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L'ascension fulgurante (récemment censurée) de la star de l'internet chinois Papi Jiang

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Arts et Culture, Censure, Economie et entreprises, Gouvernance, Médias citoyens
"I really hate my parents for giving me such beautiful face!" screen capture of Papi Jiang's performance from "You have no idea the pain of being a beauty". [1]

“Je hais franchement mes parents de m'avoir faite si belle !” Capture d'écran de la vidéo de Papi Jiang “Vous n'avez pas idée de l'horreur d'être une beauté.”

Si vous n'êtes pas familier du web chinois, vous n'avez sans doute jamais entendu parler de Papi Jiang. Elle est l'une des vedettes les plus populaires de l'internet en Chine, connue pour ses vidéos satiriques où elle moque, d'une langue bien pendue, les vicissitudes du quotidien et des amours, les films et les questions sociales.

En Chine, une telle célébrité ne passe pas inaperçue des autorités, et c'est ainsi que, le mois dernier, elle s'est trouvée dans la ligne de mire des censeurs chinois de l'Internet, qui ont retiré quelques-unes de ses vidéos [2] de Youku, la plate-forme de vidéos la plus populaire de Chine.

Le personnage de Papi Jiang, c'est Jiang Yi Lei, une diplômée de 29 ans de l'Académie Centrale chinoise d'Art dramatique. Ses vidéos, dans lesquelles elle débite des monologues comiques ou imite des personnalités ou des célébrités de sa voix haut-perchée caractéristique et à une vitesse de mitraillette, lui ont valu 11 millions d'abonnés sur le site de médias sociaux Sina Weibo.

Papi Jiang a publié ses premières vidéos en octobre 2015, et il lui a suffi de quelques mois pour atteindre les sommets de la notoriété en ligne. Elle se revendique “femme en surplus” (sheng nü), une expression péjorative qualifiant les femmes célibataires de plus de 30 ans. Beaucoup de ses vidéos très regardées ont pour sujet les frustrations des jeunes femmes urbaines dans leur carrière comme dans leur vie familiale et amoureuse. Dans ses numéros, elle n'hésite pas à jurer et à dire des grossièretés.

Ci-dessous, une vidéo caractéristique de Papi Jiang, cette fois chargée sur YouTube. C'est un monologue satirique d'une minute et demie, titré “Vous n'avez pas idée de l'horreur d'être une beauté” :

Son langage vulgaire dans ses vidéos est le motif officiel du retrait de Youku de la plupart de ses vidéos par l'Administration centrale chinoise de la presse, de l'édition, de la radio, du cinéma et de la télévision (SAPRFT) le mois dernier. Les censeurs ont fait savoir que si elle abandonnait ses jurons, ses vidéos pourraient reparaître.

Un mois tout juste avant le retrait de ses vidéos, elle avait obtenu 12 millions de yuan (environ 1,83 million de dollars U.S.) de plusieurs firmes de capital-risque s'intéressant aux produits de médias sociaux. Si certains ont cru que les mesures de la SAPRFT allaient entraver la carrière de Papi Jiang, elle a tout de même réussi le 21 avril, quelques jours après avoir été censurée, à vendre de l'espace publicitaire [3] sur ses vidéos hebdomadaires pour 22 millions de yuan (environ 3,5 millions de dollars U.S.) dans une enchère organisée par Ali Auction, une filiale du géant de l'e-commerce Alibaba.

Depuis, la majeure partie de ses vidéos ont été rétablies en ligne, expurgées de leurs gros mots.

La Chine, ce  n'est pas seulement la plus vaste population d'internautes au monde, c'est aussi la plus grande base de consommateurs de vidéos. Selon le géant de l'Internet Tencent, le nombre de consommateurs de vidéos en ligne du pays a atteint 461 millions [4] en juin 2015, et le marché de la vidéo pesait 11,53 milliards de yuan [5] (1,9 milliard de dollars) au troisième trimestre 2015.

Des chiffres qui continuent à grimper en même temps que la population des internautes. Le dernier rapport [6] du Centre d'information du réseau internet de Chine établit que la Chine comptait 688 millions d'internautes à fin 2015, et que le taux de pénétration a atteint 50,3 pour cent. Un total de 90 pour cent des utilisateurs accède à l'Internet par le téléphone mobile, appareil qui favorise la consommation de l'information sous forme audio-visuelle.

Aux Etats-Unis, les fournisseurs de contenus comme Netflix, Amazon et Hulu produisent leurs propres programmes afin de réduire les frais de licence de droits d'auteurs. La Chine s'engage dans le même mouvement. Les fournisseurs de contenu internet concurrencent désormais directement les producteurs de la télévision d'Etat. Toutefois, les entreprises de dimension plus modeste peinent à dégager des bénéfices à cause des coûts élevés de production, de bande passante et de droits d'auteurs, c'est pourquoi de plus en plus d'équipes de production se sont mises à utiliser les espaces publicitaires de Youku et Tudou pour stimuler les recettes. Papi Jiang est un des exemples les plus éclatants de ce modèle en action.