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Les discriminations de classe dans le cinéma mexicain entre divertissement et sujet de société

Catégories: Amérique latine, Mexique, Film, Médias citoyens
Portadas de películas mexicanas destacadas que son mencionadas en este post. Imagen del autor.

Affiches de films mexicains connus qui sont évoqués dans cet article. Image de l'auteur.

Les films mexicains qui exploitent les discriminations de classe (ou classisme) et les inégalités sociales sont ceux qui connaissent le plus de succès dans les salles, le dernier exemple en date étant le film depuis peu à l'écran ¿ Qué culpa tiene el niño ? [1] [Est-ce la faute de l'enfant ?].

Comme je l'ai souligné dans des travaux précédents [2] [fr], les inégalités sociales et la pauvreté qui ravagent le pays ont conduit les personnes dotées d'un fort pouvoir d'achat à se comporter avec arrogance et hauteur vis-à-vis du reste de la population, rendant plus visible l'asymétrie et les excès et extravagances qui l'accompagnent.

Il n'est pas anodin que le film Nosotros los nobles [3] [Nous les nobles] (2013) ait été en son temps l’œuvre mexicaine ayant réalisé le plus d'entrées de tous les temps [4]. Il raconte l'histoire d'une famille fictive qui, après s'être trouvée au sommet de l'élite socio-économique mexicaine, est confrontée à la difficulté de vivre comme le reste de la population, c'est-à-dire avec les revenus d'emplois mal payés auxquels ont accès les personnes sans influence ni pouvoir : un protagoniste est embauché comme employé de banque, un autre est conducteur de transport en commun et une troisième est serveuse dans une cafétéria où elle doit porter une minijupe moulante pendant sa journée de travail.

En mai 2016, dans près de 1100 salles de cinéma a eu lieu la première de ¿Qué culpa tiene el niño? du réalisateur Gustavo Loza. Selon le journal Milenio [5], le film a dépassé les audiences de Angry birds, le film [6] [fr] et de la superproduction hollywoodienne Captain America: Civil War [7] [fr]. La recette est toujours la même : railler les discriminations de classe au Mexique. Alejandro Alemán [N.d.T critique de cinéma panaméen] la résume [8] ainsi :

El humor en esta cinta versa sobre un solo gag. La diferencia social entre Maru y Renato así como el choque de clase que presupone la reunión de ambas familias. Mientras Maru es hija de un importante diputado (Jesús Ochoa haciendo su personaje de siempre) que vive en una cuasi mansión, Renato vive en una unidad habitacional con su mamá (Mara Escalante, haciendo de su personaje una revisión de otro similar que hace en la televisión); mientras Maru tiene un trabajo respetable en Santa Fe, Renato tendrá que meterse de repartidor de pizzas; mientras la familia de Maru bebe champaña, la familia de Renato bebe tepache.

L'humour dans ce film tourne autour d'un seul gag : la fracture sociale entre Maru et Renato ainsi que l'affrontement de classe que suppose la rencontre des deux familles. Alors que Maru est la fille d'un important député (Jesús Ochoa dans son rôle habituel) qui vit dans un quasi château, Renato habite un appartement avec sa mère (Mara Escalante, dont le personnage est une réplique de celui qu'elle interprète à la télévision) ; alors que Maru a un travail respectable à Santa Fe, Renato devra devenir livreur de pizza ; alors que la famille de Maru boit du champagne, la famille de Renato boit du tepache.

[Note : Santa Fe est un quartier de la ville de México qui a connu ces dix dernières années un processus de gentrification [9] [fr] à travers la construction d'immeubles de bureaux et d'espaces commerciaux exclusifs. Par ailleurs, le tepache est une boisson fermentée à base d'ananas dont la consommation est de plus en plus rare, et qui est habituellement destinée aux plus bas revenus de la capitale mexicaine.]

La curiosité malsaine que suscitent chez les téléspectateurs mexicains les relations sentimentales entre des personnes appartenant à différentes classes sociales a été exploitée dans Amarte duele [10] [T'aimer fait mal] (2002) et un grand nombre de films représentatifs de la production cinématographique mexicaine, dont certains remontent même à 1959 comme Alejandro Alemán le note [8]lui-même dans son article.

Le fait que les inégalités sociales soient au cœur du film a été relevé sur les réseaux sociaux par des utilisateurs comme Rufián, qui écrit sur Twitter :

Francisco Blas considère pour sa part que l'on va au cinéma pour se divertir :

Il convient de souligner que l'industrie du cinéma populaire mexicain est peu reconnue en-dehors du pays car rares sont les œuvres de qualité qui franchissent les frontières. Les long-métrages mexicains de renom se comptent sur les doigts d'une main. Le plus célèbre d'entre eux est peut-être Amores perros [13] [fr, Amours chiennes] dirigé par celui qui a depuis reçu de multiples récompenses et est maintenant reconnu au niveau international, Alejandro González Iñárritu [14].

Et comment ne pas évoquer le travail de Luis Estrada [15] et sa critique opportune de la corruption morale de la classe politique et des pouvoirs de fait, tant dans La ley de Herodes [La loi d'Hérode] (1999) que dans La dictadura perfecta [16] [La dictature parfaite] (2014) plus les œuvres dirigées par Estrada entre-temps. Mais cela s'arrête là. L'immense majorité du cinéma commercial mexicain est dominée par des comédies romantiques imprégnées de cet élitisme profond qui caractérise (et semble plaire à) un vaste pan de la société mexicaine.

La satire a toujours donné du mordant à la critique de conduites indésirables ou à dépasser. Au Mexique, les discriminations de classe sont utilisées comme argument de vente pour faire venir les gens dans les salles de cinéma et les faire rire un moment. Cependant, cet élitisme devra un jour être abordé sérieusement, comme un problème qui ne provoque plus l'hilarité générale et qui a conduit ces derniers mois à des épisodes affligeants de discriminations, d'abus de pouvoir et d'agressions envers des fonctionnaires, comme nous l'avions déjà signalé [17] dans d'autres articles.