L'Ukraine dans la crise européenne des réfugiés, anticipations et fantasmes

The refugee center in Yahotyn, a town not far from the Ukrainian capital, was built to house asylum seekers from all over the world. Image from YouTube.

Le centre d'accueil de réfugiés de Yahotyn, une petite ville proche de la capitale ukrainienne, a été construit pour héberger des demandeurs d'asile du monde entier. Image : YouTube.

Entre “risque sanitaire” ou “opportunité pour stimuler l'économie”, vaste est l'éventail des visions de la classe politique ukrainienne sur ce qui arrivera le jour où l'Ukraine ouvrira sa porte aux réfugiés de pays comme la Syrie.

“Il est criminel d'accepter des réfugiés d'autres pays quand le vôtre est en guerre et aux prises avec la crise économique. Nous devons nous occuper des migrants du Donbass”, a déclaré Andriy Illienko, un député du parti nationaliste “Svoboda”, faisant allusion à l'actuel conflit armé dans lequel est impliquée depuis deux ans déjà cette région de l'Est de l'Ukraine.

“Cette question (Les réfugiés syriens demandant l'asile en Ukraine – GV) pourrait être bientôt à notre ordre du jour. Quand l'Ukraine deviendra membre de l'Union Européenne, elle devra être solidaire sur la question de l'accueil des réfugiés si nécessaire”, a dit le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkin à la Cinquième chaîne de la télévision ukrainienne.

En théorie, l'Ukraine peut accepter des milliers de réfugiés. Si certains députés du parlement ukrainien y voient une menace potentielle à la santé et au bien-être de leurs concitoyens, d'autres font déjà le compte des avantages financiers promis par l'Occident. Les partisans et adversaires de l'idée d'accepter des réfugiés du Moyen-Orient oublient juste un détail important : les réfugiés ne sont pas précisément enthousiastes pour venir ou s'installer en Ukraine.

“L'Ukraine ne connaîtra pas un afflux de réfugiés de Syrie. Ceux-ci comprennent que l'Ukraine n'est pas en très bonne forme en ce moment-même avec ses propres difficultés. C'est pourquoi les réfugiés voient notre territoire comme une zone de transit dans leur route vers l'Europe occidentale”, dit Maxim Yakovlev, professeur de science politique à l'Académie de Kiev-Mohyla en Ukraine.

Dans le même temps, des membres de l'élite politique ukrainienne annoncent à grand bruit les milliers de réfugiés de pays du Moyen-Orient dont la Syrie, qui seraient “en route pour l'Ukraine”. Ils voient dans la crise des réfugiés une occasion de demander de l'argent et des avantages commerciaux à l'Allemagne, parce que c'est exactement ce que la chancelière allemande Angela Merkel a promis à ceux qui apporteraient une aide face à l'afflux des gens fuyant guerre, faim et pauvreté.

“L'UE fera de son mieux pour améliorer les conditions d'exportation pour les pays qui portent le fardeau de la crise migratoire en Syrie. Cela inclut de possibles avantage commerciaux”, a dit Mme Merkel.

Zone de transit

Il y a des réfugiés syriens qui passent par l'Ukraine, mais leur séjour dans le pays est bref. Dans la plupart des cas, ils utilisent les territoires de l'Ukraine occidentale comme une zone de transit dans leur périple vers d'autres pays d'Europe occidentale. L'Ukraine pourrait en garder certains, mais manque en l'état de moyens financiers : il lui faudrait au moins quatre milliards de dollars pour reconstruire et faire fonctionner ses camps de réfugiés.

Le ministre des Affaires étrangères Klimkin a indiqué que le jour où les réfugiés décideront – même si ce n'est pas encore le cas – d'arriver en masse, l'Ukraine aura l'obligation de les recevoir et de leur fournir tout ce dont ils auront besoin, pour se montrer solidaire de ces partenaires d'Europe occidentale.

Une idée que soutient le Service national des Migrations d'Ukraine, qui vient d'annoncer que l'Ukraine se tient prête à aider l'Europe à gérer la crise et accueillera volontiers des réfugiés sur son territoire. Les spécialistes des migrations finalisent en ce moment leurs estimations du nombre de réfugiés que l'Ukraine peut admettre.

Objections à droite

Tout le monde n'ouvre pas les bras aux nouveaux venus. Les adhérents des partis d'extrême-droite ukrainiens et des cercles civiques radicaux se sont fortement activés à répandre la désinformation sur les réfugiés en Ukraine. Ils défendent et promeuvent avec zèle des idées telles que le mythe que les réfugiés apporteront des maladies étrangères aux communautés locales. Surtout, ces mouvements essaient d'instiller dans les esprits l'idée qu'au lieu d'aider les réfugiés du Moyen-Orient, l'Ukraine doit s'occuper de ses propres réfugiés de l'Est du pays et de Crimée.

