Cet article de Victoria Molina est initialement paru sur Ensia.com, un magazine qui met en lumière des solutions environnementales concrètes au niveau international, et il est reproduit ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.
Lorsque la militante écologiste hondurienne Berta Cáceres a été abattue à coup de fusil chez elle au printemps dernier, la communauté internationale et jusqu'aux activistes de ce pays réputé pour sa violence ont été choqués. La militante avait reçu avant sa mort des menaces liées à son soutien envers les populations indigènes qui luttent contre la construction du barrage hydroélectrique d'Agua Zarca le long du fleuve Gualcarque.
Quelques jours après son assassinat, Nelson García, autre dirigeant du Conseil des organisations populaires et indigènes du Honduras (connu sous le nom de COPINH), que Berta Cáceres avait fondé en 1993 pour défendre les droits du peuple premier lenca, a également été tué.
Ces morts récentes ont-elles permis de faire bouger les choses pour les populations locales qui luttent pour la protection de l'environnement ? Même si le changement prend du temps, des signes montrent qu'elles disposent d'une certaine visibilité.
« Berta bénéficiait vraiment d'une chaîne de soutien incroyable et elle avait fait un travail à ce point remarquable en se rapprochant d'autres organisations tant au niveau national qu'à l'international que son assassinat a profondément choqué, » observe Danielle DeLuca, chef de projet pour l'organisme états-unien à but non lucratif Cultural Survival, qui défend les peuples indigènes à travers le monde.
Tristement célèbre pour son insécurité
Le Honduras a l'un des taux d'homicides les plus élevés au monde, et il a la réputation d'être un pays peu sûr pour les militants écologistes. Selon l'ONG sans but lucratif Global Witness, qui lutte contre le pillage des ressources naturelles dans les pays en développement et la corruption politique, pas moins de 109 personnes ont été tuées dans le pays entre 2010 et 2015 pour s'être opposées à des projets de barrages, miniers, forestiers ou agricoles. Intellectuels et activistes dénoncent l'association du crime organisé et d'un système judiciaire défaillant qui a conduit à la corruption – deux éléments qui trouvent leurs racines dans une histoire de pauvreté, d'inégalités, d'instabilité politique et de protection des intérêts des multinationales aux détriments des droits des autochtones.
Docteure en anthropologie culturelle à l'université de Floride, Rosana Resende affirme que la culture économique de l'entrepreneuriat et l'absence de restrictions qui se sont développées en Amérique latine dans les années 1980 ont créé les conditions d'une privatisation croissante des ressources à grande échelle. A la même époque, de nombreux pays de la région étaient asphyxiés par une crise de la dette. Le Fonds monétaire international et d'autres institutions ont mis en place un certain nombre de dispositions politiques, connues sous le nom de consensus de Washington, afin de réformer l'économie du sous-continent. Ces mesures ont entraîné la privatisation des industries nationales, les ont ouvertes aux investissements directs étrangers et ont libéralisé le commerce. Les transnationales ont pénétré les terres indigènes auxquelles les populations locales sont historiquement très attachées dans le but d'en exploiter les ressources.
D'après Resende, « ce sont deux éléments, les privatisations et les investissements directs étrangers, qui ont véritablement fait apparaître la vulnérabilité de ces pays face aux grandes entreprises extractivistes. »
Danielle De Luca relève que le Honduras et les Etats-Unis ont depuis 2009 multiplié les appels à investir dans le pays en réponse aux niveaux élevés de pauvreté. Mais les investissements et les créations d'emplois sont à double tranchant : « L'investissement s'accompagne souvent de la part des entreprises de non-respect des droits humains et des droits des peuples autochtones. »
La lutte des Lenca contre le projet de barrage d'Agua Zarca a commencé en 2006 ; le Gualcarque est sacré pour eux, et ils s'inquiètent des conséquences environnementales du barrage sur le fleuve et les êtres qui y vivent. Berta Cáceres avait organisé des manifestations pacifiques pour faire entendre le mécontentement de la communauté. Elle a contribué à inciter le plus important constructeur de barrages au monde, le Chinois Sinohydro, à se retirer du projet. En 2015, elle a reçu le Prix Goldman pour l'environnement en récompense de son activité militante. Le 3 mars dernier, ses meurtriers ont mis leur menace à exécution.
Un retentissement sans précédent
Cette fois cependant, la violence a suscité de vives réactions inédites. Moins de deux semaines après l'assassinat de la militante écologiste, la banque de développement allemande FMO a suspendu toute activité au Honduras. Finnfund, une société financière de développement finlandaise, a arrêté de verser des fonds au projet Agua Zarca quelques jours plus tard.
FMO a envoyé une lettre au président du Honduras, Juan Orlando Hernández, pour lui faire part de sa préoccupation et inciter son gouvernement à prendre des mesures immédiates pour que cesse la violence contre les militants. « La liberté d'expression de ceux qui défendent leurs droits et les moyens de subsistance des populations est très précieuse aux yeux de FMO, » peut-on lire dans la lettre. « Tout individu devrait pouvoir défendre son point de vue sans se sentir menacé. FMO rejette et condamne toute forme de violence contre ces individus ou ces groupes. »
Selon son attaché de presse Paul Hartogsveld, FMO a aussi envoyé une mission au Honduras pour établir les faits à laquelle participent le PDG de la banque et le directeur de la branche énergie. La mission comprend également une délégation d'experts indépendants dont le rôle est de déterminer et valider les procédures qui ont été suivies à Agua Zarca. « Nous prendrons ensuite une décision finale concernant le projet et notre retrait du Honduras, » précise Hartogsveld.
