- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Malgré le poids de la tradition, les Egyptiens continuent à danser la salsa

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amérique latine, Egypte, Arts et Culture, Femmes et genre, Good News, Jeunesse, Médias citoyens
Aasim Rady and Rasha Sadek. Social Salsa Dancing in Egypt, January 2015. Image: YouTube [1]

Aasim Rady et Rasha Sadek. Danse de la salsa en Egypte, Janvier 2015. Image: YouTube

Croyez-le ou non, mais l’Amérique latine et l’Égypte ont un peu plus en commun que l'ancienneté de leur civilisation et la construction de pyramides. Après avoir repris la nourriture et la musique de l’Amérique du sud, la scène culturelle du Caire bouge désormais au rythme enfiévré de la salsa. Et cette fièvre semble bien partie pour y rester.

Alors que l’Opéra du Caire envisage d’intégrer une nuit de l’Amérique latine mensuelle à son programme, suite au très bon accueil fait au Jazz and Latin American Flair [2], l'aspiration à danser la salsa et le tango devient peu à peu réalité, grâce à des écoles de danse professionnelles comme la Latin Love Dance School [3] [l'école de danse en couple latine] et l’enthousiasme de groupes comme la Latino Dance Community – Egypt [4] [la communauté de danse latino d’Égypte] sur Facebook.

La salsa se développe au Caire depuis des années. D’après un reportage de 2010, qui a récemment gagné en popularité sur Youtube, les jeunes gens de la capitale égyptienne sont particulièrement attirés par cette danse. Il y a 5 ans, les journalistes se demandaient combien de temps la « fièvre de la salsa » allait durer. Aujourd'hui l'engouement pour la salsa semble plus prégnant que jamais, que ce soit en ville ou en ligne.

Cependant, la salsa ne s'est pas développée en Egypte sans difficultés. Dans son court documentaire radio “Salsa Egyptian Revolution: Culture Resist and Salsa Persist [5]» [La révolution de la salsa en Égypte: la culture résiste et la salsa persiste], Sara Reda s’attache à mettre en valeur la joie que procure la salsa aux jeunes Egyptiens, tant hommes que femmes, mais révèle aussi certains de ses côtés un peu moins radieux.

Nour, une danseuse de salsa de 24 ans, témoigne dans ce documentaire des contradictions et des interprétations qui peuvent être faites quand quelqu'un, et particulièrement une femme, danse la salsa.

In Egypt, many men would claim to be open minded and not conservative. I don’t think this way, but you know how men are. They judge you. [But] It’s not just about men. It’s about everyone. Some women actually would judge you for dancing and being veiled. […] I think the problem is with the entire culture. Some men would dance with you and respect you for doing what you do and following your passion in life, no matter what your conditions are, being veiled or not, but others would disrespect you.

En Égypte, beaucoup d’hommes revendiquent leur ouverture d'esprit, et disent ne pas être conservateurs. Mais vous savez bien comment sont les hommes. Ils vous jugent. [Mais] ils ne sont pas les seuls à le faire. Tout le monde le fait. Même certaines femmes vous jugent aussi si vous dansez alors que vous êtes voilée. […] Je pense que le problème vient de la culture dans son entier. Certains hommes dansent avec vous et vous respectent parce que vous suivez votre passion dans la vie, et peu importe d’où vous venez ou si vous êtes voilée ou non, alors que d’autres ne vous respectent pas. 

Nour met aussi en évidence des limites sociales imposées aux femmes et les préjugés qu'elles peuvent subir si elles dansent la salsa tout en portant le voile.

People automatically assume that veiled girls are religious and culturally reserved. So, they expect them to act very conservatively. They label them. Thus, when a veiled woman does anything that they believe to be “indecent” she is directly labeled as loose and, you know, forsaking religion. They have no idea that not all veiled women are religious. Veiled women became more of traditional trend. It’s not related to religion anymore. At least not as it used to be before. Egyptians have a problem of not accepting diversity in personalities and beliefs. They tend more to label people. They need to have a price tag on you.

