationaux ont été levés, y compris celui d’Antoine Kaburahe, le dirigeant du journal Iwacu. La lettre officielle, partagée par SOS Médias Burundi dit tout simplement que les raisons originelles pour les mandats d’arrêt « n'existent plus ».

Dans un communiqué, le mouvement d’opposition CNARED a dit que l’annulation des mandats d’arrêt n’est que de la « poudre aux yeux » pour convaincre le Secrétaire-Général de l’ONU de la bonne volonté du gouvernement, pour détourner l’attention internationale durant la visite de l’ONU et pendant que l’Union Européenne réfléchit à de nouvelles sanctions. Il dit que le meilleur gage serait « l’extinction de toutes les poursuites arbitraires ».

Le gouvernement a accepté de recevoir plus d’observateurs des droits humains de l’Union Africaine, ainsi que trois enquêteurs des droits humains de l’ONU. Suite à la réunion entre Ban Ki-moon et Président Nkurunziza, la libération de 2.000 prisonniers a aussi été promise. Les arrestations multipliées pendant la crise ont ajouté à la surpopulation des prisons.

Pourtant, à peine Ban Ki-moon reparti, des incertitudes sont apparues autour du nombre de détenus libérables. De plus, il est devenu évident que le gouvernement a, en effet, exclu ceux qui ont été arrêtés durant cette crise. Plusieurs internautes ont aussi été sceptiques sur la sécurité des prisonniers politiques libérés.

@SOSMediasBDI espérons qu’ils ne les suivront pas pour les tuer pendant la nuit

Chose remarquable, le président a dénoncé les discours haineux dont certains inquiétaient par leur tonalité ethnique ou agressive durant la crise.

Pas de discours haineux ou chansons contre @paulkagame pendant les manifestations actuelles, demande @pnkurunziza. Tout ce dont nous avons besoin, c'est de paix entre Burundi et Rwanda

Sanctions et tensions

Les sanctions économiques ont pesé sur le gouvernement, et maintenant l’Union Européenne – la plus grande donatrice – pense à rediriger son aide vers les canaux non-gouvernementaux. L’aide internationale représente environ la moitié du budget national, et le gouvernement a de plus en plus de difficultés financières, qui affectent des secteurs cruciaux comme l’éducation et la santé.

Sur fond d'insécurité permanente caractérisée par les violences, les arrestations et l'impunité, une résolution de la crise nécessite beaucoup plus que des gestes, si positifs soient-ils. Si ceux qui ne sont plus visés par les mandats d’arrêt craignent toujours les agressions, ils seront sans doute réticents à revenir. Les tensions avec le Rwanda ont augmenté, et beaucoup sont en colère contre les accusations de former les insurgés.

« L’imperméabilité » aux approches diplomatiques

Il y a jusqu’ici un manque de dialogue avec l’opposition en exil. Suite à sa réunion avec le Président Nkurunziza, Ban Ki-moon a annoncé une promesse de dialogue, mais les ministres ont précisé qu'elle n’inclut pas ceux qu’ils accusent d’avoir tenté de déstabiliser le Burundi. Comme avant, ceci laisse la porte ouverte à l’exclusion de beaucoup de groupes, qui minerait toute tentative d’entamer un dialogue inclusif. L’activiste de la société civile Vital Nshimirimana a dit que beaucoup sont fatigués de « l’imperméabilité » du président « à toute approche diplomatique ».

Les ministres ont temporisé plusieurs fois. Un exemple important était leur participation à une séance de dialogue en Ouganda en décembre dernier, avant leur refus de reprendre les sessions. Ils pouvaient ainsi se retrancher sur leur position sans faire de concessions substantielles, dans l'espoir apparent de seulement lasser les opposants et l’attention internationale. Il reste donc à voir si ces gestes indiquent un changement réel dans l’approche à la crise.

Un dialogue inclusif hors de portée

Le RED-TABARA, un groupe rebelle qui revendique ouvertement des attaques contre les services de sécurité, et le mouvement d’opposition politique CNARED ont condamné les attaques aveugles à la grenade visant la population civile. Les ministres accusent « l’opposition », faisant l’amalgame entre plusieurs groupes, tandis que le CNARED accuse le gouvernement de vouloir créer une prétexte pour réprimer les opposants. Quel que soit le responsable, une continuation des gestes de bonne volonté de la part de tous les acteurs – ainsi que le dialogue – pourraient ouvrir l’espace politique et peut-être enlever tout sens et mettre fin à l'escalade des violences contre les civils, ainsi qu’entre les services de sécurité et les insurgés.

L’envoyé spécial des Etats-Unis, Thomas Perriello, espérait que ces gestes seraient suivis d’une action concrète :

Les prochains 10 jours sont cruciaux pour que le gouvernement du Burundi montre des résultats concrets aux observateurs de l’Union Africaine, des pourparlers régionaux, et l’ouverture d’espace politique

Cet espoir, pourtant, rencontrait beaucoup de scepticisme :

@US_SEGL Et puis que va-t-il se passer ? Déclarations ? Une autre visite ? Déclarations ? Une autre visite/ travaux collectifs ? Déclarations ?

@US_SEGL Honnêtement, vous croyez vraiment que quelque chose va changer ou vous n’avez pas mesuré l’ampleur des crimes et développements futurs ?

Une délégation de l’Union Africaine, dirigée par le président sud-africain Jacob Zuma, s’est réunie avec le gouvernement, l’opposition interne, et leaders de la société civile pour discuter des différends et résoudre la crise. Pourtant, plusieurs figures d’opposition ont exprimé leurs doutes sur la capacité de la délégation à obtenir un dialogue représentatif à l’extérieur du Burundi.

Charles Nditije du parti UPRONA – un des rares opposants politiques qui restent au pays – a même dit que la délégation de l’Union Africaine ne faisait que légitimer la position du gouvernement, et a noté que M. Zuma avait exclu des discussions le sujet du troisième mandat controversé. Si la bonne volonté ne survit pas aux visites diplomatiques, la violence au Burundi pourrait continuer à s’intensifier.

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