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Le combat de Máxima Acuña, la paysanne péruvienne récompensée pour s'être opposée à une grande entreprise minière

Catégories: Amérique latine, Pérou, Droits humains, Environnement, Médias citoyens
maxima acuña [1]

Máxima Acuña sur les rives d'une lagune dans la zone de Tragadero Grande, dans la région de Cajamarca. Photo de Jorge Chávez Ortíz reproduite avec son accord. Tirée de cet article [2].

Le 18 avril dernier, la paysanne péruvienne Máxima Acuña de Chaupe [3] a reçu le Prix Goldman pour l'environnement [4] [fr] pour l'Amérique centrale et du Sud, pour sa défense du droit à vivre sur sa propre terre. Le conflit impliquait les entreprises minières associées Newmont et Buenaventura dans le cadre des projets miniers Yanacocha – Conga, qui ont pour objectif d'étendre les activités de la mine d'or Conga [5] à une lagune connue sous le nom de Laguna Azul et à des zones humides situées dans le district de Huasmín, province de Celendín, à Cajamarca dans le nord du Pérou.

Parmi les raisons évoquées par la Goldman Environmental Foundation pour attribuer le prix à Máxima Acuña sont détaillés les faits qui lui ont valu de mériter le prix. D'après la fondation, elle est une héroïne de l'environnement qui a dû faire face à des combats judiciaires et qui a résisté aux menaces et mauvais traitements liés aux intérêts des multinationales.

En 1994, Máxima Acuña y su esposo compraron un terreno en un rincón apartado de las tierras altas en el norte del Perú conocido como Tragadero Grande. […] Un día en el 2011, la empresa minera llegó al hogar de los Acuña y exigió que dejaran su terreno. Cuando Acuña se negó, fue sometida a la brutalidad de la minera […]  Acuña sigue enfrentándose a las amenazas y al hostigamiento por parte la minera y sus fuerzas de seguridad privada y militarizada.

En 1994, Máxima Acuña et son mari ont acheté un bout de terre dans un coin reculé des hautes terres du nord du Pérou connu sous le nom de Tragadero Grande. […] Un jour de 2011, l'entreprise minière est venue à la porte des Acuña et a exigé qu'ils abandonnent leur terre. Quand [Máxima] Acuña a refusé, la réponse a été brutale […] Acuña est toujours confrontée aux menaces et au harcèlement de l'entreprise minière et de ses forces de sécurité privées et militarisées.

Sur le portail de blogs La Mula, on a recueilli [6] les paroles prononcées par Máxima Acuña lors de la réception du prix. La paysanne péruvienne y fait référence aux manifestants qui sont morts [7] [fr] dans les protestations pour la défense du droit à l'eau à Celendín:

Yo defiendo la tierra, defiendo el agua, porque eso es vida. Yo no tengo miedo al poder de las empresas. Seguiré luchando por los compañeros que murieron en Celendín y Bambamarca y por todos los que luchan en Cajamarca.

Je défends la terre, je défends l'eau, parce que ceci est la vie. Je ne crains pas le pouvoir des entreprises. Je continuerai à lutter pour les camarades qui sont morts à Celendín et à Bambamarca et pour tous ceux qui luttent à Cajamarca.

L'écrivaine militante Rocío Silva-Santisteban note [8] dans son blog Kolumna Okupa ce que signifie le fait que Máxima Acuña ait reçu le prix:

El caso de Máxima es un ejemplo de coraje, resistencia, resiliencia y optimismo frente a la aplanadora que puede ser una empresa con grandes capitales y poder como lo es minera Yanacocha. […] Al otro lado está Máxima, su familia nuclear (cuatro hijos y Jaime, el esposo) y su abogada, Mirtha Vásquez, directora de GRUFIDES, una pequeña ONG que ha sido espiada, estigmatizada y vapuleada por SECURITAS (seguridad de Yanacocha-Conga).

Le cas de Máxima est un exemple de courage, de résistance, de résilience et d'optimisme face au rouleau compresseur que peut être une entreprise dotée d'un immense capital et puissante comme l'est la société minière Yanacocha. […] A l'autre extrémité se trouve Máxima, sa famille (quatre fils et Jaime, le mari) et son avocate, Mirtha Vásquez, directrice de GRUFIDES, une petite ONG qui a été espionnée, stigmatisée et dénigrée par SECURITAS (société privée de sécurité de Yanacocha – Conga).

