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Burundi : comment contrôler le narratif de la crise

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Burundi, Droits humains, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique
President Jacob Zuma visits Burundi, 25 Feb 2016. Photo Credit: GovernmentZA. Flickr, CC licence.

Le Président sud-africain Jacob Zuma en visite officielle au Burundi, 25 février 2016. Crédit photo : GovernmentZA. Flickr, licence CC.

La crise politique au Burundi, allumée il y a un an par le troisième mandat controversé du président, crée un “climat [1] de peur, de défiance et d'illégalité”, selon les termes de Human Rights Watch. Le rapporteur spécial de l'ONU Christof Heyns a décrit [2] le passage d'une violence “ouverte” à “couverte”, avec arrestations, disparitions, tortures [3] et assassinats.

En période d'incertitude tendue, contrôler la narration est crucial pour la légitimité. Les ministres du gouvernement prennent le contre-pied des critiques de façon à discréditer les investigations sur les droits humains et l'opposition. Ceux dont les opinions diffèrent de la ligne officielle sont étiquetés ‘terroristes-putschistes’ et les manifestations sont dénommées ‘insurrection [4]’, tandis que toute critique extérieure est rejetée comme mal informée [2] ou impérialiste.

L'espace pour une presse libre et indépendante a considérablement rétréci. [5] Le rang [6] du Burundi dans le classement 2016 de Reporters Sans Frontières pour la liberté de la presse a reculé de 11 places, à 156 sur 180, ce qu'Alexandre Niyungeko, président de l’Union Burundaise des Journalistes, trouve encore « clément [7] ».

Cinq radios ont été fermées [8] d'autorité en mai 2015 lors du putsch manqué qui a tenté d'enlever le pouvoir au président Pierre Nkurunziza. Résultat, l'accès à une information indépendante est devenue ardue, d'autant que de nombreux Burundais comptent sur la radio. Les radios du diffuseur indépendant Isanganiro et du pro-gouvernement Rema ont récemment été autorisées [9] à rouvrir – après des mois de silence forcé – mais sous un « acte d’engagement » susceptible de restrictions. Isanganiro a partagé cette vidéo [10] montrant les dégâts à ses locaux après une attaque, supposément par des policiers [11], qui a causé sa fermeture temporaire.

(In)sécurité

Le désaccord sur la décision de Nkurunziza de présenter sa candidature pour un troisième mandat l’année dernière a provoqué des manifestations et campagnes citoyennes, qui se sont transformées en affrontements et rébellion armée. Le gouvernement a lourdement riposté, contraignant des dissidents à l’exil ou au silence.

Les ministres minimisent [12] la violence et les problèmes [13] économiques [14], en disant que le pays est en sécurité à 99%, en dépit [15] des morts et de la fuite des réfugiés [16], qui ont laissé certains quartiers presque vides [17]. Les assassinats, comme ceux du colonel Darius Ikurakure [18]  et du général Athanase Kararuza [19], et les arrestations [20] sont le signe de fractures dans l'armée, et certains remarquent [21] que les politiciens sont sous haute protection, en dépit des affirmations sur la sécurité. Le Fonds Monétaire International a estimé [22] que le produit intérieur brut a diminué 7% en 2015, et les prix [23] alimentaires se sont envolés [24].

Le journaliste kényan Victor Ndula s’est moqué [25] de ces déclarations avec ce dessin représentant Nkurunziza dans une baignoire remplie du sang de son pays :

Le collectif clandestin de journalistes SOS Médias Burundi a résumé l’insécurité meurtrière :

Les voix divergentes s”exposent aux violences et beaucoup [34] ont fui, qu'ils soient membres du parti au pouvoir, militaires ou journalistes. Les médias muselés, l’insécurité, et un contrôle [35] policier alourdi rendent la vérification des informations difficile, surtout à l’extérieur de la capitale Bujumbura. SOS Médias Burundi a souligné [36] les différences de décomptes différents des morts.

Ainsi, au 1er avril 2016, on comptait 381 morts liées à la crise, selon la Commission Nationale Indépendante des Droits de l'Homme [37] (l’organisation des droits humains cautionnée l’Etat). Mais selon l'ONU le nombre est de 474, et l’Association burundaise pour la Protection des droits humains et des personnes détenues (une organisation nationale bien-connue des droits humains) a en a enregistré 690. Des autres avertissent que le nombre [38] pourrait être bien plus élevé.

En dépit du harcèlement et des fermetures de médias [39], des journalistes ont présenté de multiples preuves des violences commises par les agents de sécurité et l’Imbonerakure, l’aile jeunesse du pouvoir, comme par des rebelles et assaillants non- dentifiés. Les journalistes travaillent sans relâche à révéler les faits, et SOS Médias Burundi a annoncé un formulaire [40] en ligne pour la collecte des informations.

Des hommes présentés comme des rebelles « repentis » ont avoué avoir commis un large éventail de crimes, depuis les assassinats politiques et le montage des vidéos pour des reporters étrangers, au meurtre de religieuses catholiques et même l’incendie d’un supermarché. Des “révélations [41]” qui ont été contestées. En examinant les contradictions et les preuves manquantes, le journal Iwacu a souligné les soupçons d’aveux fabriqués [42], pour commodément blanchir les services de sécurité tout en accusant l’opposition.

Violations des droits humains

Au milieu des appels à un dialogue inclusif et arbitré internationalement, le gouvernement a tenu des séances [43] d’un dialogue inter-burundais, mais vu que la majeure partie de l’opposition et beaucoup de civils sont en exil, des opposants restants ont parlé de « mascarade  [44]», considérant que ce dialogue ne ferait que répéter [45] le discours officiel.