Les gens supposent toujours que les filles voilées sont religieuses et réservées. Donc, ils s'attendent à ce qu’elles agissent de manière très conservatrice. Ils leur mettent des étiquettes. Ainsi, quand une femme voilée fait quelque chose qu’ils estiment « indécent », elle est tout de suite cataloguée comme débauchée et ayant abandonné sa religion. Ça ne leur vient pas à l'idée que toutes les femmes voilées ne sont pas nécessairement religieuses. Le voile devient de plus en plus un accessoire traditionnel. Aujourd'hui, il n’est plus lié à la religion. Ou du moins, pas comme il a pu l’être autrefois. Les Égyptiens ont du mal à accepter la diversité des personnalités et des croyances. Ils préfèrent mettre des gens dans des cases. Ils ont besoin de vous mettre un code barre.

Poster of the 2nd Edition of the International Salsa Congress in Egypt. [6]

Affiche de la deuxième édition du Congrès International de la Salsa en Egypte. Image: International Salsa Congress / Facebook

Mais ces restrictions sociales ne touchent pas seulement les femmes. Le documentaire de Sara Reda montre combien intégrer la communauté de la salsa est difficile pour les hommes. Mohamed, l’un des danseurs interviewés, dit que beaucoup d’hommes, et tout particulièrement ceux qui viennent des couches sociales les plus populaires, n’accèdent pas facilement à la piste de danse. Ils explique combien les conventions sociales liées à la danse peuvent rendre les choses très compliquées :

Salsa nights in Egypt are totally different than anywhere else. They are mainly for young people. For young men of course. That’s because in religion, dancing is a taboo and in the Egyptian culture dancing is inappropriate and unrespectable. For example, old people are expected not to dance because they have to respect their age […] for [younger] men, dancing is considered girly and for women, dancing is unrespectable. This makes dancing problematic for all social strata.

Les soirées de salsa en Égypte sont bien différentes de celles qui se déroulent dans d'autres pays. Elles sont surtout pour les jeunes. Les jeunes hommes, évidemment. C’est parce que dans la religion, la danse est un tabou, et dans la culture égyptienne, elle n’est ni convenable no respectable. Par exemple, les personnes âgées ne doivent pas danser, par respect pour le statut que leur confère leur âge. […] Pour les hommes plus jeunes, danser est considéré comme efféminé et pour les femmes, ce n’est pas respectable. Ça rend le fait de danser problématique pour tout le monde.

Pour Mohammed, la clé de ce problème est la conception restreinte de la liberté qu’ont les hommes égyptiens :

Poor Egyptian men are in a big problem. They were taught that dancing is sissy. Thus, they grow up having no connection with their bodies, no sense of freedom at all. What is even worse, is that not only are men socially prohibited from dancing, women also are but definitely for different reasons and not to mention that dancing is attached with a low public image.

Les hommes égyptiens des milieux les plus populaires ont un vrai problème. On leur a appris que danser était efféminé. Ils grandissent donc sans connexion à leur corps, sans aucun sens de la liberté. Pire encore, non seulement la société interdit aux hommes de danser, mais aux femmes aussi, pour des raisons bien différentes. La danse a une image sociale très négative.

Mais en dépit des traditions et des conventions, les Égyptiens continuent de danser. D’autres villes ont suivi le mouvement en créant des groupes et classes de danse. C’est toujours un peu un défi, mais le plaisir de danser restera, et la danse sera de moins en moins une étrangère en Egypte. Sasha l'explique dans le documentaire :

Yeah, I think salsa is spreading in a fast pace everywhere in Egypt now. It started in Cairo, moved to [Alexandria] and Hurghada and everywhere else. […] although it still faces challenges and limitations and some misconceptions due to the restraints and the cultural aspect of things, uhh but otherwise it’s still spreading.

Oui, je pense que la salsa se développe à un rythme effréné partout en Égypte. Ça a commencé au Caire, ça continue à Alexandrie et Hurghada et partout ailleurs. […] Bien qu’il y ait toujours des problèmes et des limitations et des idées faussées qui circulent à cause de la culture égyptienne, la danse continue de se développer.

Si vous ne pouvez pas assister en personne à des soirées consacrées à la danse de la salsa en Égypte, le mieux est de regarder les vidéos partagées sur Youtube, filmées dans des soirées salsa ou dans des cours de danse. Des clips fabuleux peuvent être trouvés sur la chaine Youtube Egyptiansasero’s channel [7]:

Consultez également la chaine de Aasim Rady, où vous trouverez un joli montage d’une soirée salsa au Bian Cafe, au Caire.