Sigifredo Orbegozo, docteur en droit constitutionnel, insiste [9] quant à lui sur les dangers qui guettent Máxima:

En esa lucha desigual con grandes empresas transnacionales coludidas con gobernantes y políticos venales, muchos campesinos han perdido la vida. Incluso sus dirigentes y luchadoras individuales, como la lideresa hondureña [Berta Cáceres [10]], asesinada [seis] meses después de recibir el mismo premio. Cuidemos a Máxima, indefensa mujer, ante tanto poder que la acosa y que lo único que falta es que la vinculen a conexiones “terroristas”, para atentar contra ella. No estamos exagerando: lo hemos constatado en este proceso electoral nada menos.

Dans ce combat inégal contre de grandes entreprises transnationales de mèche avec des dirigeants et responsables politiques vénaux, de nombreux paysans ont perdu la vie. Y compris leurs dirigeants et des femmes luttant seules comme la figure emblématique hondurienne [Berta Cáceres [10]], assassinée [six] mois après avoir reçu le même prix. Veillons sur Máxima, femme sans défense face à cette puissance énorme qui l'assaille et dont il suffirait qu'on trouve des liens avec des «terroristes» pour s'en prendre à elle. Nous n'exagérons pas: nous l'avons constaté dans les faits lors de ce processus électoral.

Une héroïne montée de toutes pièces?

Des conflits autour de la possession de terres (les détracteurs de Máxima pointent du doigt le fait qu'elle possède neuf propriétés) et d'autres critiques ont conduit les personnes qui décrient la paysanne à l'accuser d'être un faux symbole de la défense de l'environnement. Avant même que le post de blog d'Orbegozo n'alerte sur de possibles attaques visant Máxima Acuña, le portail El Montonero avait publié l'article Máxima [Acuña de] Chaupe et le récit anti-mines [11] [es] qui avait pour sous-titre « La véritable histoire derrière le Prix Goldman pour l'environnement 2016 ». Les auteurs y affirment que le récit qui a fait de Máxima Acuña le symbole de la lutte contre l'entreprise minière Yanacocha et le projet minier Conga a été imposé par ce qu'ils appellent la « gauche radicale écologiste », et qu'il n'est pas authentique :

En su defensa Máxima [Acuña de] Chaupe presenta como pruebas un certificado de posesión otorgado por la comunidad de Sorochuco y su supuesta residencia en ese lugar desde enero de 1994, asegurando además que es su única propiedad. Sin embargo, está probado que el único título de propiedad de esas tierras le perteneció a la comunidad de Sorochuco, que las vendió a Yanacocha —incluso Tragadero Grande— por acuerdo de sus miembros; entre ellos Samuel Chaupe, suegro de Máxima. Además, fotografías satelitales de 1994 demuestran que el lote que ocupan hoy los Chaupe estaba vacío entonces. Recién lo invadieron el 2011, cuando estalló el conflicto de Conga.

Pour sa défense, Máxima [Acuña de] Chaupe présente comme preuves un acte de propriété délivré par la communauté de Sorochuco et ce qui serait son lieu de résidence sur ce terrain depuis janvier 1994, assurant par ailleurs qu'il s'agit de son unique propriété. Toutefois, il s'avère que le seul titre de propriété sur ces terres appartenait à la communauté de Sorochuco, qui les a vendues à Yanacocha —y compris Tragadero Grande— avec l'accord de ses membres ; parmi eux Samuel Chaupe, beau-père de Máxima. De surcroît, des photographies satellites de 1994 mettent en évidence le fait que la parcelle occupée aujourd'hui par les Chaupe était alors vide. Ils s'en sont emparés récemment lorsqu’en 2011 a éclaté le conflit de Conga.

Est également critiqué le film La fille de la lagune [12][es], dont le scénario se concentre sur la lutte de Máxima Acuña contre l'entreprise minière et qui, selon les auteurs de l'article, présente la Péruvienne comme une paysanne indigente, ce dont ils se permettent de douter. Les critiques et argumentaires contre Máxima Chaupe se poursuivent dans deux autres articles: Máxima Chaupe et le mensonge du radicalisme [13] et Grufides et Marco Arana derrière Máxima Acuña de Chaupe? [14].