Le camp de réfugiés de Yahotyn, une agglomération à une heure en voiture de la capitale Kiev, est le plus récent exemple de la manière dont les sympathisants des partis de droite arrivent à alimenter dans les communautés locales les tensions ethniques en rapport avec les réfugiés. Dernièrement, des représentants des Nations Unies en charge de la question des réfugiés, accompagnés de militants des droits humains sont venus à Yahotyn expliquer aux habitants que le camp de réfugiés qui y ouvrirait dans un mois était construit avec des fonds de donateurs européens. Sa vocation est d'accueillir des demandeurs d'asile de tous pays, pas seulement de Syrie. Le choix de qui vivra dans le nouveau camp repose sur les besoins des demandeurs d'asile en Ukraine, et non sur leur pays d'origine. Ainsi, sur les 110 premiers réfugiés admis dans le camp il y aura des nationaux de Palestine, Pakistan, Afghanistan, Russie et Syrie.

Lors de dernière en date des visites des agents des Nations Unies et du Service national d'Immigration à Yahotyn pour répondre aux questions de la population, les militants d'extrême droite ont organisé une manifestation. Tandis que les officiels parlaient aux habitants à l'intérieur de la Maison de la Culture de la ville, des membres du Corps ukrainien de Volontaires “Secteur de Droite” et du corps civique “Azov” rassemblaient leurs partisans à l'extérieur. Ils ont crié des slogans tels que “Nous disons NON au camp de réfugiés à Yahotyn” et annoncé aux habitants qu'au moins 200 réfugiés syriens arriveraient dans leur ville en mai. Les activistes d'extrême-droite accusaient les réfugiés d’ “apporter toutes sortes de maladies exotiques, y compris le virus Zika”, et prédisaient que la criminalité locale battrait des records et qu'il y aurait des attentats terroristes et des affrontements religieux à cause des nouvelles arrivées. Tant le nombre de réfugiés (200 au lieu d'officiellement 110) que les mises en garde étaient dénués de fondement, mais le but était de susciter peur et suspicion dans la population.

Les réfugiés vus par les médias ukrainiens

Dans leur chasse aux scoops et aux détails croustillants, les médias ukrainiens ne font guère d'efforts pour comprendre et expliquer la place de l'Ukraine dans la crise européenne des réfugiés. D'après une étude conduite par le site internet d'observation des médias Detector.Media, aucune des grandes chaînes de télévision nationale n'a couvert l'affaire du camp de réfugiés de Yahotyn de façon impartiale et objective. La plupart d'entre elles ont omis de mentionner que le camp avait été édifié avec les fonds de l'Union Européenne. Certains journalistes ont ouvertement usé de propos tendancieux et de discours de haine, qualifiant les réfugiés de “gens à la réputation douteuse” et de “nomades dont les habitants locaux ont peur parce qu'ils sont sauvages et feront beaucoup de dégâts”. L'étude a aussi établi que presque chaque reportage tirait des parallèles entre les réfugiés de Syrie et les migrants d'Ukraine orientale.

En fait, la réalité des demandes d'asile en Ukraine n'a rien à voir avec sa description par les médias locaux. Chaque année, l'Ukraine reçoit un total de 1.500 à 2.000 demandes présentées par des réfugiés de 44 pays. Seuls 200 à 300 heureux élus voient leurs demandes acceptées chaque année.

“Les autres demandes sont refusées. Voilà pourquoi l'Ukraine ne connaît pas une surcharge de réfugiés comme la majorité des pays de l'UE”, a expliqué Natalia Naumenko, directrice du Service des étrangers et apatrides au Service d’État des Migrations dans son interview à HromadskeTV. “Quant aux réfugiés de Syrie, entre 200 et 250 personnes de ce pays demandent l'asile en Ukraine chaque année”.

Faute de couverture médiatique approfondie et critique du sujet, classe politique et extrémistes anti-réfugiés continuent à exploiter l'ignorance de l'opinion en matière d'assistance aux réfugiés, en vue de respectivement améliorer leur image dans la communauté européenne occidentale ou monter en popularité chez les Ukrainiens. Quant aux réfugiés eux-mêmes, ils sont laissés à l'arrière-plan, vies humaines égarées dans les flots d'histoires à faire peur et de manipulation politique.

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