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Anti-douleurs, haussements d'épaules et autres réactions de Chinois à l'arbitrage invalidant les prétentions maritimes de la Chine

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Indonésie, Malaisie, Philippines, Taïwan (ROC), Viêt-Nam, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
"China - not a single dash less" image distributed by China Daily in response to the South China Rule and "China - not a single pill less" by Badiucao. [1]

A gauche : “Chine – pas un seul trait de moins.” Image distribuée par China Daily en réaction à la sentence sur la mer de Chine méridionale. A droite : “Chine – pas une gélule de moins” par Badiucao.

La Cour permanente d'arbitrage de La Haye vient d'infliger un revers diplomatique à la Chine en rejetant son usage de la “ligne en neuf traits” [2]pour revendiquer sa souveraineté sur de vastes secteurs de la Mer de Chine méridionale.

Comme on s'y attendait, les médias gouvernementaux chinois se sont aussitôt élevés contre la sentence de la Cour, indiquant que Pékin ne reconnaîtrait ni n'accepterait la décision. Quant aux médias sociaux chinois, les internautes patriotes y ont posté une carte avec les neuf traits légendée “Pas un seul trait de moins” pour faire écho à la position officielle.

D'autres ont simplement demandé, l'arbitrage sur la Chine du Sud, qui s'en soucie ? La vidéo ci-dessous est l'une de celles qui a circulé parmi la diaspora des Chinois continentaux :

Les Philippines avaient porté le contentieux [3] devant la juridiction internationale en janvier 2013. En cause, la prétention de la Chine aux droits maritimes exclusifs sur les îles Paracels (revendiquées par le Vietnam, la Chine et Taïwan), le banc de Scarborough (revendiqué par la Chine, Taïwan et les Philippines), ainsi que les îles Spratleys (revendiquées par la Chine, le Vietnam, Taïwan, la Malaisie, les Philippines et Brunei). La Chine justifie ses actions par ce qu'elle appelle la ligne en neuf traits [encore appelée “langue de boeuf”], qui étendrait sa zone maritime jusqu'à 50 milles nautiques au large des îles philippines de Luzon et Palawan, une zone où les Philippines disposent des droits maritimes exclusifs aux termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer [4] (UNCLOS) .

La cour a jugé que les terres disputées sont soit des rochers ou des reliefs n'émergeant qu'à marée basse, comme des récifs, impropres à soutenir la vie humaine ; n'ayant pas la qualité d'îles, elles ne peuvent donner à leur propriétaire de droits étendus sur les eaux environnentes.

La sentence affirme également que Ies obstacles mis par la Chine à la pêche et à l'exploration pétrolière des Philippins, tout comme la mise en chantier d'îlots artificiels dans la limite des 200 milles nautiques au large de l'archipel philippin a violé les droits souverains des Philippines.

Le jugement a été ressenti comme un grave revers diplomatique pour Pékin. La conséquence est que les autres pays : Vietnam, Malaisie et Brunei, qui ont tous des intérêts en Mer de Chine méridionale, ont désormais une base juridique pour protester contre les activités économiques et militaires de la Chine dans cette mer disputée.

Les prétentions de souveraineté maritime de Pékin sont vieilles de 70 ans et antérieures à la guerre civile chinoise et à la création de la République populaire de Chine actuelle. En 1947, la République de Chine (ROC, l'actuelle Taïwan) a justifié par une ligne en onze traits sa revendication de quelques-unes des îles de la Mer méridionale, occupées pendant la deuxième guerre mondiale par les Japonais, et dévolues à la ROC après la fin des combats.

Deux ans plus tard, les communistes ont défait les forces du Kuomintang et créé la République populaire de Chine. Ils ont repris à leur compte les prétentions de leurs prédécesseurs puis changé les onze traits en neuf au début des années 1950 pour offrir le Golfe du Tonkin à leur voisin communiste du Nord-Vietnam.

‘Le monde entier regarde la Chine tomber dans le piège’

Sur internet, rares ont été les commentaires appelant à des manifestations de nationalisme extrême ou à des actions militaires. En réalité, la plupart des réactions s'efforçaient d'une manière ou d'une autre de sauver la face de la Chine dans ce désastre diplomatique :

谈判是和平解决争端的态度,只有美国、日本这些犯贱的小人才巴不得打起来,因此,咱们爱国是没错的。有的同胞一味地说要武力征服,是不够冷静的。今年,南方洪水、又碰到大台风,这南海局势,美国跟韩国又勾结坑害中国。大家更要冷静!中国一点都不能少!

Les Philippins ont manifesté devant l'ambassade de Chine, alors que l'ambassade philippine en Chine était sous la protection de la police chinoise. C'est la différence entre un Etat fort et un petit Etat. La Chine ne doit rien au monde, mais ce monde n'a jamais été gentil [avec la Chine].

La négociation est un moyen pacifique de résoudre un conflit. Seuls les hideux USA et Japon veulent voir la guerre. Nous avons donc raison d'être patriotes. Mais certaines personnes qui continuent à réclamer une conquête militaire manquent de calme. Cette année, nous avons des inondations et un typhon dans le Sud, les Etats-Unis ont monté un piège pour la Chine. Nous devons rester calmes. La Chine ne perdra pas un seul trait !

La tentative de sauver la face est plus visible sur de nombreuses vidéos titrées Arbitrage de Chine du Sud, qui s'en soucie ?, diffusées auprès des cercles de Chinois du continent vivant outre-mer, comme celle plus haut.

Dans la diaspora chinoise, beaucoup de commentaires ont pointé du doigt la maladresse diplomatique du Président chinois Xi Jinping. Sur Twitter, @tom2009cn a écrit :

[La Chine n'a pas] de quoi se sentir si humiliée au sujet de la Mer de Chine méridionale. Les installations sur les quelques îles ont déjà perturbé les Etats-Unis, mais Xi Jinping a tenu à brandir son sabre et amener le pays au bord de la guerre. A présent l'arbitrage a sanctionné comme illégal l'exercice par la Chine de ses droits en Mer de Chine méridionale. C'est un grave revers, une réédition de la crise des missiles de Cuba [6]. Le monde entier regarde la Chine tomber dans le piège. Quelle sottise.

En février 2012, le position diplomatique chinoise relative à la Mer de Chine méridionale était que “aucun pays y compris la Chine ne revendique la souveraineté sur la totalité de la Mer de Chine méridionale”. Mais avec la multiplication des incidents avec des bateaux de pêche, Chine, Vietnam et Philippines ont tous affirmé détenir les droits sur la mer disputée.

En avril 2014, la Chine a commencé à transformer le récif Mischief [‘Malice’ en anglais], situé dans l'archipel des Spratleys, en île artificielle, et en août de la même année, un avion de chasse chinois a intercepté un aéronef de la marine américaine.

En février 2016, des images par satellite ont montré que la Chine fabriquait du sol sur les îles Tree et North des Paracels, et à nouveau la chasse chinoise interceptait un avion de surveillance américain en mai.

Les activités économiques et militaires ont déjà perturbé l'unité des pays membres del'ASEAN, l'Association des pays de l'Asie du Sud-Est. Maintenant que Pékin a perdu sa base juridique, le monde attend sa réaction à la crise. Sauver la face ne suffira pas à alléger la douleur ; le caricaturiste politique Badiucao préconise de plutôt prendre des antalgiques — neuf, pour être précis, et “pas une gélule de moins” :

Le dessin de Badiucao pour la Mer de Chine méridionale/La Haye Le moment de prendre des antalgiques