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Les dernières stratégies pour sauver les abeilles sont vraiment anciennes

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Amérique latine, Asie du Sud, Inde, Mexique, Tanzanie, Environnement, Médias citoyens
Photo by Flickr user Danny Perez Photography. CC-BY-NC-SA 2.0

Photo sur Flickr de Danny Perez Photography. CC-BY-NC-SA 2.0

Ce post de Christina Selby  [1]a été publié  [2]sur Ensia.com [3], un magazine qui s'intéresse aux solutions pour l'environnement mises en place à l'international. Il est republié ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu. 

Au nord-ouest de l'Inde, les pics de l'Himalaya surgissent derrière les sapins et les cèdres. Les contreforts de la vallée de Kullu sont tapissés de pommiers qui commencent à fleurir. C'est un matin frais de printemps et Lihat Ram, un cultivateur du village de Nashala, me montre une petite ouverture dans une ruche en bois adossée contre sa maison. De robustes abeilles natives, noires et jaunes (Apis cerna), entrent et sortent de la ruche.

Depuis des siècles, les ruches sont intégrées dans l'architecture des chalets de montagne ici. Elles font partie de la masse des épais murs extérieurs. Les colonies d'abeilles sauvages trouvaient la ruche seules, ou l'essaim prélevé dans un tronc d'arbre dans la forêt y était installé par le fermier pour fournir aux villageois du miel à consommer ou vendre.

Ces dernières années, ces colonies sauvages se sont raréfiées dans la vallée. 90 pour cent des fermiers sont de petits exploitants. L'agriculture moderne a remplacé les forêts naturelles et les cultures de subsistance ont cédé devant la monoculture d'une variété de pommes très demandée, la Royal delicious. Les revenus tirés de cette culture intensive sont appréciables pour les horticulteurs de la vallée de Kuddu mais les pommiers ont aussi créé un environnement hostile aux abeilles. Comme ailleurs dans le monde, un mélange de monoculture, de déforestation, de destructions d'habitats naturels et de population humaine en explosion pèsent sur les ressources naturelles de la vallée et ont précipité le déclin des abeilles de montagne. Ce déclin a entrainé à son tour une baisse des récoltes des vergers, d'environ 50 pour cent.

Pour restaurer la pollinisation, des cultivateurs qui peuvent se le permettre ont commencé à embaucher des apiculteurs de l'Etat voisin plus chaud du Penjab, pour qu'ils installent des ruches d'abeilles européennes (Apis mellifera) durant la floraison des pommiers. “Le problème avec ça, c'est que les fermiers pauvres payent maintenant pour un service de l'écosystème que les abeilles natives fournissaient gratuitement avant” dit Pradeep Mehta, directeur de la recherche et du programme de l'Institut Earthwatch en Indie. De plus, l'introduction d'abeilles étrangères peut apporter des maladies et une compétition pour les sources de nectar, ce qui réduit la population des abeilles natives d'autant plus et diminue la biodiversité.

Aujourd'hui, cependant, des scientifiques mettent à contribution la nature pour changer cela dans ce coin isolé de la planète. Le Projet de recherche sur les écosystèmes himalayens (une collaboration entre scientifiques, villageois de Nashala et volontaires internationaux comme moi, invités par Earthwatch [4]) étudie la pollinisation dans ce lieu et appliquent leurs conclusions dans les fermes. L'an dernier, le groupe a commencé à restaurer la pollinisation traditionnelle par des formations et en peuplant les nouvelles ruches d'abeilles asiatiques, tout en introduisant de nouvelles pratiques, telles que l'utilisation d'un extracteur pour récolter le miel au lieu d'écraser les rayons de cire, utiles aux abeilles pour résister à leurs nouvelles conditions de vie modernes.

Pour nourrir les abeilles durant la saison de la croissance, les villageois de Nashala ont recommencé à diversifier les cultures de leurs fermes. De l'ail, des oignons, des choux-fleurs et des fleurs sauvages, végétaux pour lequels les abeilles ont montré une préférence durant les relevés de terrain, poussent maintenant aux pieds des pommiers, après la floraison. Les floraisons étalées dans le temps ne compromettent pas la pollinisation des pommiers durant leur courte floraison et fournissent d'autres sources de nectars pour nourrir les abeilles durant le reste de la belle saison.

Une renaissance en cours 

Dans le monde entier, l'agriculture et sa collaboration traditionnelle avec les abeilles natives sont frappées par les dégâts collatéraux de la modernisation. L'agriculture industrielle emploie une poignée d'espèces d'abeilles, en général des abeilles réputées très efficaces et des bourdons, transportés d'une exploitation à l'autre pour polliniser où et quand c'est nécessaire.