Il faut souligner qu'une bonne partie des arguments proviennent de ce qu'a écrit le journaliste Ricardo Uceda dans un article intitulé L'épineux cas Chaupe [15], qui pour sa part, est basé sur les révélations du journaliste de Cajamarca Luis Mego qui portent sur les neuf autres propriétés de Máxima Acuña de Chaupe.

Défense et clarifications

L'association civile Cooperacción s'est chargée d'apporter des réponses [16] aux interrogations et aux doutes soulevés par l'article de Ricardo Uceda. Plusieurs questions se posent. En ce qui concerne la plus polémique d'entre elles, celle des neuf propriétés qui appartiendraient à Máxima Acuña, l'association déclare:

Los Chaupe han sostenido que efectivamente tienen [nueve] terrenos que en conjunto suman 8,6 hectáreas y que los han adquirido, en gran parte por herencia. [Ricardo] Uceda, para desmentirlos, señala que en realidad los han adquirido vía un programa de formalización de la propiedad rural sobre la base de acreditar con testigos la posesión continua durante cinco años. Lo cierto es que es muy usual en la zona rural, donde el Estado no tiene formalizada la propiedad de tierras, que quienes tienen títulos de propiedad no saneados recurran a los programas de formalización para regularizar su situación.

Les Chaupe ont admis qu'ils avaient effectivement [neuf] terrains qui représentent en tout 8,6 hectares, et qu'ils ont acquis en grande partie par héritage. [Ricardo] Uceda, pour réfuter leurs dires, indique qu'en réalité ils les ont acquis via un programme de régularisation de la propriété rurale sous réserve d'attester en présence de témoins d'une possession consécutive de cinq ans. C'est en tout cas très répandu en zone rurale, où l'Etat n'a pas de politique [globale] en matière de régularisation foncière, d'où le fait que les gens qui ne possèdent pas de titres de propriété en règle aient recours aux programmes de régularisation pour normaliser leur situation.

Le journal satirique en ligne El Panfleto a publié un éditorial [17] dans lequel l'auteur précise que ces terrains de trois hectares maximum ne trouvent en général pas preneur à 5000 sols (environ 1311 euros) et finissent par être adjugés pour 2000 sols (environ 524 euros) de sorte qu'il ne s'agit pas de terrains très coûteux, et il explique plus en détail comment sont utilisées les terres dans la région andine péruvienne:

Al ser tierras pobres, sin carreteras o con baja producción agrícola, muchas veces solo de pastoreo, las familias siempre están atentas al aviso de un familiar en otra comunidad, quien les informa que un propietario está vendiendo un sector o la totalidad de su chacra, generalmente entre solo unos metros y raras veces una o cinco Ha.

Ces terres étant pauvres, sans routes [pour y accéder] ou peu productives sur le plan agricole, et servant souvent uniquement de pâturage, les familles sont toujours attentives aux suggestions d'un proche d'une autre communauté, qui les informe qu'un propriétaire vend une partie ou la totalité de sa ferme, le plus souvent de quelques mètres carrés seulement et à de rares occasions un ou cinq hectares.

Et concernant la logique sous-tendue par les critiques autour du nombre de terrains:

El ataque por sus posesiones es tan absurdo como que mañana te invadan tu casa, y al ir al Poder Judicial a defenderte, este te responda que no te puedes quejar de nada porque tienes dos casas más a tu nombre.

L'attaque portant sur ses propriétés est aussi absurde que si on envahissait demain ta maison, et qu'en allant défendre ton cas auprès des autorités judiciaires, celles-ci te répondaient que tu ne peux te plaindre de rien étant donné que tu as deux maisons de plus à ton nom.

Ceci n'atténue cependant pas les menaces. De retour au Pérou, Máxima Acuña a dénoncé [18] le fait que, quelques heures plus tôt, sa maison ait été prise pour cible par des inconnus. Peut-être le tweet ci-dessous ne reflète-t-il qu'un désir charitable qui doit faire face à la triste réalité du harcèlement de la part du pouvoir des grandes entreprises contre les gens humbles. L'idée rappelle néanmoins le besoin de protection issu de la lutte pour les droits des plus vulnérables:

Ceci est une version éditée de l'article [24] original paru sur le blog Globalizado de Juan Arellano.