Brexit: “Brisée, mais pas défaite”

Brexit? London, UK 2016. PHOTO: Tomek Nacho (CC BY-ND 2.0)

Brexit ? Londres, RU 2016. PHOTO: Tomek Nacho (CC BY-ND 2.0)

[Texte d'origine publié en anglais le 24 juin] Les brumes de l'incrédulité du matin ont laissé place à la tristesse. J'ai le cœur brisé, comme au moins 16 millions de personnes autour de moi. Pas seulement pour l'UE et une position commune face aux atrocités du monde d'aujourd'hui mais aussi pour le pays dans lequel j'ai grandi.

Suivre ce qui s'est passé dans la période qui a précédé le référendum a été éprouvant. Sentir que je me crispe lorsque quelqu'un dans la pièce mentionne UKIP ou le Brexit [fr]. Devoir être celle qui dit « Ils sont racistes ! » et obtenir des réactions telles que « Mais leurs idées se tiennent sur le plan économique » de la part de personnes que je respectais auparavant – et constater par moi-même à de multiples reprises que faire mine de ne pas voir l'intolérance n'est pas un problème pour beaucoup d'entre nous quand cela nous arrange. Savoir que si tel avait été le climat politique lorsque mes parents sont arrivés du Bangladesh dans les années 70, je n'aurais très certainement pas pu grandir au Royaume-Uni, ni eu les possibilités qui m'ont été données au cours de mon enfance.

« . . . si tel avait été le climat politique lorsque mes parents sont arrivés du Bangladesh dans les années 70, je n'aurais très certainement pas pu grandir au Royaume-Uni, ni eu les possibilités qui m'ont été données au cours de mon enfance. »

Observer ce processus de l'extérieur était étrange, alors que ce sentiment anti-immigrant et xénophobe gagnait du terrain au Royaume-Uni. J'ai d'abord tentée de l'ignorer. J'avais ce privilège: je vis à Berlin, ça ne me concerne pas tant que ça. J'en ai peu à peu appris plus. J'ai commencé à en parler à des amis, à m'engager sur le net, et, hier, j'ai pris l'avion pour l'Angleterre pour participer à une action de dernière minute dans la campagne en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'UE [fr] en ce jour de vote. Je suis fière de l'avoir fait, mais je regrette infiniment qu'il m'ait fallu si longtemps pour m'impliquer davantage.

Je soupçonne beaucoup de gens de partager ce sentiment aujourd'hui. C'est parce que nous n'avons pas été attentifs aux événements politiques dans notre pays que nous en sommes arrivés là. Nous étions trop insouciants, et nous nous tenions à l'écart des décisions et des politiques qui ont eu un fort impact sur nos vies. Nous n'avons pas réalisé combien nous avions à perdre, ou que nous devions réellement protéger les droits dont nous jouissons, quelle que soit notre orientation politique.

Il est ressorti d'une discussion que j'ai eue avec des amis hier qu'un grand nombre d'entre eux avaient parlé pour la toute première fois de politique sur Facebook grâce à ce référendum. Beaucoup parmi nous ont été élevés dans une méfiance profonde du système politique britannique, à force de constater  que, de manière récurrente, les jeunes hommes blancs passés par Eton et Oxford, comme par hasard, s'élèvent dans la hiérarchie pour finir par diriger le pays. Beaucoup dans mes cercles d'amis se contentaient du statu quo. Pas fous de joie, mais ça pouvait aller ; bataillant pour acheter une maison, mais ayant un travail, et remboursant petit à petit leur prêt étudiant. Une fois encore un privilège que ne partagent clairement pas bon nombre des personnes marginalisées et sans accès à leurs droits à travers le pays qui se sont saisies de l'occasion pour enfin se faire entendre.

« Beaucoup dans mes cercles d'amis étaient relativement satisfaits du statu quo. Pas fous de joie, mais ça pouvait aller ; bataillant pour acheter une maison, mais ayant un travail, et remboursant petit à petit leur prêt étudiant . . . un privilège que ne partagent clairement pas bon nombre des personnes marginalisées et sans accès à leurs droits à travers le pays qui se sont saisies de l'occasion pour enfin se faire entendre. »

Le pays est divisé. C'est ce que montre le vote. Et ces clivages sont profonds, de l'âge au niveau d'éducation en passant par la géographie. La politique politicienne n'a pas grand chose à voir avec cela. Les mensonges et l'information biaisée qui se sont répandus pendant la campagne étaient nuisibles, d'affreuses contre-vérités irresponsables au sens le plus profond du terme.

Assister à cela aussi a été dur. C'est la campagne la plus infâme et la plus féroce que j'ai jamais vue. Le meurtre de Jo Cox |fr] a représenté un nouveau coup dévastateur mais, comme l'a écrit Alex Massie, vous ne pouvez pas crier sans arrêt à la rupture et être surpris quand quelqu'un rompt. Le résultat m'attriste, la manière dont la campagne s'est déroulée m'attriste, de même que le déferlement d'opinions d'extrême-droite qui se répandent progressivement en Grande-Bretagne. Ce n'est pas le pays dans lequel j'ai grandi.

Et maintenant ? Le fait qu'il nous ait fallu trop de temps pour réaliser ce qu'il se passait, pour prendre la menace au sérieux, pour ne pas nous contenter d'exiger des changements mais de défendre ce à quoi nous tenions, est quelque chose dont nous devrons nous souvenir et ne pas reproduire. Nous avons beaucoup perdu hier, et notre pays ne sera plus jamais le même.

Cela n'a rien à voir avec le processus que j'aurais souhaité, mais nous ne pouvons perdre encore plus, et nous devons à présent vraiment faire de notre mieux. Quelles que soient leurs opinions politiques, celles et ceux qui rejettent l'intolérance, les discriminations et la bêtise sans bornes doivent se serrer les coudes. J'éprouve un immense chagrin, mais je suis consciente du rôle actif que nous devons toutes et tous jouer en étant plus audibles pour éviter que la situation ne s'aggrave encore plus.

Comme mon amie Sarah l'a écrit ce matin : brisée, mais pas défaite.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.