“Les abeilles étrangères sont comme Walmart, les abeilles natives sont comme les petits commerces locaux. Quand vous cherchez un produit en particulier, si vous ne le trouvez pas à Walmart, vous allez vous trouver mal si le petit commerce de proximité ferme.”

Transporter des colonies d'abeilles non autochtones s'est révélé cependant risqué. Ces espèces peuvent transmettre des maladies aux colonies autochtones et réduire leur population. Ce qui peut compromettre toute la chaine de pollinisation. Comme le résume  Karen Wright, une chercheuse spécialiste des abeilles autochtones de l'université du Nouveau Mexique, les ”abeilles importées sont comme Walmart, les abeilles natives sont comme des petits commerces locaux. Quand vous cherchez un produit en particulier, si vous ne la trouvez pas à Walmart, vous allez vous trouver mal si le petit commerce de proximité ferme”.

Une renaissance est cependant en cours : un mouvement pour la protection des abeilles indigènes est né dans le monde entier. Et dans la vallée de Kullu, les cultivateurs commencent à voir leurs espèces locales comme des aides précieuses. Ils recommencent à les élever. La reprise de l'apiculture locale permet d'augmenter les populations d'abeilles locales et de reconquérir leur place dans les habitats naturels.

“Relancer ces pratiques traditionnelles va préserver l'environnement et l'agriculture dans la région”, dit Mehta.

Des abeilles sans dard au Mexique

Dans la péninsule du Yucatan au Mexique, on élève des abeilles depuis un millénaire. Les apiculteurs traditionnels prélevaient les abeilles, qu'ils appellent xunan kab (la reine), dans la forêt en abattant un arbre et en apportant l'essaim dans un tronc. La petite quantité de miel produite (entre 1 et 2 litres) chaque année était utilisée pour la médecine traditionnelle et les reines avaient un rôle dans les cérémonies traditionnelles.

Chez les Mayas, les anciens transmettaient leur connaissance des abeilles à un parent intéressé. La modernité a là encore fait tomber cette tradition en désuétude. “Les enfants ne sont plus intéressés par les choses traditionnelles” dit David Roubik de l'Institut Smithsonian Tropical Research. Depuis les années 1980, David Roubik, ainsi que les entomologistes de l'université de l'Arizona Stephen Buchmann et Rogel Villanueva-Gutiérrez, chercheur de El Colegio de la Frontera Sur au Mexique, ont étudié les pratiques d'apiculture chez les Mayas et l'espèce locale d'abeille sans dard, la Melipona, dans la Zona Maya, district créé par le gouvernement dans le Yucatan où les Maya vivent de façon traditionnelle. Les nouveaux apiculteurs recherchent avant tout à gagner de l'argent, et se tournent vers une abeille ‘commerciale’, hybride d'abeilles européennes et africaines qui produisent 40 à 50 kilogrammes de miel par colonie et par an.

Ce qui est perdu, c'est le rôle important de l'abeille locale dans l'écosystème.  “Les abeilles sans dard visitent de préférence la canopée des forêts natives, contrairement à l'abeille à miel qui a été introduite  — Apis mellifera — et qui tend a polliniser les plantes au niveau du sol. “Ces abeilles sont essentielles pour la conservation des essences d'arbres locales et d'autres végétaux dans la Zona Maya.

A l'est de la péninsule du Yucatan, où de larges bandes de forêts primaires sont encore intactes, les scientifiques qui souhaitent réintroduire l'abeille native travaillent avec les cultivateurs mayas pour faire renaitre l'apiculture traditionnelle. Les études à long terme des populations d'abeilles et des apiculteurs dans des villages mayas isolés montrent que la pratique n'est plus transmise dans les famille.  Buchmann, Roubik, Villanueva-Gutiérrez et des collègues de l'université du Yucatan estiment indispensable d'éviter l'extinction des abeilles sans dard et ont lancé des ateliers annuels pour former une nouvelle génération d'apiculteurs.  

“Nous formons et travaillons avec des techniciens mayas pour donner des cours et des ateliers sur la façon d'élever et de protéger l'abeille Melipona. Nous fournissons des colonies à des gens qui débutent et construisons des ruches, appelées meliponaries, qui ont toutes les caractéristiques de la meliponario traditionnelle maya”, dit M. Villanueva Gutiérrez.  Ces chercheurs ont aussi publié un guide d'apiculture [5] en espagnol et en maya et une vidéo sur l'apiculture des Mayas [6]. Ils espèrent que des apiculteurs formés pourront augmenter la population des colonies en les partageant.

