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Contourner la censure sur internet sera bientôt sanctionné en Russie

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Censure, Cyber-activisme, Droit, Economie et entreprises, Liberté d'expression, Médias citoyens, Technologie, RuNet Echo, Advox
Le Kremlin est tellement préoccupé par les outils de contournement de la censure qu'il cherche à présent à rendre illégal le simple fait d'en mentionner l'existence. Image éditée par Tetyana Lokot.

Le Kremlin est tellement préoccupé par les outils de contournement de la censure qu'il cherche à présent à rendre illégal le simple fait d'en mentionner l'existence. Image éditée par Tetyana Lokot.

Tor. VPN. Sites miroirs. La mention même de ces outils informatiques utilisés pour contourner la censure pourrait bientôt devenir de la “propagande” selon de nouveaux amendements à la loi russe.

L'organisme régulateur des médias en Russie, Roscomnadzor, envisage de mettre en place des amendes pour “propagande” d'outils de contournement de la censure en ligne qui permettent aux internautes d'avoir accès à des pages internet bloquées. Les modifications à la loi assimilent aussi les versions “miroir” des sites bloqués aux sites originaux.

D'après le média RBC, qui affirme [1] posséder une copie d'une première version du document, le Roscomnadzor punirait la “propagande” de logiciels ou sites de contournement de la censure en ligne avec des amendes de 3000 à 5000 roubles (40 à 65 euros) pour les personnes privées ou les fonctionnaires, et de 50 000 à 100 000 roubles (655 à 1310 euros) pour les entreprises. Le montant de ces amendes n'est certes pas exorbitant, mais elles constituent un précédent dangereux pour l'avenir.

Le nouveau projet de loi ne se contente pas de limiter la possibilité de fournir de l'aide pour accéder aux sites bloqués. Il fournit également une définition des “sites miroirs” et autorise les détenteurs de droits d'auteur à demander à un tribunal de bloquer le site d'origine contenant du contenu “piraté” et tous ses miroirs – des “sites dérivés” qui ont un nom et un contenu similaire, y compris lorsque celui-ci est traduit dans d'autres langues.

En février 2016, les détenteurs de droits d'auteur russes ont proposé [2] un amendement similaire prévoyant une amende de 50 000 roubles (655 euros) pour les fournisseurs d'accès à internet (FAI) qui publieraient de l'information sur le contournement de la censure. A l'époque, les auteurs du projet de loi avaient affirmé que Roscomnadzor soutenait le texte, ce que le régulateur avait pourtant nié.

La répression du contournement de la censure va à l'encontre de la liberté d'expression

En apparence, le nouveau projet de loi de Roscomnadzor a pour objet la protection des droits d'auteur et la limitation de l'accès aux contenus internet piratés. Mais les implications d'une interdiction des outils de contournement sont beaucoup plus grandes. Les responsables russes débatent sur le sujet des restrictions sur les VPN (réseau privé virtuel) et sur les proxys anonymiseurs depuis déjà un certain temps, mais jusqu'à présent ils n'avaient pas osé rendre illégaux les outils ou les informations les concernant. Comme pour les autres législations sur internet en Russie, les experts considèrent que les nouveaux amendements sont d'une portée très large, ce qui permet de les interpréter de façon abusive et de restreindre un peu plus la liberté d'expression.

… si les changements législatifs étaient appliqués de façon “littérale”, de nombreuses pages tout à fait anodines faisant simplement mention d'outils de contournement de la censure pourraient être qualifiées de “propagande”.

Irina Levova, directrice des projets stratégiques à l'Institut pour la Recherche sur Internet, a affirmé [1] à la RBC que si les changements législatifs étaient appliqués de façon “littérale”, de nombreuses pages tout à fait anodines faisant simplement mention d'outils de contournement de la censure pourraient être qualifiées de “propagande”.

Irina Levova considère que Roscomnadzor et les détenteurs de droits d'auteur russes font délibérément pression sur les FAI pour réguler de façon excessive l'accès à l'information sur internet. Selon elle, en Russie, les FAI ont les moyens techniques de bloquer jusqu'à 85% des sites internet sur le RuNet ; tout moyen additionnel permettant restreindre l'information impliquerait un blocage de masse des adresses IP, ce qui signifie que davantage de sites internet en conformité avec la loi pourraient être touchés.

La guerre larvée du Kremlin contre l'anonymat

A ce jour, la première grande attaque contre les outils de contournement de la censure sur le web en russe a éclaté après le blocage du site de RosKomSvoboda [3], une organisation russe pour les libertés sur internet et les droits de l'homme.

En février 2016, le site de RosKomSvoboda a été ajouté à une liste noire à cause d'une page [4] du site, qui explique aux utilisateurs comment contourner la censure en ligne et accéder à des contenus bloqués. RosKomSvoboda a répliqué que le blocage et le jugement étaient absurdes, puisque la loi russe n'interdit ni l'information sur les outils d'anonymisation, ni les services en eux-mêmes.

Vadim Ampelonsky, le porte-parole de la Roskomnadzor, a souligné que le jugement contre RosKomSvoboda créait un précédent, dans la mesure où le procureur chargé de cette affaire était “responsable de l'application de la législation anti-extrémiste et a pu prouver que cette information crée des conditions dans lesquelles les utilisateurs peuvent accéder à des contenus extrémistes.” Ampelonsky a affirmé que le jugement pourrait influencer le travail des juges et des tribunaux pour toute affaire concernant le contrôle d’ informations qui permettent aux Russes de contourner la censure.

Détail important, un mois plus tôt, en janvier 2016, Ampelonsky avait déclaré à RBC TV que contourner la censure en ligne ne constituait pas une violation de la loi.

Le site de RosKovSvoboda a finalement été débloqué après que les administrateurs ont modifié les contenus de la page incriminée. Elle contient maintenant leur compte-rendu sur le procès ainsi qu'une lettre officielle du ministère des Communications, qui fournit des explications sur certains des outils de contournements mentionnés auparavant par le site. Les activistes ont également déplacé vers une page différente les informations et les liens vers d'autres outils d'anonymisation et d'encryptage pour leur campagne Open RuNet. Le porte-parole de Roscomnadzor Vadim Ampelonsky a confirmé à la RBC que l'organisme travaillait avec un groupe de détenteurs de droits d'auteur en Russie sur les amendements à la loi russe, dite “Sur l'information, les technologies de l'information et sur la protection de l'information”, et sur le Code des infractions administratives. Le 17 mars, les amendements ont fait l'objet d'une discussion entre des représentants d'entreprises internet comme Apple, Google, Microsoft, Yandex et MailRu, lors d'une table ronde de Roscomnadzor [5] sur la régulation du web russe. Le projet de loi sera soumis le 21 mars au ministère des communications avant d'être envoyé à la Douma pour vote.