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Sahara occidental : dénoncer les violations des droits de l’homme, en vidéo

Catégories: Sahara Occidental, Droits humains, Médias citoyens, Rising Voices
WITNESS video advocacy workshop in the Tindouf camps in February, 2016. Photo by Madeleine Bair.

Formation en vidéo plaidoyer par WITNESS dans les camps de Tindouf, février 2016. Photographie de Madeleine Bair.

Par Habibulah Mohamed Lamin

Note de l’éditeur de Witness : lors d’une visite récente des camps de réfugiés sahraouis [1] à Tindouf, en Algérie, Witness a rencontré le journaliste local Habibulah Mohamed Lamin. Cet article de Lamin fait partie de l’initiative «Watching Western Sahara [2] (Suivre le Sahara Occidental)», du WITNESS Media Lab. Ce dernier traite, expose et contextualise les vidéos sur les droits de l'homme filmées par les militants sahraouis. Ce billet a été précédemment publié [3] sur le blog de Witness.

Les camps de réfugiés sahraouis s’étendent dans le vaste désert du Sahara, à l’ouest de l’Algérie. Ils sont principalement constitués de tentes éparpillées et de maisons en terree. Ces camps furent créés en 1975, au moment où le Maroc annexa le Sahara occidental. Les quelques cent mille habitants de la région dépendent de l’aide humanitaire pour leurs besoins essentiels comme la nourriture, l’eau et les vêtements.

En 1976, le peuple sahraoui fonda la République arabe sahraouie démocratique, ou RASD. Celle-ci opère en exil dans les camps et dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le Front Polisario. Suite à un cessez-le-feu négocié par les Nations-Unies en 1991, les Sahraouis se sont tournés vers des moyens pacifiques pour réclamer leur autodétermination. Le traité de paix leur promettait un référendum pour décider de leur indépendance, chose qui ne s’est pas encore produite.

Brahim Dahani

Brahim Dahani

Brahim Dihani a 31 ans. Il a grandi dans la capitale Laâyoune, sous occupation marocaine. Dihani a une maîtrise en journalisme et est un militant des droits de l'homme. Il travaille pour l’Association sahraouie des victimes de violations graves des droits de l’homme commises par l’État du Maroc (ASVDH [4]) : il documente les cas d’abus dans la région et organise des manifestations pacifiques.

Dihani a visité les camps pour y suivre une formation organisée par l’Union des étudiants sahraouis (UESARIO). Les 16 étudiants, rassemblés dans une grande pièce, étaient tous désireux d’apprendre. Aussitôt que le professeur leur a demandé d’identifier les plans de tournage, ils se sont exclamés: «plan large», «non, plan d'ensemble», dans une ambiance enthousiaste.

«Je suis venu pour acquérir des connaissances de tournage pour ensuite les utiliser chez moi», dit Dihani. Selon lui, il est très difficile de manifester dans le Sahara occidental, car le Maroc empêche tout rassemblement de protestataires.

La répression des manifestations par le Maroc est un enjeu qui a été longuement documenté par les groupes internationaux de défense des droits de l'homme et par des responsables de l’ONU. Le mois dernier, la Commission Tom Lantos des droits de l’homme a convoqué une audience du Congrès [américain] sur le Sahara occidental. Durant celle-ci, Eric Goldstein de Human Rights Watch a énuméré les préoccupations de l’organisation [5], incluant «la violation du droit à la libre expression, à la libre association, aux rassemblements et à un procès équitable, des cas de torture durant les interrogatoires et la violence des policiers envers les manifestants».

«Vous risquez votre vie », me dit Dihani, «dès que vous quittez l’aéroport de Laâyoune.» Tel qu’il l’a expliqué, la répression des médias à laquelle il est confronté est le résultat d’un contrôle très serré par les autorités marocaines. « Sur le chemin du retour», ajoute-t-il, « je m’attendais à toutes sortes de contrôles contraires à l'éthique, comme les fouilles à nu etc.»

mZafr

Mariem Zafri

Mariem Zafri a 33 ans et vit dans la ville de Smara, occupée par le Maroc. Elle a récemment terminé un cours de formation aux vidéos plaidoyers [1] pour les droits de la personne, organisé par FiSahara et WITNESS.

Lorsqu’elle est rentrée chez elle dans le Sahara occidental après sa visite des camps, sa brochure pour les défenseurs des droits de l'homme fut confisquée. «J’ai été placée dans une salle d’interrogatoire séparée et j'y ai été soumise à des traitements basés sur ma race ». Elle compare l’activisme médiatique dans le territoire à un miroir qui reflète «la situation grave dans laquelle se trouvent les droits de l'homme dans la région». À titre d’exemple, Zafri mentionne le procès militaire [6] des détenus de Gdeim Izik, en 2013, où neuf civils sahraouis ont été condamnés à la perpétuité. Récemment, les prisonniers politiques se sont mis en grève de la faim [7] pendant 36 jours. Lorsqu'on a interdit à leurs familles de les voir, celles-ci ont manifesté à Rabat, scandant que «la cour militaire n’a pas de légitimité».

Comme beaucoup de Sahraouis et d’organisations internationales, Zafri souhaiterait faire ajouter la surveillance des droits de l'homme au mandat [8] de la MINURSO, la mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. Selon Zafri, une telle surveillance «permettrait aux Sahraouis de descendre dans la rue pour réclamer leurs droits». Pour l’instant, les droits de l'homme au Sahara occidental bénéficient très rarement d’une couverture médiatique par les journalistes internationaux ou les défenseurs. Plus tôt ce mois-ci, un groupe d’Européens s’est fait expulser de Rabat [9] par les autorités marocaines pour avoir tenté de visiter les prisonniers de Gdeim Izik. Human Rights Watch a aussi été banni du territoire.

Cependant, lorsque le Conseil de Sécurité de l’ONU a voté la prolongation de la mission de la MINURSO [10], cela n’a provoqué aucun changement.

Vidéo de la manifestation des familles des prisonniers de Gdeim Izik à Rabat, Maroc.

Ceux qui sont laissés à eux-mêmes pour documenter les cas d’abus au Sahara occidental sont les militants des médias locaux comme Zafri et Dihani. Comme Zafri m’a dit, il existe beaucoup de risques liés à son travail. «Je suis toujours en danger, même lorsque je ne filme pas».

Habibulah Mohamed Lamin est un journaliste basé dans les camps de réfugiés du Sahara occidental. Il a travaillé comme interprète et traducteur pour les visiteurs des camps, dont Witness. Il est aussi directeur de la branche d'Equipe Media à Tindouf, un groupe de journalistes militants actif dans le Sahara occidental.