“Nous rendons les gens conscients de l'importance des abeille pour la préservation de la forêt, et aussi de l'importance de la forêt pour l'existence des abeilles.”

Les hommes étaient traditionnellement les apiculteurs dans les villages mayas, mais des collectifs de femmes ‘gardeuses d'abeilles’ [7] sont nés de ces initiatives. La nature docile de cette abeille en fait une invitée recherchée dans la cour d'une ferme familiale. Les bienfaits réputés du miel en médecine et un joli emballage permettent de tirer plus de revenus que d'un miel commercial au marché. Pour des mères de famille, cela suffit à régler les frais de scolarité de leur enfant.

Les ateliers aident les apiculteurs à voir que le miel n'est qu'une partie de la prestation. « Nous faisons en sorte que les gens prennent conscience de l'importance des abeilles pour la conservation de la forêt, ainsi que de l'importance de la forêt pour l'existence des abeilles », dit Villanueva Gutiérrez.

Les abeilles sans dard aident les apiculteurs mayas par la vente de miel et les apiculteurs mayas contribuent à préserver non seulement les abeilles sans dard, mais aussi l'équilibre écologique de la péninsule du Yucatán.

Une agressivité bénéfique 

En Tanzanie, les pratiques traditionnelles sont plutôt de récolter le miel sauvage au lieu d'entretenir des ruches, dit Noah Mpunga, zoologue de la Wildlife Conservation Society. Les cultivateurs repèrent des essaims dans la forêt, mettent le feu à des ballots d'herbes pour enfumer ces agressives abeilles et les chasser avant de récolter leur miel. Parfois, le feu se propage aux arbres alentour et détruit le tout.

Le nouveau project Elephants and Bees Project [8], une idée de la biologiste Lucy King, vise à soutenir les petits cultivateurs par les revenus du miel tout en réduisant les conflits entre éléphants et humains par la nature agressive de l'abeille africaine.

Les ruches sont traditionnelles, dans un tronc, ou modernes, à ouverture par clapet, ce qui permet de récolter le miel sans endommager la colonie. Des clotures ponctuées de ruches sont disposées autour des petites fermes. Les éléphants de passage qui convoitent les jeunes cultures se heurtent à la cloture, ce qui alerte les abeilles dans les ruches. Le seul son d'un vol d'abeilles suffit à mettre un éléphant en fuite. `

C'est un moyen de protéger des cultures des éléphants, qui s'ajoute à une meilleure pollinisation et aux revenus du miel. Le programme encourage les apiculteurs à créer et protéger des sources de nectar pour les abeilles natives, en ajoutant des fleurs sauvages à leurs cultures et en protégeant les forêts proches.

Les études montrent que des tactiques de protection pro-actives telle que celles-ci peuvent maintenir des conditions favorables pour les abeilles natives dans toute l'Afrique. La pratique se répand dans d'autres lieux où les éléphants représentent aussi un problème.

Rester local 

De retour en Inde, je suis Lihat Ram le long des sentiers étroits du village de Nashala. Quelques ruches dans les murs, et dans les troncs, bourdonnent d'abeilles autochtones. Nous croisons des femmes aux habits multicolores en train de planter des légumes dans leur jardin. Dans les vergers, les fleurs sauvages commencent à fleurir sous les pommiers. Les abeilles à miel, les abeilles natives solitaires, les insectes et les libellules s'activent. Tous pollinisent les bourgeons de pommes.

Une variété de pommes de la vallée de Kullu, ou bien une lotion pour la peau faite à base de gelée royale dans la Zona Maya, ou encore un éléphant africain qui fuit : les abeilles changent les choses chez les humains et les ecosystèmes. Des pratiques traditionnelles  d'apiculture sont peut-être exactement ce dont nous avons besoin pour préserver l'agriculture, les forêts et les exploitations familiales. 

Christina Selby a participé au programme de volontaires de Earthwatch en Inde au mois d'avril et a contribué cet article en tant que participante du dernier Ensia Mentor Program [9]. Sa tutrice pour ce projet a été Hillary Rosner [10].

Christina Selby [1] est  journaliste spécialiste de l'environnement et vit à Santa Fe, au Nouveau Mexique. Elle écrit sur la préservation de l'environnement, la biodiversité, les pollinisateurs et le développement durable. Ses articles ont été publiés par le Lowestoft Chronicle, le Green Money Journal, Mother Earth Living et d'autres publications. Twitter :  @christinaselby [11].