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Le restaurant-squat de Paris qui combat le gaspillage de nourriture en cuisinant les invendus

Catégories: Europe de l'ouest, France, Alimentation, Good News, Médias citoyens
From trash to haute cuisine — the ingredients of these servings of white bean and lentil salad with oranges and mint had been headed to the dumpster at a wholesale market before they were salvaged by the staff of Paris' Freegan Pony restaurant. Credit: Adeline Sire

De la benne à la gastronomie : les ingrédients de ces portions de salade de haricots blancs et lentilles, orange et menthe, étaient destinés aux ordures au marché de gros de Rungis avant d'être récupérés par le personnel du restaurant Freegan Pony à Paris. Credit photo Adeline Sire

Cet article d’Adeline Sire [1] est initialement paru sur PRI.org [2] le 8 avril 2016, et est republié ici dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

Prenez la ligne de métro 7 jusqu'au bout du 19ème arrondissement de Paris, [sortez Porte de la Villette, NdT]. Traversez une vaste place crasseuse et cherchez un portail métallique sous le pont autoroutier. Vous apercevez le poney peint en vert vif ? Vous êtes arrivé au restaurant Freegan Pony.

Ça n'est sûrement pas là que vous dînez d'habitude à Paris. De fait, c'est un squat, installé dans un recoin caverneux, aussi urbain-brut que possible, meublé de longues tables en bois, de canapés et de coussins, avec éclairage tamisé et occasionnellement musique bruyante.

Depuis son ouverture en novembre dernier, le restaurant sert 80 repas quatre soirs par semaine, que l'on paye ce qu'on veut. Le menu est essentiellement composé à partir de produits invendus mais encore propres à la consommation.

Telle est l'idée derrière le nom. Le freeganisme [3] est la pratique consistant à récupérer gratuitement des aliments jetés, mais parfaitement utilisables.

Not Your Average Joseph's: Freegan Pony serves up salvaged food in a squat in an abandoned space under a highway. Credit: Adeline Sire

Pas votre restau habituel : Le Freegan Pony sert de la nourriture récupérée dans ce squat installé dans un espace abandonné sous l'autoroute. Crédit photo : Adeline Sire

“C'est comme ça que je me nourris depuis des années”, dit Aladdin Charni, qui dirige le restaurant sans but lucratif avec une équipe de bénévoles et de cuisiniers rémunérés. “Non par nécessité, mais par convictions politiques. Je trouve que notre façon de consommer et de gaspiller la nourriture esI totalement absurde, comme si elle n'avait pas de valeur”.

De fait, les chercheurs estiment qu'environ un tiers de toute la nourriture que nous produisons n'est pas mangée. Un immense gaspillage de ressources et d'énergie et un gros impact sur le climat [4] par les émissions liées à cette nourriture gâchée.

Charni récolte la plus grosse partie des produits pour son restaurant du gigantesque marché de gros de Rungis en périphérie de Paris. Des tonnes de nourriture arrivée en fin de vie sur les étals du marché sont jetées chaque jour — viande, produits laitiers et de la mer, fruits et légumes. Charni s'intéresse surtout aux fruits et légumes, car le Freegan Pony est strictement végétarien et parfois végan.

Freegan Pony guest Chef Santiago Rosero explains to a volunteer how to prepare a recent evening's dish of lentil risotto, with pickled and roasted vegetables. Credit: Adeline Sire

Le chef invité du Freegan Pony Santiago Rosero montre à une bénévole la préparation d'un récent plat du jour de risotto aux lentilles et légumes marinés et grillés. Crédit photo Adeline Sire

Dans la partie cuisine du Freegan Pony, le chef Santiago Rosero travaillait récemment les ingrédients du jour, commençant part les pommes de terre.

“Je vais faire une soupe épaisse de pommes de terre qui vient de mon pays, l'Equateur, qu'on appelle Locro de Papa”, explique Rosero. “Et l'idée m'est venue de cuisiner les lentilles comme un risotto, avec des légumes marinés et grillés. Quant au dessert, je vois qu'on a des pommes et des bananes, je vais donc essayer d'en tirer quelque chose”. 