Les organisations des droits humains et le gouvernement se sont opposés plusieurs fois. Pierre-Claver Mbonimpa, l’Association burundaise pour la Protection des droits humains et des personnes détenues a même été blessé par balle dans une apparente tentative d’assassinat, mais il a survécu. Marie-Claudette Kwizera [46], de l’organisation des droits humains Ligue ITEKA a disparu.

Les services de sécurité sont accusés [47] d’avoir répondu à une attaque rebelle en décembre par des raids arbitraires dans les quartiers “contestataires”, tuant peut-être une centaine de personnes. Un rapport [48] d’Amnesty International a montré des images satellites des fosses communes présumées, qui concordent avec le récit des témoins oculaires. Des accusations niées [49], par le gouvernement qui a annoncé avoir trouvé plusieurs fosses communes des rebelles. Pourtant, Iwacu a écrit [41] qu’il y a des faiblesses importantes dans les témoignages et les preuves présentés par le gouvernement.

Un détenu présenté par la police a aussi accusé Human Rights Watch d’avoir mis en scène une vidéo de simulation de viol ; HRW a critiqué [50] plusieurs enquêtes gouvernementales sur les assassinats extrajudiciaires pour l’omission des abus par les services de sécurité, et donc la protection de l'impunité. L’organisation a nié l’accusation, en soulignant [41] ne même pas avoir écrit spécifiquement sur ce sujet.

Des erreurs journalistiques sont certainement possibles, par exemple la diffusion [51] d’une vidéo fausse des scènes violentes, qui a provoqué une polémique. Pourtant, ceci n’invalide pas, par extension, des autres preuves.

Critiques ou « complots » internationaux ?

Des témoignages indépendamment rapportés ont impliqué [52] le Rwanda dans l’entraînement des insurgés, une accusation [35] qu’il nie, et potentiellement incendiaire. Certains représentants du gouvernement ont cependant utilisé ces accusations pour blâmer [53] plus généralement le Rwanda, tentant d’externaliser [54] dans leur discours les causes fondamentales de la crise.

Le 12 mars, la police a présenté un détenu comme un espion militaire rwandais, bien que sa propre famille [55] ait informé le reporter Esdras Ndikumana qu’il n’est pas un soldat. Le président rwandais Paul Kagame a même été accusé de vouloir « exporter  [56]» le génocide, et d'autres assertions ont impliqué [57] le gouvernement rwandais dans le crash aérien de 1994 qui a tué les présidents rwandais et burundais.

Des représentants du gouvernement ont aussi parlé de « complots » internationaux, qui impliquent des acteurs allant du Vatican à l’Union Européene. L’ambassadeur burundais aux Nations Unies Albert Shingiro a rejeté les rapports de l’organisation sur la crise comme « biaisés  [58]», des propos accueillis avec scepticisme :

[Albert Shingiro : il n’y a pas de doute que les rapports du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur le #Burundi sont biaisés et politisés]

Mycerinos: Prouvez-le ! Votre gouvernement illégal a perdu la crédibilité… Un jour, vous allez assumer les conséquences aussi

L’isolement diplomatique [63] se poursuit. La Francophonie a suspendu [64] sa coopération, après que l’UE avait redirige son aide. La pression internationale n’a pas produit beaucoup plus que des sanctions, mais les pourparlers, plusieurs fois reportés, sont prévus pour le mois de mai sous la médiation de ex-président tanzanien Benjamin Mkapa, et la procureure de la Cour Pénale Internationale Fatou Bensouda a annoncé [65] un examen préliminaire de la crise.

Suite à la délégation de l’Union Africaine en février, deux communiqués ont été publiés, semant la confusion. Le communiqué du président sud-africain Jacob Zuma appelait plus généralement à un dialogue avec tous les acteurs « importants », tandis que le communiqué de l’UA appelait plus spécifiquement à un dialogue sans préconditions, et liait l’aide internationale à l’amélioration de la sécurité. Cette confusion a du coup permis [66] aux ministres de choisir [67] leur communiqué préféré, et d'esquiver la pression pour un dialogue inclusif.

[Alain Aimé Nyamitwe : la délégation de haut niveau a été menée par un chef d’Etat, le président @jacobzuma, qui a lu un communiqué de presse. Seul ce dernier nous engage, rien d’autre]

Comment la déclaration d’un membre d’une délégation pourrait-elle annuler et remplacer celle de l’organisation qui l’a délégué ?

Des choix mortels

La lutte pour contrôler le narratif est un élément central de la crise. Les critiques du gouvernement sont accusés de complots ou d’être liés aux insurgés [73], qui sont qualifiés de « terroristes [74] » ; un terme utilisé dans plusieurs contextes pour justifier une répression plus générale de la dissidence politique, violente et pacifique.

De façon similaire, les supporters du gouvernement et les agents des services de sécurité se trouvent associés collectivement aux tactiques répressives des autorités. Louise Riziki, une blogueuse de Yaga, a raconté, par exemple, l’histoire d’un policier [75] de Musaga, un quartier « contestataire » de Bujumbura, qui se sent piégé entre l’ostracisation sociale et le besoin de garder son emploi pour subvenir aux besoins de sa famille. Ainsi, l’allégeance politique est réduite à un choix binaire, clivant, et dangereux.

La répression des services de sécurité et les attaques [76] de représailles des rebelles se donnent mutuellement pour justification. Pourtant, alors que le narratif est disputé, les gens continue à craindre des attaques meurtrières et une récession étouffante.