La violence a par ailleurs renforcé la détermination de la communauté lenca dans sa lutte contre le projet de barrage d'Agua Zarca et autres projets de développement auxquels Berta Cáceres s'opposait. Cesario Padilla, journaliste et militant hondurien, affirme que le climat de terreur dans ces communautés est désormais permanent mais que, dans le même temps, la volonté de poursuivre le combat pour que droits autochtones se conjuguent avec protection des ressources naturelles demeure forte.
Ainsi, des dirigeants du COPINH ont rencontré le vice-ministre hondurien de l'Energie, des Ressources naturelles, de l’Environnement et des Mines deux semaines après le meurtre de Berta Cáceres pour exiger du ministère qu'il annule le permis du barrage d'Agua Zarca. Des membres du COPINH ont également protesté devant le ministère public dans la capitale du Honduras, Tegucigalpa. Et, au cours d'une action intitulée « Justice pour Berta Cáceres » , ils ont appelé les Honduriens de l'étranger et autres sympathisants à manifester pacifiquement devant les ambassades du Honduras dans leur pays le 15 juin afin d'exiger la transparence dans l'enquête sur le meurtre de la militante et l'annulation du projet de barrage d'Agua Zarca.
D'après Tomás Gomez, l'actuel coordinateur du COPINH, la présence militaire près de la zone où le barrage est en cours de construction a augmenté et des membres du COPINH continuent d'être intimidés et menacés. Certains signes indiquent néanmoins que le gouvernement hondurien est enfin attentif aux demandes visant à dévoiler la corruption. Suite aux appels à agir venus du monde entier, quatre suspects – dont deux sont liés à Desarrollos Energéticos S.A., la société privée locale de l'énergie qui construit le barrage d'Agua Zarca – ont été arrêtés au Honduras début mai dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Berta Cáceres.
Le rôle de la communauté internationale
Toutefois, Cesario Padilla souligne que le gouvernement du Honduras se montre encore réticent à prendre des mesures concernant deux des demandes principales de la famille de Berta Cáceres : leur permettre à eux ainsi qu'à leur équipe d'avocats de participer à l'enquête sur le meurtre de la militante écologiste, et autoriser la tenue d'une enquête indépendante sous l'autorité de la Commission interaméricaine des droits humains.
« Les arrestations sont un acte de bonne volonté, » admet Padilla. « Mais ces demandes n'ont pas été entendues, donc la méfiance est encore très forte vis-à-vis de l'action du gouvernement hondurien. »
Les militants écologistes et des droits humains craignent que les assassinats, les menaces et les persécutions ne se poursuivent. Padilla et DeLuca soutiennent que le gouvernement du Honduras doit faire davantage – pour protéger la famille de Berta Cáceres, d'autres membres du COPINH et Gustavo Castro, le seul témoin du meurtre de la militante écologiste ; pour faire toute la lumière sur les meurtres ; et pour examiner minutieusement les projets qui menacent les populations indigènes et l'environnement.
Le ministère public hondurien, l'organe gouvernemental chargé de l'enquête sur le meurtre de Berta Cáceres, n'a pas répondu à nos appels et à nos courriels de sollicitation.
Danielle De Luca affirme que l'hostilité permanente envers le COPINH après les meurtres montre clairement qu'il n'y aura pas de sortie de crise sans l'aide d'autres nations qui ont un intérêt dans le pays. Elle invite les citoyens états-uniens en particulier à faire pression auprès du Département d'Etat et du Congrès pour qu'ils incitent le Honduras à accepter une enquête indépendante.
« Nous ne faisons pas confiance à l'Etat du Honduras pour mener une enquête indépendante » insiste DeLuca.
Les militants espèrent en fin de compte faire évoluer la nature du développement au Honduras afin de permettre aux communautés locales de se faire entendre lorsque leurs intérêts divergent de ceux des entreprises de développement internationales. La fille de Cáceres, Laura Zuñiga Cáceres, qui participe au mouvement, appelle les autres pays à prendre en considération les droits humains dans leur décision d'investir.
« Il est aussi important que les membres de la communauté internationale réfléchissent au rôle joué par leur propre gouvernement au Honduras, » précise-t-elle.
Pour Rosana Resende, reste à voir si le meurtre de Berta Cáceres sera un catalyseur suffisant pour faire adopter des politiques réellement tournées vers les gens.
« Aucun grand changement n'aura lieu, mais nous vivons tout de même un moment de l'histoire où le militantisme prend de l'ampleur » note l'anthropologue.
Victoria Molina est étudiante en journalisme à l'université de Floride. Ses recherches portent sur les relations interethniques en Europe de l'Est, l'immigration et le néolibéralisme dans les pays développés. Ses articles et émissions de radio ont été mis en ligne sur WUFT News et WUFT Noticias, le portail d'information de l'université de Floride rattaché à NPR. Son compte Twitter est @vmsugranes.
Elle a rédigé cette contribution dans le cadre de sa participation au Programme de tutorat d'Ensia. Sa tutrice pour le projet était Cynthia Barnett. Certaines citations ont été traduites de l'espagnol. L'article est aussi paru en espagnol sur LatinAmericanScience.org.