A côté de lui, la chef-pâtissière Frances Leech préparait au robot ménager une pâte à gâteau.

Freegan Pony's menu on a recent night included lentil salad, curried eggplant and banana and orange crumble. Credit: Adeline Sire

Un récent menu de Freegan Pony affichait salade de lentilles, curry d'aubergines et crumble banane-orange. Credit: Adeline Sire

“Je fais des sablés”, dit-elle, “parfumés avec un peu de zeste d'orange et une pincée de poivre. Pour accompagner la compote de pommes que nous avons ici”.

Beaucoup de plats de ce restaurant ont une saveur ethnique, afin de satisfaire aux goûts d'une partie des habitués, des migrants sans logis, que le Freegan Pony invite régulièrement à manger et même à dormir dans son local. La plupart sont des Afghans, tel Sultan Ali Tawakuli, en train de dîner d'un odorant ragoût afghan. L'air était parfumé d'épices.

“Riz et pommes de terre, avec des pois”, dit-il. “C'est bon”.

Le Freegan Pony s'est taillé un domaine spécial parmi les restaurants parisiens, mais n'est pas le seul à aborder la question du gaspillage alimentaire. Une nouvelle loi oblige en France les supermarchés à faire don de leurs invendus alimentaires.

Son créateur Charni indique quant à lui que la plus grande partie du gaspillage provient des grossistes, qui ne sont pas soumis à cette loi. C'est pourquoi le Freegan Pony va au marché de gros, pour récupérer la nourriture qui sans cela serait jetée.

Certes le caractère aléatoire de ce qui est disponible peut créer des défis intéressants. L'expatriée américaine Mardi Hartzog, un des cuisiniers, peut en parler.

“En arrivant un jour, tout ce que nous avions, c'est du chou, et … 50 kg de panais … avec une ribambelle d'oranges”, rit-elle. “Alors ça vous fait commencer à avoir vraiment de l'imagination. Ça a fini esssentiellement en soupe, mais j'ai aussi fait une sauce vraiment chouette avec quelques kakis trop mûrs, alors de temps à autre vous tirez de l'inspiration de choses qui vous paraissaient impossibles.”

Freegan Pony pastry chef Frances Leech shows off shortbread cookies, in process. Credit: Adeline Sire

La chef-pâtissière du Freegan Pony Frances Leech montre sa pâte à sablés en cours de préparation. Crédit photo Adeline Sire

Les restrictions favorisent la créativité, dit Hartzog. Mais de temps en temps, il lui arrive d'avoir suffisamment d'ingrédients pour confectionner un plat vraiment élégant, comme sa dernière composition : une salade de haricots blancs et lentilles aux oranges, fraîches.

“C'était vraiment bon”, dit Hartzog.

A en juger par les pouces levés aux tables, le dîner a eu du succès chez les 80 et quelques clients. Comme la soirée avançait, il flottait même un air de fête avec l'addition de musique à tue-tête.

Certes, malgré toutes ses bonnes intentions, le restaurant Freegan Pony reste illégal, et un tribunal a été saisi par la Ville de Paris d'une demande de fermeture. Aladdin Charni dit cependant espérer qu'une solution pourra être trouvée avec la municipalité.

Quoi qu'il arrive, Charni dit que l'équipe du restaurant trouvera des moyens de poursuivre sa mission de recycler la nourriture gaspillée en gastronomie.

[NdT : Mise à jour du 14 avril pour GV en français : selon le site lapresse.ca [5] citant l'AFP, la Ville de Paris a demandé au collectif de quitter les lieux sans attendre une expulsion par la force. La municipalité dit partager la préoccupation du Freegan Pony pour le zéro-déchet, et espérer la mise en place d'un partenariat. Aladdin Charni, a de son côté indiqué à l'AFP qu'il refuserait un autre lieu sûrement moins adapté.]